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Un rapport de l’Institut Montaigne,
Il déconstruit les idées reçues sur les quartiers populaires
Un rapport de l’Institut Montaigne, que le JDD dévoile en exclusivité, décrit un autre visage des quartiers populaires. Ce document invite l’Etat, trop concentré sur la rénovation urbaine, à désormais favoriser l’essor économique de ces territoires pauvres. Par Emmanuelle Souffi

Dans le centre social Maroc-Chatenay-Poètes à Pierrefitte-sur-Seine, le 22 octobre. (Emeric Fohlen/Hans Lucas pour le JDD)
La Haine, film générationnel par excellence, fête cette année ses 25 ans. Le tragique décès de deux ados, Zied et Bouna, dans un poste électrique à Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), ses 15 ans. Depuis, la moindre étincelle pourrait encore embraser les banlieues. Car le visage des quartiers dits « populaires » n’a guère changé. Enfin si, celle de ses tours, détruites par centaines. Pour le reste, le chômage et la paupérisation y sévissent toujours. « La rénovation urbaine, au moins à ses débuts, ne s’est pas préoccupée de développement économique local », regrette Hakim El Karoui. Plutôt que sociologique, le chercheur a dressé un portrait économique et social de ces territoires dans un éclairant rapport qu’il a rédigé pour l’Institut Montaigne, « Les quartiers pauvres ont un avenir », publié dimanche.
Pour briser le miroir déformant de la vie dans ces territoires, le fondateur du Club du XXIe siècle, un think tank qui promeut une vision positive de la diversité, a compilé durant un an des données de l’Insee sur différents paramètres (niveaux de vie, de pauvreté, taux d’imposition…), puis il a comparé leur situation à celle de tout l’Hexagone. Les résultats sont déroutants, inattendus.
Non, vivre dans une cité ne fait pas de vous un assisté. Non, les banlieues ne sont pas mieux traitées que les campagnes. Mais oui, la délinquance et les inégalités scolaires les empoisonnent. Pour le géographe, une autre voie est possible et il est urgent de la prendre pour éviter que d’autres ne l’occupent. Car, par-delà les chiffres, se cachent des énergies qui ne demandent qu’à se libérer. Des clichés qui les cantonnent dans une image déformée. Mais aussi des plaies qui les contraignent.
L’Île-de-France n’est pas plus riche
« La France des villes versus la France des campagnes » : cette fracture territoriale qui s’est exprimée au travers de la crise des Gilets jaunes fonctionne en trompe-l’œil. Pour le prouver, Hakim El Karoui distingue la richesse créée de celle qui est disponible. La Région a ainsi contribué à 31% du PIB en 2015, mais ses habitants ne possèdent que 22% du revenu disponible national. Le plus gros écart par rapport aux autres territoires.
En clair, les Franciliens créent plus de richesse qu’ils n’en détiennent. Car ils circulent, voyagent, dépensent ailleurs. « Sans le dynamisme de la Région capitale, conclut l’ancien conseiller de Jean-Pierre Raffarin, le système de solidarité français n’existerait plus. »
Le 93, champion des créations d’emplois
Département le plus pauvre de France avec 29% de ses habitants vivant avec moins de 1.000 euros par mois : c’est l’étiquette le plus souvent collée à la Seine-Saint-Denis. Mais qui sait qu’en dix ans c’est le territoire qui a créé le plus d’emplois? Entre 2007 et 2018, 29% de l’augmentation de la masse salariale s’est faite ici. L’installation de nombreuses entreprises à Saint-Denis, le développement des services ont nourri le développement économique. Les JO 2024 et le Grand Paris devraient accélérer son dynamisme.
Leurs habitants ne sont pas des assistés…
Autre lieu commun, les banlieues vivraient aux crochets des autres. « Faux », démontre Hakim El Karoui, qui a épluché les flux de prestation et de prélèvements sociaux territorialement. Ainsi, les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) reçoivent moins de revenus issus des transferts sociaux (retraites, RSA, pensions…) que les autres : 6.100 euros par habitant contre 6.800 en moyenne.
La Seine-Saint-Denis figure parmi le huitième plus gros contributeur au financement de la protection sociale avec près de 9.300 euros par habitant. Mais c’est le département qui touche le moins de prestations (8.400 euros). A l’inverse, le Var décroche la palme des endroits qui en bénéficie le plus : 12.100 euros par habitant. Ce paradoxe tient au poids des retraités, faible dans le 93 qui compte presque deux fois plus de personnes de moins de 20 ans que de plus de 60 ans. Une jeunesse qui fait vivre le système social plus qu’elle n’en profite.
… et ne vivent pas de la drogue
Le trafic de drogue ne génère « que » 2,7 milliards d’euros en France, selon le rapport qui a compilé les données officielles. Au total, 200.000 personnes sont impliquées dans le marché du cannabis, d’où découle la moitié des ventes de stupéfiants. Or toutes n’habitent pas dans un quartier pauvre. Et même si c’était le cas, elles ne seraient le fait que d’une infime partie de la population vivant ici. D’après Hakim El Karoui, cette activité ne représente guère que 21.000 emplois en équivalent temps plein. Car la plupart ne travaillent que quelques heures par mois. Pour des sommes modiques, hors les têtes de réseau et les grossistes. « Rien qui permette de vivre », déduit le chercheur.
Pas mieux traités que les campagnes
Les ravages du virus permettent de rétablir une réalité : les quartiers pauvres souffrent prioritairement des faiblesses du maillage sanitaire. Davantage que les campagnes et les zones rurales. Ils comptent ainsi deux fois moins de médecins spécialistes et de professionnels offrant des soins de proximité. En Seine-Saint-Denis, on recense 1.100 agents de la fonction publique hospitalière pour 100.000 habitants contre 1.800 ailleurs en France.
La politique de la Ville délaissée
Avec ses milliards d’euros déversés sur les cités et ses plans banlieue, elle serait un puits sans fond. Le montant des dépenses totales de l’Etat pour les QPV et des bailleurs sociaux pour l’ANRU (Agence nationale pour la rénovation urbaine) s’élève à 5,7 milliards d’euros en 2019. Selon les calculs d’Hakim El Karoui et de son équipe, l’effort représente… 840 euros par habitant. Une goutte d’eau par rapport au budget de l’Education nationale ou de la Défense.
Or 5,5 millions de Français vivent dans un QPV, soit 8% de la population. En Seine-Saint-Denis, cette proportion grimpe à 38%. Des territoires délaissés alors que les besoins restent importants. Le chercheur estime la sous-dotation en matière d’investissement public dans les quartiers pauvres à près de 1 milliard d’euros par an.
La laïcité, un outil contre les religions en France ?
C’est le thème du septième épisode de la série « La Casa del Hikma ».
La laïcité, tout le monde en parle. Et vous qu’en savez-vous ? C’est le thème du septième épisode de la série « La Casa del Hikma ».

Ces débats, qui viennent agiter l’actualité, naissent parfois d’incompréhensions mais aussi, beaucoup, d’une instrumentalisation à des fins politiques ou idéologiques de ce qu’est la laïcité dans ses fondements ; débats qui, à leur tour et dès lors qu’ils ne sont pas entourés de sérénité, appuient des idées reçues au sein de la société. Celles opposant laïcité, religions et liberté religieuse sont parmi les plus tenaces.
La laïcité est-elle une arme contre les religions de nos jours ? Est-ce un principe qui érige l’athéisme comme « la » bonne religion en France ?
La laïcité empêche-t-elle la liberté de culte ? Est-elle un outil agissant contre la visibilité religieuse ? Faut-il garder sa foi en privé, ne pas l’exposer dans l’espace public, pour être une personne respectueuse de la laïcité ?
C’est autour du tryptique républicain – Liberté, Égalité, Fraternité – que doit s’articuler la laïcité dans sa pratique, plaide Jean-Louis Bianco. « Parce qu’être laïque, ça veut dire qu’on a des convictions et qu’on respecte celles des autres », note le président de l’Observatoire de la laïcité.
