Le tombeau du Rav Encaoua

Rabbi Ephraïm ELNKAOUA (1359-1442) : Le RAB de Tlemcen. Par Berkane Isaak (Tlemcen) – extraits

Le  Rabb Ehraïm Aln’Kaoua qui est inhumé à Tlemcen, est l’un des rabbins  les plus prestigieux du judaïsme algérien. Par la noblesse de ses  sentiments, l’étendue de son savoir, la fascination qu’il exerçait sur  sa communauté, il a été considéré en son temps comme  » la lumière  d’Israël «  et, après plusieurs siècles sa mémoire est toujours évoquée  avec vénération.
Né en 1359, à Tolède, l’un des foyers rayonnants de la culture juive en  Espagne, Ephraïm Aln’Kaoua est le descendant d’une lignée de rabbins  talmudistes et thaumaturges. Son père, Rabbi Israël, Grand Rabbin de  Tolède, confia l’éducation de son fils à des maîtres éminents qui lui  enseignèrent bien des branches du savoir. Lui-même étudia la médecine à  l’Université de Palencia (Nouvelle Castille).
Mais après la Reconquista, l’Espagne vivait une époque troublée. Les  tracasseries contre les Juifs étaient entretenues par le Tribunal de  l’Inquisition. Des flambées d’antisémitisme provoquées par le clergé  local contraignirent bien des juifs à la conversion ou à l’exil. Ainsi,  en 1390 l’archidiacre Don Martinez Fernand d’Ecija du diocèse de  Séville, bien qu’excommunié, lança l’ordre aux clercs du diocèse de  démolir les synagogues. A Séville aussi, en 1391, une émeute populaire  dirigée contre les collecteurs d’impôts juifs entraîna la mort de deux  mille personnes. Le père du Rabb, Rabbi Israël, convaincu de pratiquer  en secret le judaïsme, fut arrêté, jugé et brûlé vif. Pour échapper à la  persécution, le Rabb Ephraïm avec tant d’autres abandonna l’Espagne et  se réfugia au Maroc. Il fut vite adopté par la communauté de Marrakech.  Quelques mois plus tard, il quitta cette ville hospitalière pour se  rendre à Hanaïm, port où aboutissait la route de l’or et des esclaves,  mettant en relation le Soudan à Tlemcen. Le Rabb arriva dans cette ville  en 1391, et la légende renchérit en précisant « sur un lion avec  serpents pour licol ».
Encore que leur présence soit attestée dès le premier siècle avant notre  ère, les Juifs de la région de Tlemcen n’avaient pas le droit de cité  dans cette capitale des rois Beni-zeyâne. Ils devaient séjourner  seulement en banlieue, à Agadir. Un événement fortuit améliora leur  situation. Le sultan Abou Tachfine dut faire appel à l’art médical du  Rabb Ephraïm car sa fille se trouvait dans un état désespéré. Le Rabb la  guérit miraculeusement, il sollicita pour ses coreligionnaires la  possibilité d’édifier la première synagogue d’El Khessaline,  l’autorisation de séjour pour des juifs d’Espagne, de Majorque, du  Maroc. La communauté juive s’installa alors non loin du Méchouar,  prospéra, organisée autour de dix-sept synagogues.
Entouré de la vénération générale de la population de Tlemcen, après  avoir répandu des marques de sagesse et de sainteté, le Rabb Ephraïm  Aln’Kaoua s’éteignit en 1442 à quatre-vingt deux ans. Avec la trentaine  de membres de sa famille il repose en un lieu de rêve, prédestiné pour  traverser l’éternité, au milieu des jardins où l’on ne peut entrer sans  émotion, dans un silence à peine troublé par le piaillement des oiseaux.

Au bout d’une allée bordée d’arbres, sur une longue pierre tombale  blanchie à la chaux est gravée une vieille épitaphe en hébreu :  » Ici  repose celui qui fut notre orgueil, notre couronne, la lumière d’Israël,  notre chef et maître, versé dans les choses divines, homme miraculeux,  le Grand Rabbin Ephraïm Aln’Kaoua. Que son mérite nous protège « .

