Science
La campagne de vaccination contre le Covid-19…
…débute dimanche 27 décembre 2020
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2020, année la plus meurtrière de l’Histoire des États-Unis.
Et en France ?

En France, va-t-on avoir une année particulièrement meurtrière ou la plus meurtrière de l’histoire, comme aux Etats-Unis ?
La France est dans une situation différente des Etats-Unis car la France n’a pas connu de croissance démographique très importante durant le XXe siècle, la fécondité diminue et le pays a connu des crises de mortalité très fortes liées aux guerres mondiales. On est monté à près de 800.000 décès lors de certaines années. Les records de mortalité liés aux guerres ne seront pas battus. En France il y a un phénomène structurel, depuis une quinzaine d’années, de montée des décès. En 2004, on a eu 509.429 décès et en 2019, 599.408 donc une augmentation de près de 100.000. Cela s’explique par l’arrivée progressive des générations très nombreuses du baby-boom à un âge avancé. Depuis 2015, le nombre de décès est à son maximum depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. En 2020, il y avait une hausse prévisible pour des raisons structurelles mais la crise du Covid va accentuer cette hausse. On va avoir environ 40.000 à 50.000 décès supplémentaires, même si on n’a pas encore les chiffres exacts. On va donc avoir un record autour de 640.000 décès, soit un chiffre assez proche des données de 1945. On avait eu 643.899 décès et on peut penser qu’on sera autour de ce chiffre. La tendance structurelle est donc fortement accentuée par la surmortalité due au Covid. Ce qui devrait conduire à une baisse de l’espérance de vie.
L’espérance de vie va donc baisser en 2020 ?
Oui, c’est sûr. Je ne sais pas exactement de combien, peut être d’une demi-année. Ces dernières années elle continuait de progresser. On avait gagné environ deux ans chez les hommes ces dix dernières années, un peu moins chez les femmes. Cette espérance de vie devrait réduire plus fortement chez les hommes apparemment, puisqu’ils ont été plus touchés par les cas graves de Covid.
Y-a-t-il un risque que ces tendances conjoncturelles aient des effets de long-terme ?
Le premier effet c’est que les gens qui sont décédé cette année à cause du Covid et qui n’auraient pas dû décéder, par définition, ne décéderont pas l’année prochaine ou dans deux ans. Si le Covid venait à ne plus être mortel, on pourrait s’attendre à ce qu’il y ait une sous-mortalité dans les prochaines années, plutôt en 2022. Cela n’est vrai que si l’on parvient à stopper la pandémie. Tant qu’elle sera là, on aura une surmortalité plus ou moins importante. Toutefois, le Covid a tué des personnes qui seraient décédées dans les dix-huit mois qui suivaient, même sans la pandémie, mais il tue aussi des gens qui ne seraient peut-être décédés que dix ans plus tard donc on peut penser que même si la situation améliore, ce pic restera et ne sera pas entièrement lissé. Il sera peut-être atténué en partie.
Par ailleurs, le nombre de décès se rapproche dangereusement du solde de naissance, ça a un impact sur le solde naturel. La croissance démographique de la France est tirée par l’excédent des croissances sur les décès. Un pic de mortalité, parallèlement à une baisse des naissances, sous-entend que la croissance démographique sera en berne en 2020. Toutefois, pour les prochaines années, la tendance à la baisse de la natalité est moins assurée que la hausse des décès, parce que les enfants des années 2000 vont commencer à avoir des enfants. Mais la hausse des décès est portée par les baby-boomers car ils n’ont pas encore atteint l’âge moyen des décès, à 80 ans. On devrait approcher 700.000 bientôt. 2020 va nous paraître exceptionnel en terme de nombre de décès, mais ce nombre sera courant d’ici une dizaine d’années.
« Ceux qui bénéficient de la laïcité ne la défendent pas »
Le silence comme les critiques de la laïcité sont les résultats de campagnes mondiales – surtout en anglais et dans le monde universitaire.