V. Benaïm à F. Corleone : « Tu n’es qu’une m.rde »
Quand on touche à un noir, un juif ou à musulman, on touche à l’Humanité !
Ce jeudi 17 septembre, le rappeur Freeze Corleone est visé par une enquête pour « provocation à la haine raciale » et « injure à caractère raciste » dans ses clips et ses textes. Tandis que Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur l’a accusé « d’apologie du nazisme et d’antisémitisme« , pendant ce temps, sur le plateau de Touche pas à mon poste, c’est Valérie Bénaïm qui a souhaité prendre la parole, pour répondre à « ces immondices ».
« Tu n’es qu’une merde »
Elle qui a lu les déclarations de Freeze Corleone – « Killu à vie, fuck un Rothschild, fuck un Rockefeller. Moi j’arrive déterminé comme Adolf dans les années 30 », « Gros comme des banquiers suisses. Tout pour la famille, pour que mes enfants vivent comme des rentiers juifs » « On arrive dans des Allemandes comme des SS », « Tous les jours RAF de la Shoah », « Killu à vie, Seigneur de guerre comme le mollah Omar » – était très émue, ce jeudi soir.
Elle a expliqué aux fanzouzes : « Je vais essayer d’être très calme et de poser mon propos parce que moi les textes de ce garçon me touchent au coeur parce que je suis juive, donc il parle de ma communauté« . Et d’ajouter que tout le monde était concerné par cet acte odieux : « parce que quand on touche à un noir, à un juif, à un musulman, on touche à l’humanité » dit-elle
Face à l’hostilité et l’obsession du rappeur, Valérie Bénaïm a répliqué : « je pense que ce type là est abjecte. Je lui dis dans les yeux, tu n’es qu’une merde. Pardon parce que je suis un peu émue » dit-elle aussi.
Valérie Bénaïm appelle à ne « pas céder à l’émotion »
En réponse à la polémique, la chroniqueuse et animatrice de C8 a toutefois estimé qu’il ne fallait « pas céder à l’émotion ». Elle s’est déclarée contre la censure avant de rappeler aussi que dans le cas de Freeze Corleone, il ne s’agit pas d’une pensée mais bien d’un délit. En effet, selon la loi no 90-615 du 13 juillet 1990, tout acte raciste, antisémite ou xénophobe est réprimé en ce sens.
Avant d’être applaudie par le public et les chroniqueurs, Valérie Bénaïm a conclu en appelant la justice à faire son travail. Elle a assuré : « Moi je veux qu’on soit dans un état de droit, qu’on soit dans une République ».
George Weill: “Ils ont tué Jaurès”
Pour rappel, Fils d’un négociant alsacien, de culture juive, George Weill quitte Strasbourg pour suivre des études parisiennes au début du siècle. Il fréquente alors les milieux socialistes collectivistes et participe au congrès socialiste de Lyon en 1901.
A partir de 1908, il devient un contributeur régulier de L’Humanité, et se rend régulièrement à Paris, où il rencontre Jean Jaurès.
En 1912, il est envoyé par son parti faire campagne à Metz, et l’emporte malgré une forte mobilisation de la droit locale.
Alors que la tension monte entre la France et l’Allemagne, il passe l’été 1914 en France, et se trouve face à Jean Jaurès lors de l’assassinat de ce dernier le 31 juillet. Il s’engage alors dans l’armée française, ce qui lui vaut une condamnation à mort par un conseil de guerre allemand.
Après la guerre, militant SFIO, conseiller général du Bas-Rhin, il est candidat malheureux à la députation en 1919, et choisit lors du congrès de Tours, auquel il participe, de soutenir la ligne de Léon Blum, avant de se rapprocher de Renaudel et de se retrouver dans le courant néo-socialiste.
En 1933, après un dernier échec électoral, il se détourne de la vie politique. Il participe à la deuxième guerre mondiale comme officier au service de l’information des armées, avant de réussir à rejoindre Alger où il participe à la direction de la France combattante.
Catherine Moulin. Jean Jaurès. Assassiné le 31 juillet 1914

25 Juillet, Jean Jaurès à Lyon-Vaise: un déplacement presque ordinaire
Le 25 juillet 1914, Jean Jaurès vient soutenir le candidat socialiste, Marius Moutet, dans le cadre de la campagne pour une élection législative partielle dont le premier tour doit avoir lieu le lendemain, dans la 6 e circonscription du Rhône, à la suite du décès de Joannès Marietton survenu le 27 mai, alors que ce député socialiste venait d’être réélu.
Le Discours de Vaise
Il s’agit à bien des égards d’un déplacement banal, un de ceux que L’Humanité ne relate pas, même dans une brève. C’est au demeurant la treizième fois que Jaurès se rend à Lyon pour des motifs politiques depuis 1893. Cette réunion publique s’inscrit dans le contexte d’un événement local, somme toute secondaire, pourtant le discours prononcé ce soir-là est devenu a posteriori l’un des plus célèbre de sa vie politique, connu sous le nom de « Discours de Vaise ». La section socialiste du 5 ème arrondissement de Lyon[1] invite Jaurès à participer à une réunion dont l’accès est réservé aux électeurs de l’arrondissement. Elle a lieu salle Iller, une salle dans laquelle il s’est déjà exprimé le 5 mars 1910, et qui est située dans le quartier alors industriel et populaire de Vaise, au nord de la ville, le long de la Saône.
Comme de coutume, la venue de Jaurès ne passe pas inaperçue dans la presse lyonnaise. Les journaux socialistes et radicaux annoncent « la grande réunion publique et contradictoire organisée pour l’audition du citoyen Jean Jaurès, député du Tarn, directeur du journal L’Humanité, et du citoyen Marius Moutet, candidat du Parti socialiste à l’élection législative du 26 juillet[2]. » La presse de droite, quant à elle, se gausse du soutien « parisien » apporté par Jaurès au candidat local. Elle souligne également le fait que le tribun socialiste n’est pas issu du monde ouvrier, à la différence des députés socialistes du Rhône.
Paris face à la province, et les “bourgeois” face au monde ouvrier
On obtient ainsi un double effet clivant : Paris face à la province, et les « bourgeois » (Jaurès et Moutet, qui est avocat) face au monde ouvrier. La venue de Jaurès à Vaise ce 25 juillet 1914 constitue un exemple très représentatif du déroulement de ses déplacements dans la région, si ce n’est qu’elle ne s’inscrit pas dans le cadre des habituelles « tournées » qui permettent à Jaurès de rentabiliser au mieux le temps long du voyage depuis Paris.
Le leader socialiste arrive en fin d’après-midi en gare de Lyon-Perrache. En compagnie des principaux organisateurs venus l’accueillir, il se restaure à proximité de la gare, à la célèbre Brasserie Georges. Le début de la réunion est fixé à 20 h 30, un horaire habituel lorsque les réunions ont lieu un samedi, une journée de travail. Plus de trois mille personnes se massent dans la salle Iller, qui fut agrandie en mars 1910, lors de la précédente venue de Jaurès, afin de pouvoir accueillir un public plus important.
En effet, comme partout dans la région, il attire de nombreux auditeurs : dans près de la moitié de la trentaine de cas étudiés dans la région, on compte au moins trois mille personnes, comme c’est le cas ce soir-là à Vaise. Ici, la réunion est réservée – en principe – aux électeurs de la circonscription, mais il n’est pas rare que l’on vienne des départements voisins écouter Jaurès.
À la fin de la réunion, vers 22 heures, l’orateur rejoint son hôtel situé dans le quartier Grolée au cœur de la Presqu’île, entre la place Bellecour et l’hôtel de ville. Jaurès est raccompagné par le docteur Georges Lévy, Secrétaire de la Fédération du Rhône en 1914, dont nous reparlerons.
