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Les hommes de l’ancien régime seraient les plus aptes à rebâtir la Libye
Le pays est désormais dominé par la Russie et la Turquie. Par notre correspondant à Tunis, Benoît Delmas
Et à la fin, comme en Syrie , ce sont les Russes et les Turcs qui s’imposent. Sur le sol libyen, après une accélération brutale de l’histoire, le calme semble revenu. La poussière retombe sur le champ de bataille. Les UBM, unités de bruits médiatiques, ont baissé en intensité. Les rodomontades en Méditerranée, sur fond d’incidents militaires mis en scène, ont pris le relais.
Des Libyens nostalgiques de l’ancien régime se réunissent chaque année à Tripoli, drapeau national à la main. © MAHMUD TURKIA / AFP
Désormais (avec tous les salamalecs nécessaires quand on évoque ce pays en ébullition depuis la révolution de 2011), l’heure serait aux tables rondes, à la « diplomatie des cravates » , aux mémorandums en lieu et place du fracas des armes, du brouhaha des milices, des diablotins polyglottes et des « experts » en stratégie militaire.
Pour Ankara et Moscou : « évitons la guerre »
À l’Ouest, l’ordre turc s’est imposé ; quand à l’Est , la Russie avec son compère égyptien a pris ses aises, affirmant son autorité et son aura. Le Sultan et le Tsar en terre musulmane. Au beau milieu, comme une frontière, la ligne rouge de Syrte, une variante de Maginot au Maghreb. La situation semble figée provoquant une paix armée imprévisible il y a peu. Les deux puissances ont appris en Syrie à s’affronter, via des intermédiaires ou pas, à négocier, à vociférer, à s’accorder, avec un pragmatisme faisant fi de toute autre considération.
« Si les États ne veulent pas la guerre, alors on aura la paix », constate Jalel Harchaoui, chercheur auprès de l’Institut Clingendael. Il note que « les Égyptiens, les Russes, les Turcs sont tous alignés sur l’idée qu’il faut maintenant éviter la guerre ». L’heure est aux remboursements des frais de campagnes (militaires) et aux pourparlers au Maroc . La population, à l’Ouest comme à l’Est, manifeste son mécontentement face à la détérioration du quotidien, les coupures d’électricité pouvant frôler les deux jours.
Dans l’espoir de futures élections, un optimiste référendum constitutionnel est évoqué pour mars 2021, l’idée d’un gouvernement d’entente national reparaît. Au Maroc, plusieurs réunions de travail se sont déroulées entre les deux camps, « sans superstars », sans ces ego qui bloquent l’avenir. Et ce scénario préfigure un casting pour former le futur attelage ministériel. Parmi les CV, ceux des kadhafistes. Ils ont migré du Caire aux capitales européennes.
De fins connaisseurs pour rebâtir le pays
Dans six mois, cela fera dix ans que la révolution libyenne a commencé dans la foulée de l’avènement de la démocratie en Tunisie . Une période mouvementée, scandée cependant par deux scrutins, polluée par sa richesse en hydrocarbures. La Libye est devenue malgré elle une guerre régionale, comme le Vietnam le fut en son temps. On s’est affronté par mercenaires et groupes armés interposés .
Maintenant que Moscou et Ankara ont imposé leurs visées au nord, c’est toute une nation qui est à reconstruire. La Banque mondiale avait chiffré le chantier à cent milliards de dollars. Plus en profondeur, il faut rebâtir l’administration, renouer toutes les complexités et contradictions du pays (où le facteur tribal est important), démilitariser, combattre la corruption, à la fois les douze travaux d’Hercule et une mission pour dentellière d’Alençon. Pour ce faire, ils sont légion à juger que les ex-kadhafistes qui ont gouverné pendant quarante ans sont les plus aptes.
Il faut pour cela qu’ils acceptent de quitter leurs havres cairotes sans risquer de gros ennuis une fois revenus en Libye. En Tunisie, les anciens du régime Ben Ali ont su se faire oublier. Les employés et militants de la dictature se sont recyclés dans une vie politique libre. Même les islamistes d’Ennahdha ont pardonné à leurs bourreaux. La Libye, si elle se pacifie durablement, empruntera-t-elle ce chemin ?
Pour l’heure, le dossier est une addition de suppositions, une somme d’hypothèses, une kyrielle de « et si » capable d’enivrer les plus aguerris des spécialistes. L’ingérence russo-turque ayant provoqué une accalmie, les deux puissances pourraient avoir beau jeu de délivrer aux Occidentaux une solution négociée, clé en main. Et de provoquer, par pragmatisme, un retour de gestionnaires kadhafistes. Un pied de nez posthume du colonel K.