Karima Bennoune, rapporteuse spéciale des Nations unies, raconte son combat parfois solitaire pour défendre la laïcité auprès des instances internationales (entretien initialement publié par Le Point). Par Clément Pétreault
Y a-t-il encore quelqu’un pour défendre la laïcité et le sécularisme auprès des instances internationales ? Pour Karima Bennoune, rapporteuse spéciale des Nations unies dans le domaine des droits culturels, la laïcité – et le sécularisme qui en résulte – n’ont pas franchement la cote auprès des organismes internationaux, où siègent de nombreux représentants qui ne dissimulent pas leurs convictions religieuses, notamment lorsqu’il est question des droits des femmes. Plus inquiétant encore pour cette professeure de droit à l’université de Californie à Davis, la laïcité fait aussi l’objet d’un contre-discours véhiculé par des milieux universitaires anglophones, qui perçoivent essentiellement cette spécificité française comme une entrave au fait religieux. Karima Bennoune est née et a grandi en Algérie et aux États-Unis. Elle a publié Votre fatwa ne s’applique pas ici, (Temps Présent Éditions), un récit basé sur les témoignages de plus de 300 personnes dans 30 pays, qui s’opposent aux fondamentalismes. Consultante pour l’Unesco avant de devenir rapporteuse dans le domaine des droits culturels pour l’ONU, Karima Bennoune défend la laïcité comme un préalable aux droits de l’homme.
Le Point : Comment est comprise la laïcité dans des instances internationales comme l’ONU ?
Karima Bennoune : Il est assez rare qu’une instance de l’ONU se prononce explicitement au sujet de la laïcité, sauf de temps à autre pour la critiquer, notamment sur la question du voile. En tant que rapporteuse spéciale dans le domaine des droits culturels à l’ONU, j’ai toujours souligné l’importance de la laïcité [traduite par « secularism » en anglais, NDLR] comme condition préalable aux droits humains. Ces prises de position ne sont pas exactement considérées comme politiquement correctes à l’ONU. Mais j’insiste, car la laïcité en tant que principe de séparation entre l’État et la religion est, entre autres, un élément puissant dans la lutte contre les idéologies extrémistes et fondamentalistes qui visent les femmes. J’ai écrit dans un rapport que la laïcité « ménage aux femmes et aux minorités un espace qui leur permet de critiquer ces idéologies et d’exercer leurs droits culturels sans discrimination. La laïcité se manifeste sous diverses formes, dans toutes les régions du monde ». La laïcité n’est pas l’athéisme et j’aime la définition qu’en donne la féministe indienne Gita Sahgal : « La laïcité ne signifie pas l’absence de religion, mais renvoie plutôt à une structure étatique qui défend tout à la fois la liberté d’expression et la liberté de religion ou de conviction, où il n’y a pas de religion d’État, où la loi n’est pas d’inspiration divine et où les acteurs religieux ne peuvent imposer leur volonté sur les politiques des pouvoirs publics. » Elle n’oppose pas « les croyants et les laïques, mais les antilaïques et ceux qui ont des valeurs laïques », et ce n’est pas un détail !
Comment expliquer ce silence de l’ONU autour de la laïcité ?
Il me semble que le silence comme les rares critiques de la laïcité sont les résultats logiques de campagnes mondiales – surtout en anglais et dans le monde universitaire – contre la laïcité. Malheureusement, ces positions sont très à la mode dans certains milieux, y compris parmi certains défenseurs des droits humains en Occident, et surtout parmi ceux qui travaillent en anglais. Cela accroît la responsabilité des défenseurs de la laïcité qui doivent continuer à s’exprimer à haute voix, même quand cela ne semble pas convenable. Nous avons besoin d’une coalition des laïques aux Nations unies, une coalition capable de défendre ces valeurs avec vigueur. J’ai beaucoup de reconnaissance à l’égard des féministes françaises qui ont insisté pour que la France soutienne mon rapport à l’Assemblée générale sur les fondamentalismes et les droits culturels des femmes, mais dans l’ensemble nos efforts actuels sont plutôt ponctuels et nous avons besoin de les systématiser. Il est facile de se plaindre ou de critiquer, mais ce n’est pas suffisant… Nous avons besoin de travailler ensemble au-delà des frontières linguistiques, et j’espère que nous tisserons davantage de liens entre ceux qui travaillent en français et ceux qui mènent des combats similaires ailleurs et dans d’autres langues. La laïcité devrait être envisagée comme préalable systématique aux droits humains.