Le lendemain, dimanche 26 juillet, Jaurès passe la journée à Lyon avec Marius Moutet et son épouse chez lesquels il déjeune. Dans un entretien publié par Le Mouvement social en avril-juin 1962, Marius Moutet précise : « Il s’est montré très détendu. Ma femme l’a emmené au musée Saint-Pierre et il a évoqué avec verve et émotion ses années de jeunesse. » Nous n’en savons pas davantage sur la visite de Jaurès au musée des Beaux-Arts, mais on peut penser qu’il n’a pas manqué d’admirer les peintures murales qui ornent l’escalier monumental, œuvres du peintre lyonnais Puvis de Chavannes que Jaurès appréciait particulièrement. Dès qu’il en avait l’occasion, il s’octroyait de telles parenthèses culturelles, rares et précieux moments de pause et de détente durant ses déplacements. Ainsi, le 17 octobre 1909, lors de son arrivée à Vienne, ville située dans le Nord-Isère au bord du Rhône, il prit le temps d’en visiter les richesses archéologiques et architecturales en compagnie du maire socialiste Joseph Brenier et du conservateur des musées, avant de se consacrer à ses activités politiques. Et, à l’occasion de son ultime séjour bruxellois, le matin du 30 juillet 1914, il se rend au musée des Beaux-Arts revoir les primitifs flamands en compagnie du couple Sembat avant de rentrer à Paris. Car, pour Jaurès, ces moments consacrés aux arts sont aussi des moments de partage.
Le dimanche 26 juillet, en fin d’après-midi, Jaurès reprend le train pour Paris. Un incident ferroviaire survenu en gare de Dijon le contraint de dicter au téléphone, depuis les bureaux d’un journal local, le contenu de son éditorial, intitulé « Une lueur d’espoir», paru dans L’Humanité du 27 juillet.
Ce bref séjour à Lyon devait être si ordinaire que le contenu du discours sténographié n’est publié à l’origine que dans L’Avenir socialiste, le journal hebdomadaire de la Fédération socialiste du Rhône, daté du 1 er août 1914.
Il fut pour la première fois repris dans la Biographie de Jaurès, rédigée par Charles Rappoport en 1915. Pourtant, ce discours est devenu l’un des plus célèbres de Jaurès, « un grand classique jaurésien » comme l’écrit Gilles Candar[3]. Le contexte international suscité par la crise austro-serbe consécutive à l’assassinat de François-Ferdinand à Sarajevo le 28 juin 1914 donne en fait et d’emblée à cette réunion un caractère particulier. En effet, dès le début de son discours, Jaurès mentionne qu’une demi-heure avant l’ouverture de la réunion, il a appris la rupture des relations diplomatiques entre la Serbie et l’Autriche-Hongrie. Dès lors, la crise s’accélère et le risque d’une guerre imminente de dimension européenne est devenu bien réel.
Le discours de Jaurès est avant tout une analyse de la situation internationale et un réquisitoire qui dénonce les responsables du risque de conflit menaçant désormais l’Europe
Aussi le discours de Jaurès change-t-il de nature : ce n’est pas un discours électoral de soutien au candidat socialiste. Même si Jaurès prononce quelques mots louangeurs à l’égard de Moutet[4], c’est avant tout une analyse de la situation internationale et un réquisitoire qui dénonce les responsables du risque de conflit menaçant désormais l’Europe. Discours sans doute improvisé, mais dont la rigueur de l’analyse et l’anticipation lucide de la nature du futur conflit expliquent en partie la célébrité. L’émotion et l’inquiétude de l’orateur transparaissent lorsqu’il évoque ce que serait cette guerre au vu du précédent que constituent les guerres balkaniques. En dépit du « désastre pour l’Europe » qu’il pressent, et même s’il « dit ces choses avec une sorte de désespoir », Jaurès veut encore croire que l’action du prolétariat peut « écarter l’horrible cauchemar ».
Un Manifeste pour la défense de la paix
Dès lors, l’élection partielle qui motive sa venue n’a plus la même signification : Jaurès fait du bulletin de vote des électeurs de la 6 ème circonscription du Rhône un Manifeste pour la défense de la paix : « J’aurais honte de moi-même, citoyens, s’il y avait parmi vous un seul qui puisse croire que je cherche à tourner au profit d’une victoire électorale, si précieuse qu’elle puisse être, le drame des événements. Mais j’ai le droit de vous dire que c’est notre devoir à nous, à vous tous, de ne pas négliger une seule occasion de montrer que vous êtes avec ce Parti socialiste international qui représente à cette heure, sous l’orage, la seule promesse d’une possibilité de paix ou d’un rétablissement de la paix. »
Un discours testamentaire
Quels que soient la grande qualité du discours et l’impact qu’il eut visiblement sur le public, l’essentiel de sa célébrité tient au fait qu’il fut le dernier prononcé par Jaurès en France avant son assassinat : il prit donc a posteriori la « valeur d’un écrit testamentaire », selon la formule de Gilles Candar[5]. De plus, le fait qu’il ait été prononcé seulement quelques jours avant le début de cette guerre cauchemardesque qu’évoque justement Jaurès renforce sa dimension dramatique.
C’est donc bien à l’éclairage donné par ces événements immédiatement postérieurs que ce discours doit d’être si connu.
Pourtant, dans les années qui suivirent, le texte même fut l’objet de discussions et de polémiques au sein du Parti socialiste entre « majoritaires » partisans de l’Union sacrée et « minoritaires ». Le fait que ce discours n’ait été publié que dans un journal socialiste local favorise d’autant plus ces contestations. Mais, dans l’entretien publié dans Le Mouvement social, Marius Moutet, interrogé sur ces controverses (la véracité des propos étant notamment contestée par Renaudel), affirme qu’il peut « certifier l’authenticité du texte publié dans L’Avenir socialiste. Jaurès les [sic] a revues lui-même chez moi le lendemain et m’a exprimé son accord ».
Dans un article paru le 29 juillet 1938 dans l’organe régional du Parti communiste, La Voix du peuple, on lit : « Ici, à Lyon où Jaurès est venu quelques jours avant [l’assassinat], le 25 juillet 1914, l’atrocité du geste stupide de Villain est encore davantage ressentie. »
À Lyon, le discours de Vaise est, de fait, intégré dans les enjeux mémoriels qui suivent la mort de Jaurès, notamment avec les deux « grands témoins » que sont Marius Moutet et Georges Lévy, comme nous allons le voir dans les trois exemples suivants. Mais les deux hommes sont désormais devenus des acteurs de l’opposition fratricide entre partisans et adversaires de l’Union sacrée d’abord[6], puis entre socialistes et communistes après le congrès de Tours.
Le 31 juillet 1920, pour une importante réunion organisée le jour anniversaire de l’assassinat de Jaurès à Oullins, ville cheminote et ouvrière de la banlieue lyonnaise, Marius Moutet s’est fait excuser. En revanche, Lévy est présent[7] et « parlant de l’attitude de Jaurès à la veille de la guerre, [il] a rappelé qu’au cours d’une réunion qui eut lieu le 25 juillet 1914, Jaurès, dans son dernier discours, a condamné tous les rois, les empereurs et les gouvernements bourgeois de l’Europe, mais il a aussi fait ressortir que la France avait sa part de responsabilité dans les événements en cours ». Il conclut de manière polémique : « Personne ne sait ce que Jaurès aurait fait s’il vivait aujourd’hui pendant la période que nous traversons et on peut être certain que malgré tout l’empressement des bourgeois du socialisme qui veulent accaparer sa personnalité, il serait resté avec nous, avec les révolutionnaires[8]. »
Le 30 juillet 1922, à Villeurbanne où les socialistes du Rhône commémorent la mort de Jaurès, c’est Moutet qui « rappelle le dernier voyage de Jaurès à Lyon. Il y vint, huit jours avant la déclaration de guerre, et alors que les trains allaient emporter les jeunes soldats à la frontière, lui qui défendait encore son œuvre de paix, son idéal de fraternité entre les peuples ; il luttait passionnément contre l’horrible tuerie. Sans doute aurait-il fait entendre sa voix au-delà des frontières, lorsque son dernier souffle de vie lui fut arraché. […] Pendant la guerre, nous songions : que ferait-il s’il était là ? Ah ! Que de désastres il eût évités. Il avait la préoccupation de défendre ce pays qu’il aimait avec sa belle âme ; mais il savait aussi que toute victoire conquise par les armes, par la force n’était pas durable et engendrait fatalement l’idée de revanche. La seule paix, la vraie paix n’est pas celle qui s’impose par les armes, mais au contraire par la fraternité des peuples et par l’amour de l’humanité[9] ».