Son traité philosophique, Chaar Kevod Hachem (A la gloire de l’Éternel), dans la tradition de Maïmonide, nous renseigne sur la finesse de sa pensée, et son testament religieux reste d’une étonnante actualité :  » Je vous laisse deux sources : la source d’eau pour fortifier votre corps et la source de la Tora qui symbolise la vie éternelle. La source d’eau offerte par la volonté de D… et la source de la Tora qui demande la bonne volonté de chacun de nous « . La communauté dispersée en France est consciente que les rabbins de Tlemcen demandent pour elle la miséricorde divine.
Rares sont les Tlemcéniens qui ignorent la vie du vénéré Rabb de Tlemcen, même si histoire et légende y donnent souvent libre cours, sans qu’on puisse toujours distinguer l’une de l’autre, les grandes lignes de son existence sont bien connues.
Ce qu’on connaît moins c’est l’action en profondeur menée par le Rabb Ephraïm Aln’Kaoua pour doter sa communauté de toutes les institutions nécessaires à l’existence d’une Kéhila. Cette activité nous est rapportée par le célèbre rabbin voyageur du XVIII ème siècle Haïm Joseph David Azulaï.
Synagogues (17), maisons d’étude, écoles rabbiniques, écoles élémentaires, bains rituels, fours rituels (pour les matzots), maisons de retraite, rien ne devait manquer, grâce aux initiatives persévérantes de son Rabb à la communauté ainsi développée. Mais c’est surtout au Beth-Din, au tribunal rabbinique que le Rabb devait réserver l’essentiel de son attention. Essentiel pour l’exercice des actes religieux – mariages, divorces, abattage rituel – le Beth – Din devait rendre des services remarquables à la communauté de Tlemcen. Désormais, c’est le Tribunal Rabbinique créé par le Rabb qui devait remplir activement son rôle, tant dans les affaires civiles que pénales, pour Tlemcen et pour toutes les communautés environnantes.
A la tête de ce tribunal composé de cinq « Dayanim » (juges) devait siéger Rabbi Yéchoua Halévi Kanfonton. Auteur d’un précieux guide pour l’étude du Talmud : « Les voies de la Guemara » (Darke Haguemara) Kanfonton, qui influença un autre grand maître de Safed, le célèbre Joseph Caro, auteur de notre code des trois Choulkhan Aroukh, fut enterré à proximité immédiate de la famille du Rabb ; sa tombe devait être découverte il y a une cinquantaine d’années par le Dayan de Tlemcen R. Joseph Messas.
Des relations singulières devaient s’instaurer entre le tribunal, l’école du Rabb de Tlemcen et les autres communautés d’Afrique du nord et même de pays plus éloignés. Mais ces relations furent particulièrement étroites avec la communauté d’Alger qui avait pu bénéficier depuis 1392 du guide exceptionnel en la personne de Ribash (Isaac bar Sheshet Barfat, 1326 – 1408) et du Rachbatz (Simon bar Bemah Duran, 1361 – 1444). Ce dernier avait la particularité d’être comme le Rabb de Tlemcen, à la fois rabbin et médecin.
Jusqu’à la fin du XVIII ème siècle, ses descendants devaient jouer un rôle prédominant comme rabbins et dirigeants de la communauté d’Alger. Parmi eux, le petit-fils de Rachbatz, Zehrah B. Salomon Duran devait épouser la petite-fille du Rabb de Tlemcen, fille de Juda Aln’Kaoua, marquant ainsi un lien indissoluble entre ces deux grandes communautés d’Algérie.
L’auteur de ces lignes est heureux d’avoir eu le privilège d’exercer son ministère dans ces deux communautés. Mais c’est à Tlemcen qu’il aura eu ses plus grandes joies, celles de poursuivre et de développer au sein de la synagogue de l’école et de la Yechiva qui portent son nom, l’oeuvre qui fut si magnifiquement commencée en cette fin du XIX ème siècle et pouruivie au fil des siècles.Quelle plus belle satisfaction d’avoir pu, sans relâche, enseigner la Torah à des centaines et des centaines d’élèves, dans cette belle ville de Tlemcen baignée par les sources de la Tafna, mais aussi arrosée par les sources inépuisables de la foi, de la tradition et de culture du Judaïsme.

www.judaicalgeria.com