Estimez-vous la laïcité en danger ?
Absolument et partout. Les menaces fusent de toutes parts. Politiques, populistes, religieux, universitaires… Il y a bien évidemment la menace que constituent les mouvances fondamentalistes qui sont apparues dans le sillage de toutes les grandes traditions monothéistes du monde, mais il ne faut pas négliger les ravages de la vision woke (« éveillée ») qui a engendré les thèses postmodernes ou « postcoloniales » que l’on voit fleurir partout, notamment à l’université. De manière générale, je suis frappée par le fait que beaucoup de ceux qui bénéficient de la laïcité dans leur vie quotidienne ne la défendent pas.
Justement, est-elle défendue ?
Absolument et partout ! Et surtout par celles qui aimeraient bien bénéficier de la protection qu’elle peut offrir. Bien souvent, ce sont des féministes d’Afrique du Nord ou d’Asie du Sud qui sont en première ligne dans ce combat. Je me souviens d’une conversation marquante avec une militante pour les droits des femmes, fille d’un imam au Niger, alors que je menais des recherches pour mon livre Votre fatwa ne s’applique pas ici. Elle me parlait des islamistes de son pays et me disait : « Ces types font peur aux gens. Ils ont des ambitions politiques. La laïcité, c’est une manière de leur barrer la route. » Cela est tout aussi clair pour les féministes polonaises dans le contexte que l’on connaît. Heureusement, le combat laïque est mené par des militants tout autour du monde, comme c’était le cas de mon regretté père, Mahfoud Bennoune.
Est-ce un combat dangereux ?
Oui, ce combat pour la laïcité est dangereux dans bien des situations. Lorsque je suis allée aux Maldives en mission pour l’ONU en 2019, j’ai rencontré les familles de deux jeunes laïques maldiviens : Ahmed Rilwan, poète et journaliste, porté disparu en 2014, et l’auteur satirique et blogueur Yameen Rashid. Rashid, qui a mené une campagne implacable pour retrouver son collègue Rilwan après sa disparition, fut assassiné en avril 2017 à l’âge de 29 ans. L’assassinat de Rilwan par un groupuscule lié à Al-Qaïda après son enlèvement a été confirmé, en 2019. Si nous voulons faire avancer la laïcité au niveau mondial, nous avons besoin d’agir ensemble pour mettre fin à ces tragédies innombrables et soutenir tous les Rilwan et Rashid, dans toutes les régions du monde ! Nous devons travailler en réseau au niveau international pour soutenir les laïques, pour que nul ne milite et ne se sacrifie dans l’obscurité. Quand ces militants tombent – dans n’importe quel pays du monde –, nous avons la responsabilité de commémorer leur travail et de le continuer. Nous avons besoin de briser les murs de solitude dans laquelle travaillent nombre de nos collègues défenseurs des droits humains et de la laïcité. Je pense très fort à Mohamed Cheick Mkhaitir, courageux blogueur mauritanien qui a été condamné à mort pour « blasphème » et ensuite emprisonné pendant 5 ans et 7 mois pour son combat contre l’utilisation de la religion pour justifier l’esclavage… Il continue à courir des risques et reçoit des menaces même en exil en France actuellement. Malgré cette expérience, il est en train de créer une association intitulée Vision laïque africaine (Vilaf) pour promouvoir la laïcité en Afrique. Il faut le soutenir !
Y a-t-il une compétition des modèles de société au sein des institutions internationales ?