Enfin, pour le 25 ème anniversaire de l’assassinat de Jaurès, La Voix du Peuple du 28 juillet 1939 annonce en première page « un article de Georges Lévy qui était secrétaire de la Fédération socialiste du Rhône quand Jean Jaurès fit, à Lyon-Vaise le 25 juillet 1914, son dernier discours en France ». Lévy compare la situation de juillet 1914 et celle de juillet 1939 : « En cette période de juillet 1939, les événements qui nous mènent à une nouvelle guerre nous paraissent aussi imminents et aussi tragiques que dans cette même période de 1914. Et ces deux préoccupations essentielles qui au cours de sa multiple activité ont occupé la pensée de Jaurès : la lutte pour la paix et pour l’unité nationale des travailleurs, nous paraissent être, pour nous aussi, les deux préoccupations dominantes de l’heure, en y ajoutant la lutte pour l’unité internationale. »
Mais, en dépit des analogies, Lévy souligne les différences, les évolutions survenues en un quart de siècle, qui appellent « des méthodes nouvelles ». Et s’il souligne qu’il fut «en ce temps déjà lointain jauressiste », s’il voue « à sa mémoire le plus pieux des souvenirs », Lévy est aussi devenu un disciple de Lénine : « Aujourd’hui les événements ont changé, notre tactique ne pouvait rester la même et ne pas s’adapter à ces événements. Lénine le dit bien : la dialectique marxiste exige l’analyse de chaque situation historique particulière. »
Cependant, il conclut par un rapprochement entre « la foi qui animait l’apôtre de la paix et de l’unité en 1914 » et celle avec laquelle « notre parti communiste mène aujourd’hui le même combat ».
Lévy termine avec une phrase extraite du discours de Vaise que les communistes pourraient répéter selon lui : « Quoi qu’il en soit, citoyens, je dis ces choses avec une sorte d’espoir [on notera la variante par rapport à la version de L’Avenir socialiste communément reprise]. Il n’y a plus – au moment où nous sommes menacés de meurtre et de sauvagerie – qu’une chance pour le maintien de la paix et le salut de la civilisation : c’est que le prolétariat rassemble ses forces… »
Après la Seconde Guerre mondiale, la référence mémorielle au discours de Vaise s’estompe à Lyon mais sans disparaître. En effet, le 6 mars 1991, une plaque commémorative est apposée au 51, rue de Bourgogne où se trouvait la salle Iller, dans le cadre d’un « hommage rendu par Roland Leroy, directeur de L’Humanité ». Elle porte l’inscription suivante : « Ici le 25 juillet 1914, Jean Jaurès, fondateur du journal L’Humanité, prononça son dernier discours pour la paix. »
On peut remarquer que cet hommage intervient juste au terme de la guerre du Golfe (2 août 1990-28 février 1991), contre laquelle s’est érigé le PCF[10]. Enfin, avec « L’année Jaurès » en 2014, on vit à Vaise une résurgence de la dualité des mémoires. Le site d’information et d’actualités Rue89Lyon titra le 23 juillet 2014 : « Jean Jaurès à Lyon : 100 ans après, qui commémorera le mieux l’homme politique ? ».
Le 24 juillet, au nom de la municipalité lyonnaise qu’il dirige, Gérard Collomb, alors socialiste, commémora le centenaire du discours de Vaise à la mairie du 9 ème arrondissement (lors de l’allocution prononcée par le maire de Lyon, certains auditeurs arboraient un masque de Jaurès pour contester la légitimité de cette commémoration par le premier magistrat de la ville) et une exposition consacrée au « Parcours de Jaurès » y fut inaugurée ; par ailleurs, le lendemain, les communistes se retrouvèrent pour un hommage au 51, rue de Bourgogne. Patrick Le Hyaric, directeur de L’Humanité et député européen, prononça un discours et la fête populaire d’été du PCF, qui eut lieu également à Vaise le 25 juillet 2014, fut appelée « fête de la paix ». Un portrait de Jaurès extrait d’une des célèbres photographies prises lors du meeting du Pré-Saint-Gervais le 25 mai 1913 était reproduit sur l’affiche.
Ainsi peut-on dire que le « Discours de Vaise » est un discours célèbre prononcé dans le cadre d’un déplacement en définitive peu connu. La dimension locale de la réunion se perd dans la renommée du discours : on se soucie en général bien peu de savoir, par exemple, que Marius Moutet était en ballottage favorable le soir du 26 juillet et qu’il fut élu début août après l’assassinat de Jaurès, dans la tourmente de la déclaration de guerre… Par ailleurs, ce déplacement de Jaurès le 25 juillet 1914 peut paraître incongru dans le contexte d’une crise internationale qui met l’Europe au bord du gouffre. C’est oublier que, jusqu’au soir du 25 juillet justement, Jaurès pensait que cette crise, comme les précédentes, s’étendrait sur une période assez longue, lui donnant, ainsi qu’aux instances socialistes, le temps d’agir. Le 5 juillet, à Rochefort, il disait encore : « Depuis dix ans, il n’y a pas une année où ne se répande la rumeur d’une guerre imminente. » Comme le souligne Jean-Jacques Becker : « Tous les participants de ces événements ont été surpris par la rapidité des enchaînements. Ils croyaient être entrés dans une crise qui durerait un certain temps avec de nombreux épisodes et ils se sont trouvés en guerre en quelques jours[11]. »
Jaurès pensait donc aussi avoir le temps de venir soutenir Marius Moutet à Lyon, d’autant plus que ce type de déplacement s’inscrit de manière très usuelle dans son activité politique. En effet, Jaurès répond à de multiples et diverses sollicitations, et la chronologie de ses déplacements à travers la France depuis son élection comme député socialiste à Carmaux en 1893 est très longue ! Il est ainsi venu plus d’une trentaine de fois dans les départements qui formèrent bien plus tard la région « Rhône-Alpes ».
Le discours de Vaise nous rappelle, en définitive, que « le caractère national du rayonnement de Jaurès ne lui vient pas, et de très loin, seulement de Paris, ni même du Languedoc[12] ».
Focus : Jean Jaurès, Marius Moutet et Georges Lévy La réunion du 25 juillet 1914 illustre aussi les liens existants entre Jaurès et certains hommes politiques locaux. Ainsi Jaurès a-t-il eu l’occasion de rencontrer Marius Moutet et sans doute aussi Georges Lévy, bien des années auparavant. En premier lieu, Marius Moutet et Georges Lévy sont de la même génération : le premier est né en 1876 et le second en 1874. Tous deux militent à la fin des années 1890 dans les rangs des étudiants socialistes de Lyon et viennent à la politique dans le contexte de l’affaire Dreyfus. Le groupe des étudiants socialistes de Lyon fait partie de la Ligue d’action et de défense républicaine, créée le 8 octobre 1898, qui organise de nombreuses réunions dreyfusardes. Elle invite notamment Jaurès pour un grand meeting le 23 octobre 1898 à Lyon qui eut un retentissement très important. Dans l’entretien qu’il donne au Mouvement social, publié en avril-juin 1962, Moutet en parle en ces termes : « Jaurès vint parler pendant “l’Affaire”, devant un public énorme, 10 000 à 15 000 personnes. » Le temps écoulé depuis les faits amène sans doute Moutet à amplifier les choses, car elles étaient en réalité 4000, ce qui est toutefois considérable, d’autant que plusieurs milliers de personnes ne purent entrer et restèrent à l’extérieur de la salle. En second lieu, Moutet et Lévy sont de fervents partisans de l’unité socialiste et les deux hommes s’opposent à ce sujet à Victor Augagneur, maire socialiste de Lyon entre 1900 et 1905. Moutet contribue à la création de la fédération socialiste SFIO du Rhône en 1905 et en devient l’un des principaux militants. Or, le 24 juin 1905, Jaurès vient participer au meeting d’ouverture du congrès départemental de cette fédération nouvellement et difficilement unifiée, née le 15 mai précédent. Jaurès connaît Marius Moutet qui affirme dans l’entretien publié par Le Mouvement social : « Je suis allé parfois chez lui, notamment pour lui demander de prendre la parole aux funérailles de Francis de Pressensé, en janvier 1914. »
À Vaise, Jaurès fait l’éloge du candidat qu’il est venu soutenir en ces termes : « Vous l’avez vu à l’œuvre dans votre région, vous connaissez sa valeur intellectuelle, sa valeur morale, sa force de travail et de dévouement à l’œuvre d’émancipation ouvrière et de propagande socialiste. » Le 25 juillet 1914, Georges Lévy, secrétaire de la Fédération socialiste du Rhône, est aux côtés de Marius Moutet et de Jean Jaurès et, quelques jours plus tard, le 30 juillet, les deux hommes politiques lyonnais prennent la tête d’une manifestation pour la paix, place Bellecour. Leurs chemins se séparent avec la Première Guerre mondiale : Moutet, élu député de la 6 e circonscription du Rhône le 2 août 1914, adhère très rapidement et avec ferveur à l’Union sacrée, avant d’évoluer vers le courant « centriste » animé par Jean Longuet. En revanche, Georges Lévy, mobilisé comme médecin militaire dans l’armée d’Orient, rapatrié en 1915 en raison d’une crise de paludisme, rallie très tôt les rangs des socialistes qui rejettent l’Union sacrée. En 1920, la question de l’adhésion à la III e Internationale est une nouvelle source de discorde entre les deux hommes : Moutet est de ceux qui refusent l’adhésion (il signe avec Blum, Auriol, Renaudel notamment, le manifeste qui se prononce en ce sens). En revanche, Georges Lévy s’y montre très favorable. Dans les années 1920, Marius Moutet se montre très assidu aux commémorations jaurésiennes. Il assiste à plusieurs réunions organisées par la Fédération du Rhône pour l’anniversaire de la mort de Jaurès, mais il est aussi présent à l’inauguration de monuments dans diverses régions de France, comme à Carmaux en juin 1923, où il lit une page de Jaurès à l’occasion de l’inauguration du groupe sculpté par Georges Pech, ou à Dole le 24 janvier 1924 notamment, en tant que « député du Rhône, délégué du Parti socialiste ».
Avec l’amiral Louis Jaurès et Léon Jouhaux, il est au nombre des personnalités qui prennent alors la parole pour l’inauguration du monument Jaurès. Georges Lévy n’est pas en reste. On relève à diverses reprises sa présence aux conférences-concerts régulièrement organisées par les communistes à Villeurbanne dans les années 1920 pour Jean Jaurès 1914 l’anniversaire de l’assassinat de Jaurès.
Avec la signature du pacte d’unité d’action en 1934 et la mise en place du Front populaire, Jaurès devient un symbole de cette union des gauches et Georges Lévy compte parmi les personnalités présentes aux commémorations unitaires organisées à Lyon pour lui rendre hommage et en faveur de la paix le 3 août 1935 (il est alors un des orateurs qui s’expriment dans la nouvelle Bourse du travail), et le 31 juillet 1937 (lors du grand rassemblement qui réunit vingt mille personnes dans le quartier de Perrache).
Les années suivantes marquent le retour à la division des gauches, mais Georges Lévy poursuit sa contribution mémorielle notamment au travers d’articles jusqu’à la veille de la déclaration de la Seconde Guerre mondiale.
Ainsi, les trajectoires, à bien des égards similaires dans le militantisme politique de ces deux hommes jusqu’à la Grande Guerre, se séparèrent ensuite et leurs carrières politiques furent inégales. Moutet fut député du Rhône puis de la Drôme de 1914 à 1936, puis de 1945 à 1947, avant de devenir sénateur, il fut aussi ministre des Colonies dans les deux cabinets Blum du Front populaire et redevint ministre sous la IV e République ; Lévy devint député du Rhône en 1919 puis il fut à nouveau élu en 1936 dans la circonscription de Villeurbanne dont il fut nommé maire à la Libération, avant d’être battu en 1947[13]. Mais ils firent partie de ces hommes politiques locaux qui approchèrent et admirèrent Jaurès et ils restèrent, en définitive, chacun à leur manière, des acteurs de la mémoire jaurésienne. En juin 1959 encore, alors qu’il préside comme doyen d’âge l’Assemblée de l’Union de l’Europe occidentale à Strasbourg, Marius Moutet affirme dans son discours : « Je ne puis jamais oublier qu’il y a quarante-cinq ans, je suis entré dans la vie parlementaire sous les auspices d’un grand homme de la naissance de qui nous allons célébrer bientôt le centenaire : Jean Jaurès. Et si je tiens à le citer, ce n’est pas parce que socialiste mais parce que ses avertissements, au cours de mon élection, quelques jours avant qu’il soit assassiné le 31 juillet 1914, sont de ceux qui aujourd’hui encore doivent être médités[14]. »
[1] Aujourd’hui, Vaise se trouve dans le 9 ème arrondissement de Lyon.
[2] Le Progrès, 25 juillet 1914.
[3] Gilles Candar, Jean Jaurès, justice d’abord !, Éditions Le Monde, coll. « Les rebelles », Paris, 2012, p. 181.
[4] Voir le focus consacré à Jaurès, Moutet et Lévy.
[5] Gilles Candar, op. cit., p. 181.
[6] Marius Moutet a d’abord été un fervent partisan de l’Union sacrée, avant d’évoluer vers le courant « centriste » constitué autour de Jean Longuet (information transmise par Gilles Candar). Georges Lévy a très vite rallié le courant des « minoritaires ».
[7] « Médecin des pauvres », Lévy s’est établi à Oullins depuis 1900.
[8] Archives départementales du Rhône, 4M268, rapport du commissaire spécial, 1 er août 1920.
[9] Le Progrès, 31 juillet 1922.
[10] Voir, par exemple, l’article « Les enseignements de la guerre du Golfe », paru dans L’Humanité du 13 mars 1991.
[11] « La II e Internationale et la guerre », Les Internationales et le problème de la guerre au XX e siècle, Publications de l’École française de Rome, 1987, p. 17.
[12] Madeleine Rebérioux, « La caricature politique et Jaurès vivant », dans Jaurès et ses images, Paris, Société de bibliologie et de schématisation, 1985, p. 23.
[13] Cf. les notices sur Marius Moutet et Georges Lévy dans le Maitron.
[14] Archives départementales de la Drôme, La Volonté socialiste, 27 juin 1959
Source: Fondation Jean Jaurès. 31 juillet 2020.
Michel Onfray. Sa sombre vision du … “monde d’après »
Invité le 17 juillet du think-tank et de la web TV Thinkerview, Michel Onfray a abordé de nombreux sujets en détails. Parmi ceux qui lui tiennent le plus à coeur, après avoir évoqué l’actualité politique et “la France de Macron”, le philosophe a enchaîné longuement sur … la décadence de la civilisation européenne: “Nous allons disparaître, l’Occident va disparaître”, estime-t-il, ajoutant: “La France en est à un stade de coma et de mort avancé”.
«Nous allons disparaître, l’Occident va disparaître. Il n’y a aucune raison pour qu’il puisse continuer à durer», martèle-t-il, expliquant que “la déchristianisation et la mort de Dieu sont parmi les vecteurs du déclin de l’Occident”.
«Le christianisme ne fonctionne plus»
“Le christianisme ne fonctionne plus chez les chrétiens: ils ne croient plus au purgatoire, à l’Enfer, à la parousie, à Satan, à l’eucharistie, à la virginité de Marie… […] Tout ce qui était dogmatique, tout ce qui supposait une foi a disparu. […] On a un Pape qui est un boy-scout, qui nous dit qu’il faut aimer ceci ou cela, sauver la planète. C’est Greta Thunberg sans la transcendance: ce qui fait le fond de notre civilisation est épuisé”.