Oui. Et je déplore que des arguments relativistes se retrouvent dans des textes de résolutions des Nations unies. J’ai évoqué cette question dans mon rapport pour l’assemblée générale de 2018, à l’occasion du 70e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme. L’universalisme est actuellement la cible de multiples attaques, notamment de la part de certains gouvernements, y compris ceux qui font un usage impropre de la culture et des droits culturels en guise de justification. Cette situation est porteuse de multiples défis pour la jouissance de tous les droits humains. Compte tenu des nombreuses attaques, il est nécessaire d’aller au-delà des platitudes. Nous avons besoin d’un renouvellement fondamental de l’universalisme, lequel devrait non seulement rappeler l’émancipation et les droits qu’il a permis d’obtenir, mais également de penser à la manière dont on va pouvoir renouveler la promesse avec la participation des nouvelles générations.
Les athées sont-ils représentés et leur avis est-il pris en compte ?
Oui. Encore une fois, je tiens à souligner que l’athéisme et la laïcité ne sont pas synonymes, et parmi les laïques que j’ai rencontrés partout dans le monde, il y a aussi beaucoup de croyants et de pratiquants. Il existe des ONG qui défendent les droits des athées, comme Humanists International, qui est très actif dans l’écosystème onusien. Leur travail est très important, mais, hélas, les fondamentalistes et les partisans du conservatisme religieux sont plus nombreux dans ces espaces – surtout quand on parle des droits des femmes – et ils ont beaucoup plus de ressources et de soutien, y compris étatiques. Je suis heureuse de constater que mon collègue Ahmed Shaheed, rapporteur spécial sur la liberté de religion ou de conviction, souligne toujours la liberté de religion… « ou de conviction » parce qu’il a bien compris l’importance d’inclure la question des droits des « personnes areligieuses » aux débats.
Vous parliez de relativisme culturel. Cette notion, notamment défendue par de nombreux progressistes, ouvre-t-elle la voie à des formes religieuses radicales et sectaires ?
Oui, sans aucun doute. La résurgence du relativisme culturel – à droite comme à gauche – représente une menace sérieuse sur les droits humains, y compris les droits des femmes et des minorités. J’ai rédigé un rapport sur les fondamentalismes et les droits culturels en 2017 dans lequel je tente de rappeler quelques principes, notamment celui qui veut que les « droits culturels ne signifient pas relativisme culturel. Les droits culturels n’excusent pas la violation d’autres droits de l’homme, ne justifient pas la discrimination ou la violence, n’autorisent pas l’imposition d’identités ou de pratiques à d’autres personnes ou leur exclusion de ces identités ou de ces pratiques en violation du droit international. Ils sont fermement ancrés dans le cadre universel des droits de l’homme ». Une de mes préoccupations majeures en ce moment porte sur la progression du relativisme culturel et les tentatives répétées de placer les particularismes au-dessus des normes universelles. Le relativisme culturel a été répudié par le droit relatif aux droits de l’homme et ne devrait être toléré dans aucun contexte, en particulier à l’ONU et dans les organes de défense des droits de l’homme… chaque pratique, norme et tradition culturelle doit résister à l’épreuve des droits de l’homme universels et montrer sa capacité à promouvoir et à entretenir la dignité humaine pour être légitime. Pourtant, ce relativisme culturel se retrouve régulièrement présent dans les forums des Nations unies et dans les universités.
Vous considérez que les droits de l’homme résistent mal à la revendication identitaire particulariste ?
Certains défenseurs du colonialisme et certaines personnes se considérant comme « postcoloniales » ont parfois utilisé des arguments similaires pour justifier leur relativisme culturel.