Michel Onfray explique que bien sûr, la déchristianisation n’est pas la seule raison dudit déclin: “l’appétence contemporaine pour la déconstruction serait à l’origine du phénomène”, ajoute-t-il.
“Nous sommes dans une civilisation de l’épuisement. Nous n’aimons que ce qui nous déteste, tout ce qui nous détruit est perçu comme formidable”, dit-il, évoquant … “une passion pour la déconstruction”: “Il faut détruire la vérité, l’Histoire”.
Combattre la décadence jusqu’au bout
S’affirmant déterminé à combattre jusqu’au bout cette décadence, le cofondateur de Front Populaire reste sombre: S’il ne croit pas “qu’on pourrait changer véritablement les choses”, il affirme la nécessité de Résister: “Mais il faut résister, tenir debout”, et refuser “l’avachissement, la génuflexion”.
Répétant ce pronostic sombre d’une France rendue à “un stade de coma et de mort avancé”, Onfray avance que “l’état de barbarie” observé actuellement serait en phase de générer une autre civilisation, “fruit d’une connivence inconsciente entre ceux qui prétendent défaire l’ordre mondial, idiots utiles du capitalisme, et les individus disposant d’une richesse planétaire”.
Créée en janvier 2013, Thinkerview est une émission-débat française indépendante lancée en janvier 2013, proche du milieu du hacking, animée par Sky. L’émission diffuse de longues entrevues sans montage, avec des personnalités d’horizons différents, sur sa chaîne YouTube suivie par plus de 600 000 abonnés.

L’ennemi est déjà dans la place
La « cancel culture », cette effrayante intolérance progressiste
Les déboires récents de J.K. Rowling, l’auteur de Harry Potter, boycottée par des militants adeptes de la théorie du genre, peuvent sembler aussi grotesques qu’éloignés de nous. Après avoir lu une bien curieuse prose dans le Monde cette semaine, Jeremy Stubbs nous met en garde: l’ennemi est déjà dans la place.
Quand nous pensons à la censure, à la confiscation de la liberté de parole, nous pensons en priorité aux exemples historiques des régimes autoritaires ou théocratiques, aux témoignages vécus comme celui de Soljenitsyne, ou aux transpositions dans la fiction comme celle, aujourd’hui archétypique, du 1984 d’Orwell.
Dans chaque cas, il s’agit d’un carcan linguistique et intellectuel imposé par un État centralisé, hiérarchique et dominateur. Mardi dernier, dans une lettre ouverte publiée sur le site de la revue américaine, Harper’s Magazine, plus de 150 membres de l’intelligentsia internationale, surtout anglo-américaine, mettent en garde contre une forme de censure inédite exercée par des minorités – ou pour leur compte – qui se prétendent dépourvues de tout pouvoir politique, économique et médiatique. Parmi les signataires, on trouve des noms illustres d’écrivains, d’universitaires et de journalistes tels que Salman Rushdie, Garry Kasparov, Margaret Atwood, Martin Amis, Noam Chomsky, Stephen Pinker, Malcolm Gladwell ou Jonathan Haidt. Étrangement, ils appartiennent autant à la gauche qu’à la droite du spectre politique.
La France souffre du syndrome du village d’Astérix. On croit que, quel que soit le vent de folie qui souffle depuis les pays anglophones, la Gaule résistera…
La portée de cette lettre est suffisamment significative pour qu’elle soit publiée simultanément dans les presses allemande, espagnole, japonaise et française – en l’occurrence, dans le Monde, fait sur lequel nous reviendrons.
Selon les auteurs, la nouvelle censure qui s’exerce dans les universités, les maisons d’édition, les médias et même les entreprises, se caractérise par une « intolérance à l’égard des opinions divergentes », un « goût pour l’humiliation publique et l’ostracisme » et une « tendance à dissoudre des questions politiques complexes dans une certitude morale aveuglante. » Il s’agit d’exclure du discours public à la fois certains points de vue et les voix qui les portent. L’idéologie au nom de laquelle ces prohibitions sont imposées est le woke, ce politiquement correct dopé aux stéroïdes ; la stratégie adoptée par ses partisans est la cancel culture, littéralement « la culture de l’annulation » ou « du boycott » Quels en sont les tenants et aboutissants ?
Le woke, d’un mot anglais voulant dire « éveillé » ou « vigilant », constitue une sorte de tétraèdre aux quatre facettes, chacune représentant une opposition manichéenne : la race, montant les noirs contre les blancs (toutes les autres ethnies sont invitées à se ranger du côté des noirs) ; le féminisme, montant les femmes contre les hommes ; la sexualité, montant les homos contre les hétéros ; et le genre, montant les transgenres et autres non-binaires contre les cis, c’est-à-dire tous ceux qui ne se catégorisent pas comme les premiers. Chaque facette est inséparable des autres ; les militants de l’une sont solidaires des autres. Dans chaque opposition, le second groupe – les blancs, les hommes, les hétéros et les cis – est considéré comme ayant tort de par son existence même. Cela s’appelle le « privilège » blanc, masculin et/ou hétéro. Tout le système est placé sous le signe du vieux marxisme révolutionnaire : il s’agit de saisir le pouvoir dans tous les pays, de détruire le capitalisme et de renverser l’ordre social. Quant à la cancel culture, elle se justifie de la manière suivante : des groupes qui, au cours de l’histoire, auraient été privés d’opportunités pour s’exprimer, qui auraient été « silencés », ont le droit aujourd’hui de « silencer » à leur tour tous ceux qui expriment une opinion contraire à la leur.
Si, dans le monde fictif de 1984 ou le monde réel de la Chine contemporaine, l’imposition de la pensée unique est « top down », dictée d’en haut par un gouvernement, la cancel culture est « bottom up », promue par de simples militants – quoique avec l’appui d’un grand nombre des vrais privilégiés, les peoples, vedettes et autres m’as-tu-vu qui, étant majoritairement blancs, hétéros et cis, ressentent le besoin de se faire bien voir en dénonçant publiquement tout écart doctrinal de la part de leurs semblables.
La cancel culture est une métonymie. Au début, il s’agissait bien pour les partisans du woke de faire annuler, par des campagnes de protestations, des événements tels que des conférences ou des débats universitaires auxquels participaient des penseurs dont les idées pouvaient provoquer une détresse psychique insupportable chez les bien-pensants. L’exemple classique en est celui du Canadien Jordan Petersen, professeur de psychologie, grand pourfendeur des idéologies politiquement correctes et auteur du bestseller, 12 règles pour une vie (Michel Lafon, 2018). L’année dernière, l’université anglaise de Cambridge, qui lui avait proposé un poste de chercheur invité, a retiré son offre suite à une campagne de dénonciation organisée par des étudiants et des membres de la faculté. Pas de liberté académique pour les ennemis de la liberté woke.
Pourtant, après la simple annulation, l’action des woke s’étend à des appels à boycotter un(e) tel(le) de façon permanente. En particulier, toute déclaration publique contraire à l’esprit woke, qu’elle provienne d’une personnalité médiatisée ou même parfois d’un simple quidam, suscite une campagne vindicative et haineuse sur les médias sociaux. C’est ce qu’on appelle le « pile on. » Ici, l’exemple classique est celui de l’auteure de la série Harry Potter, l’anglaise J. K. Rowling, elle-même assez bien-pensante, plutôt de gauche et pro-Union européenne. En décembre dernier, elle publie un tweet où elle défend une employée d’une ONG virée pour avoir soutenu que des trans femmes, nées donc avec une physiologie masculine, ne sont pas des femmes de la même manière que des femmes nées avec une physiologie féminine. Dans le tollé qui suit, elle est dénoncée comme une « TERF », abréviation pour « Trans Exclusionary Radical Feministe » ou « Féministe radicale opposée aux transgenres. » De simple acronyme descriptif, cette monosyllabe est devenue une injure qui met fin à tout débat. Au mois de juin, elle récidive et le torrent d’insultes et d’appels au boycott de ses livres reprend avec une force décuplée, menée par les activistes purs et durs suivis par des peoples, en l’occurrence les comédiens rendus célèbres par les adaptations de ses romans. Le « pile on » a deux caractéristiques essentielles. La première est un mélange d’hyperbole outrancière et de chantage émotionnel. Voici le contenu d’un tweet typique d’une trans femme californienne : « Soyons clairs : ce que prônent J. K. Rowling et d’autres TERFs c’est la torture et la mise à mort des jeunes trans. » La deuxième est le recours à des torrents d’injures où l’argumentation intellectuelle joue peu de rôle. Au cours du véritable déferlement de haine virtuelle qui s’abat sur elle, J. K. Rowling, femme et victime dans le passé de violences conjugales, est inondée des pires grossièretés misogynes. C’est presque rassurant : le vieil ordre patriarcal reste présent même chez les militants woke.
La France souffre du syndrome du village d’Astérix. Ici, on croit que, quel que soit le vent de folie qui souffle depuis les pays anglophones, la Gaule résistera. Faux. L’ennemi est déjà dans la place. La publication de la tribune des 150 par le Monde peut sembler un acte de solidarité en faveur de la liberté de parole par ce quotidien à la gloire sans doute passée, mais non dépourvu d’un certain prestige. Pourtant, tout dans sa façon de présenter le texte constitue un désaveu paradoxal.
Le titre en anglais est littéralement « Une lettre sur la justice et le débat ouvert. » En revanche, le titre du Monde est « Notre résistance à Donald Trump ne doit pas conduire au dogmatisme ou à la coercition. » Il y a certes une référence passagère à M. Trump dans le texte, mais ce n’est pas du tout une polémique gauchiste contre lui. Enfin, après la tribune vient une véritable mise en garde éditoriale dans le journal français. Citant des groupes d’intellectuels qui ne sont jamais nommés, omettant tout exemple précis, le Monde affirme que le vrai danger provient, non de la gauche radicale mais de l’extrême droite et des « suprématistes blancs », avant de rappeler que Donald Trump lui-même a dénoncé récemment la cancel culture. Le message aussi clair que contradictoire : la tribune a été écrite surtout pour dénoncer Donald Trump mais par des auteurs qui sont proches de sa façon de penser ultra-conservatrice. Cette aporie logique empreinte de mauvaise foi est dans le plus pur esprit woke.
La « cancel culture » débarque en France. Connaissez-vous la cancel culture, cet autodafé moderne et inclusif que la presse féminine entend importer chez nous ?
Entre deux pages de publicité et les photos de mode, le magazine Stylist se pique de décrypter la société. C’est un gratuit qui prétend être bien ancré dans son époque. “Conscient” et “engagé”, il est distribué devant les bouches de métro. En priorité aux cadres dynamiques de sexe féminin, qui, en le glissant sous le bras, se gardent de quoi se remplir le cerveau pendant leur heure de table.
L’un de leurs derniers articles est consacré à la “cancel culture”. Quesaco ? Le sous-titre nous donne un indice : “Aujourd’hui, les personnalités publiques aux comportements polémiques risquent de passer directement par la case annulation”. Cette mode venue d’outre-Atlantique serait en train de déferler sur la France, ce dont le journaliste se réjouit. “Dorénavant, dès que quelque chose ne nous plait plus, on peut l’annuler dans la minute : forfait de téléphone, course Uber, abonnement Netflix. Alors pourquoi ne pas annuler aussi les humain.e.s?” se demande, en écriture inclusive, la plume de Stylist.
Comme les régimes communistes du siècle dernier, qui réécrivaient sans cesse le passé pour le rendre conforme aux normes idéologiques du présent, la cancel culture entend éliminer tout ce qui disconvient à sa moraline.
Voici quelques-unes de ses cibles :
• l’humoriste Kevin Hart a été évincé de la présentation des Oscars en 2019 parce qu’il aurait posté des blagues ou propos déplaisants envers les homosexuels, dix ans plus tôt. Annulé.
• Kevin Spacey, soupçonné d’abus sexuels, a disparu de la série House of Cards dont il incarnait le héros principal. Mieux, l’acteur est carrément effacé de scènes du film All the Money.
• Polanski, R. Kelly, Woody Allen: pour des affaires fort lointaines et également en dessous de la ceinture, la cancel culture travaille d’arrache-pied à les « annuler ».
• Antoine Griezmann, qui a fait un “blackface” en se grimant en basketteur noir de la NBA s’est rapidement confondu en excuses. Heureusement, car la meute était prête à le lyncher. La cancel culture (sur)veille…
• Michael Jackson, le roi de la pop lui-même, à la suite d’un documentaire à charge, s’est vu totalement déprogrammé des playlists de nombreuses radios américaines. Jugé et condamné post mortem à cause d’accusations de pédophilie.
Chaque jour, la liste s’allonge… On reconnaitra aisément les victimes de la cancel culture en France: elles ne seront plus reçues par Yann Barthès. Certains, comme Ladj Ly, ne sont pas touchés par la cancel culture – et Causeur s’en félicite ! Dans notre univers d’ados attardés, la carte banlieue vaut sans doute immunité…
Ne reculant devant aucun moyen, même légal, la cancel culture est un sport de combat.
Ses armes de prédilection contre les déviants : le lynchage médiatique et la chasse sur les réseaux sociaux. Selon les propres mots de Stylist, les phalanges de « social justice warriors » qui s’y adonnent représentent la “figure du.de la justicier.ère progressiste et radical.e (…) obsédé par la notion de pureté militante, parfois jusqu’à l’absurde”. Dans la même veine, un nouveau métier connaît un inquiétant essor : les “sensitivity readers”.
Leur noble tâche est d’éviter aux maisons d’éditions d’être taxés de racisme, de sexisme ou d’homophobie. Charlie Hebdo a aussi enquêté sur le sujet. On ne dira plus qu’il n’y a pas de sot métier.
Même Barack Obama, pourtant dans le camp progressiste, s’est ému de ce déferlement de censure. Fin octobre, lors d’une conférence à Chicago, il déplorait que les adeptes de la cancel culture fassent si vite marcher le pilori sur les réseaux sociaux. Il leur reproche en outre de ne pas s’investir dans la vraie vie. Les médias ont repris l’information en boucle au point que la phrase “Obama cancels “cancel culture” est devenue populaire. Mais cela n’a pas empêché le journaliste du New York Times Ernest Owens de critiquer les vues tr§s « boomer » d’Obama sur le sujet. La liberté d’expression serait-elle une relique hors d’âge vénérée des seuls baby-boomers ? En tout cas, les jeunes censeurs nous mettent dans le pétrin.
Les soutiens idéologique et pécuniaire surprenants de « Black lives matter »
Après les GAFA, de grands groupes industriels soutiennent le mouvement Black Lives Matter. Les réseaux sociaux et les multinationales font cause commune avec ce mouvement racialiste à la mode.
Que penser de Mercedes qui lutte contre le racisme en repeignant en noir ses monoplaces pour la saison prochaine de Formule 1 ? Que penser de l’Oréal qui renonce à l’utilisation des mots « blanc » et « blanchissement » pour tous les produits qui servent précisément à blanchir la peau ? Bref, que penser de ce vent d’antiracisme qui souffle sur les multinationales ? Tous les secteurs sont concernés : l’agroalimentaire, avec la disparition du grand-papa noir Uncle Ben’s, le cinéma avec le retrait par HBO de la vidéo d’« Autant en emporte le vent », la distribution avec Amazon qui soutient Black Lives Matter (BLM)… etc.
Que des marques mondiales surfent sur des thèmes sociétaux – déforestation, travail des enfants, développement durable – pour promouvoir leur produits ou leur image n’a rien de nouveau. Mais en endossant l’idéologie antiraciste, c’est un combat politique qu’elles ont décidé de mener.
L’affaire Twitter-Trump-Facebook est particulièrement éloquente à cet égard. Le 26 mai Twitter a censuré un tweet de Donald Trump dans lequel ce dernier exprimait ses craintes que le vote par correspondance génère des fraudes électorales massives (en sa défaveur).
Hostiles au « populisme » de Donald Trump qui arrête l’immigration et oblige les entreprises américaines à quitter la Chine pour se recentrer sur le sol des États-Unis, l’élite économique et financière américaine aurait-elle envie d’enrayer le processus en cours ?
Quelques jours plus tard, le meurtre de George Floyd par un policier blanc a déclenché des émeutes à Minneapolis, qui ont amené le président américain à lancer un avertissement aux émeutiers. « Les pillages seront immédiatement accueillis par des balles » (« looting », « shooting »). Considérant que Donald Trump venait de déclarer sa « haine » à la communauté noire, Twitter a censuré le message présidentiel.
Tous les regards se sont alors tournés vers Facebook. Le réseau social géant riche de deux milliards d’internautes allait-il suivre Twitter et censurer les messages – les mêmes que sur Twitter – de Donald Trump ? Visiblement gêné, Mark Zuckerberg a décidé de ne pas censurer Donald Trump.
S’est alors enclenchée une incroyable réaction en chaîne. Sous la pression des associations antiracistes américaines (NAACP notamment), les très grands annonceurs de Facebook (Unilever, Levi’s, Coca-Cola, Starbucks, Adidas, Procter & Gamble, Apple et bien d’autres) ont bloqué leurs budgets publicitaires sur le site. Pas un jour ne passe sans que cette liste des entreprises qui boycottent Facebook ne s’allonge.
Mais à travers Facebook, c’est Donald Trump qui est visé. Le président américain tire sa force des relations directes qu’il entretient avec son électorat à travers les réseaux sociaux (Twitter et Facebook principalement, mais aussi Reddit, Snapchat, Viber…). Au cœur de la campagne électorale américaine, les grandes entreprises américaines tentent donc d’inciter Facebook à couper Donald Trump de sa base électorale. Fin juin, sous prétexte de lutte contre le discours de haine, la plateforme Reddit a, supprimé « r/The_Donald », un groupe pro-Donald Trump créé en 2016 equi comptait près de 800 000 membres. La plateforme Twitch, contrôlée par Amazon (Jeff Bezos, PDG d’Amazon est un ennemi déclaré du président américain) et la plateforme Viber ont emboité le pas de Twitter et Reddit en censurant certains des messages de Donald Trump.
Certains diront que les grandes entreprises se sont toujours engagées en faveur de tel ou tel candidat. En réalité, les grandes entreprises ont pendant longtemps financé aussi bien le candidat républicain que le candidat démocrate. Elles mettaient des billes dans les deux camps. Aujourd’hui, drapeau antiraciste au vent, les multinationales américaines ont entrepris de dézinguer le candidat républicain.
L’affaire George Floyd, concomitante de l’affaire Facebook, indique que ce tournant antiraciste est bien plus qu’une simple posture marketing. En dépit des déclarations très violentes du mouvement marxiste noir Black Lives Matter, Amazon est allé jusqu’à annoncer son soutien au mouvement sur les pages d’accueil « La vie des Noirs compte », a déclaré Netflix sur Twitter sur Disney, la Fox et la plateforme de films Hulu ont également fait un signe à BLM. Apple Music s’est jointe à la campagne «Black Out Tuesday» pour sensibiliser les gens aux problèmes d’inégalité ethnique systémique. Les marques de bonbons Gushers et Fruit by the Foot se sont associées pour condamner la brutalité policière et « se tenir aux côtés de ceux qui luttent pour la justice ». Nike, Apple, Microsoft ont suivi Amazon et versent à Black Lives Matter des sommes à sept chiffres.
Le soutien apporté par les grandes entreprises américaines à Black Lives Matter est un soutien à un mouvement révolutionnaire qui compte des milices dans cinquante États, qui occasionnent des violences aux côtés des Antifas et qui affirme que le racisme est systémique aux États-Unis. Voir les multinationales américaines soutenir un mouvement noir qui s’attaque aussi radicalement à l’Amérique, à son histoire et à sa culture a de quoi surprendre.
Dans les années 1930, les industriels allemands finançaient le parti nazi dans l’espoir d’en finir avec le parti communiste allemand, avec les résultats que l’on sait. Hostiles au « populisme » de Donald Trump qui arrête l’immigration et oblige les entreprises américaines à quitter la Chine pour se recentrer sur le sol des États-Unis, l’élite économique et financière américaine aurait-elle envie d’enrayer le processus en cours et d’empêcher la réélection de Donald Trump ?
Cory Maks, chercheur en sciences politiques et maitre de conférences à l’Université George Washington, constate depuis 2008 une augmentation spectaculaire de l’activisme des grandes entreprises sur ces sujets liés à la race, à l’immigration et aux droits des LGBT. Il explique ce phénomène par le fait que les dirigeants des grandes entreprises sont issus de l’élite riche traditionnellement plus progressiste socialement que les pauvres. Cette élite progressiste a tendance à utiliser le pouvoir économico-politique de leurs entreprises en faveur de buts qui vont « bien au-delà des intérêts économiques de cette entreprise ». L’action des patrons de Twitter, Amazon, Apple, Netflix et de bien d’autres apporte la preuve que cette élite économique a une idéologie politique personnelle à promouvoir.
Dans un article intitulé « Les sauveurs blancs de l’Amérique » publié sur tabletmag.com, le chercheur Zach Goldberg montre que sur les questions de justice raciale et de justice sociale, « les progressistes blancs sont touchés par un progressisme si radical qu’ils sont aujourd’hui le seul groupe démographique d’Amérique à afficher un parti-pris qui place les intérêts d’autres groupes ethniques au-dessus des intérêts de leur propre groupe ethnique ». Goldberg estime que les progressistes blancs américains font aujourd’hui passer les intérêts des minorités de couleur et des immigrants avant leurs propres intérêts et avant l’intérêt des Etats-Unis eux-mêmes.
Des sondages menés par le Roper Center for Public Opinion ont montré que les perceptions des progressistes blancs sur les discriminations subies par les Noirs sont en évolution rapide. Ainsi, de 1996 à 2010, le nombre de progressistes blancs qui considéraient que les discriminations infligées aux noirs représentaient un motif de préoccupation « très sérieux » était stable (27% en 1996 avec un léger déclin à 25 % en 2010). Mais à partir de 2010, le tournant s’amorce et en en 2015, les progressistes blancs sont 47% à s’horrifier des discriminations subies par les noirs. En 2016, ils sont 58%.
Sur un sujet similaire, le traitement judiciaire des Noirs, les mêmes évolutions se remarquent. En 1995, 2000, et 2007, un progressiste blanc sur deux estimait que la justice traitait aussi équitablement les noirs que les blancs. Mais en 2014, 70% des progressistes blancs estimaient que la justice affichait un « parti pris négatif » envers les noirs tandis que le pourcentage de ceux qui affirment que les noirs sont « judiciarisés équitablement » est tombé à 20%.
Ces progressistes blancs sont frappés de ce que le politologue Eric Kaufman a appelé le « millénarisme multiculturel », soit la croyance que la disparition de la majorité blanche ouvrira la voie à une société plus progressiste et plus juste sur le plan racial. C’est pourquoi le soutien apporté par certaines catégories de progressistes blancs à l’immigration et à l’ouverture toujours plus grande des frontières coïncide avec la critique toujours plus acerbe des « privilèges blancs » et cet étonnant soutien à Black Lives Matter.
Le bon sens inciterait à tourner ces mouvements de pensée en dérision. Mais on aurait tort. Le millénarisme finit rarement en fête familiale. Cette révolte des progressistes blancs est moins balisée, moins évaluée et étudiée en France et en Europe, qu’elle ne l’est aux États-Unis. Les chiffres et les études manquent. La révolte des progressistes blancs n’a pourtant rien d’exclusivement américain, elle existe ici aussi et est tout aussi virulente. La prise en main des rues par nos Black Blocks, la prise en main des universités par nos islamo-gauchistes sont là pour le prouver.