En réalité, le relativisme culturel n’est pas une simple construction théorique, les exclusions de la protection des droits qu’elle cherche à créer ont des conséquences graves, parfois mortelles… Avec mon livre, Votre fatwa ne s’applique pas ici, j’ai analysé les luttes des personnes de culture musulmane contre l’islamisme. Plusieurs fois, des « esprits critiques » occidentaux autoproclamés progressistes m’ont suggéré de renoncer à la notion de « droits humains » dans le cadre de la lutte contre l’islamisme, car il s’agirait d’une « notion occidentale » qui « ne s’applique pas aux musulmans ». Cette position concorde en fait plutôt bien avec le point de vue des fondamentalistes. N’est-il pas choquant d’affirmer que 1,5 milliard d’habitants de la planète ne remplissent pas les conditions requises pour avoir des droits ?
Covid-19 : le dispositif d’aide à l’isolement se précise
Des médiateurs vont être recrutés pour accompagner le rendu des examens.

Ces nouveaux intervenants seront recrutés parmi les professionnels et étudiants en santé, les secouristes ou des jeunes, en service civique ou orientés par Pôle emploi.
Droits et devoirs
Une fois le test effectué, ces derniers, en plus d’amorcer le traçage des cas contact, devront remplir des missions de conseil et d’information sur l’isolement. Ils seront chargés de faire signer à toute personne positive ce qu’Olivier Véran a appelé une « charte », soit une sorte de déclaration sur l’honneur matérialisant son engagement à observer la période d’isolement. D’après la note que le JDD a pu consulter, ce « formulaire », encore à l’étude, comportera les « droits et [les] devoirs ».
Les personnes infectées se verront alors proposer un dispositif d’aide à l’isolement qui prendrait la forme d’un suivi à distance par les brigades de l’Assurance maladie, mais surtout de visites à domicile effectuées par des équipes pluridisciplinaires. Celles-ci seront composées d’infirmiers libéraux et d’intervenants sociaux provenant des caisses centrales d’activités sociales ou d’associations. Leur mission : tester les membres d’un même foyer, dispenser des conseils et proposer un « accompagnement matériel » pour les courses ou la garde d’enfant ainsi que des possibilités de relogement.
D’après la note, afin de pouvoir faire transiter les « données personnelles » des personnes dépistées aux différents acteurs, « une plateforme de régulation du dispositif d’accompagnement » sera mise en place.
Covid-19 : pourquoi nous allons nous en sortir
…un éclairage nouveau sur la façon dont nous nous adaptons aux pathogènes.
Un ouvrage du médecin et sociologue Nicholas Christakis. Par Peggy Sastre*

Médecin et sociologue, spécialiste des manifestations contemporaines des archaïsmes de la nature humaine, directeur de l’Human Nature Lab et codirecteur de l’Institute for Network Science à l’université Yale, Christakis a tiré profit de la fermeture de son université, en mars, et de six mois de confinement dans le Vermont pour écrire ce qui tient à la fois de la chronique, quasiment au jour le jour, de la progression de la pandémie dans le monde, mais aussi de l’analyse – frôlant parfois la méditation – inscrivant le Covid-19 dans le temps long de l’histoire évolutive humaine. Une histoire accompagnée depuis ses origines par des fléaux sanitaires qui, comme de juste, exacerbent le meilleur comme le pire de notre espèce. En un mot, l’ouvrage de Christakis nous aide non seulement à comprendre ce à quoi nous sommes aujourd’hui confrontés, autant biologiquement que socialement, mais parce qu’il décrit également comment les humains ont fait face à des menaces similaires dans le passé, il nous envoie un message d’espoir : nous allons nous en sortir.
Similitudes avec la grippe russe de 1889-1890
Mais qu’on ne s’y trompe pas, Apollo’s Arrow n’est en rien un manuel de relativisme. Avant de vaincre le virus et de revenir à une vie normale – que Christakis envisage pour 2024, si un vaccin efficace voit le jour au premier semestre 2021 –, nous souffrons et nous allons encore beaucoup souffrir. De fait, ce qui frappe en premier lieu à sa lecture, ce sont les similitudes entre la pandémie de Covid-19 et les « pestes » du passé. Malgré les progrès indéniables réalisés depuis un siècle en matière de médecine, d’assainissement, de communication, de technologie et, globalement, de science, cette pandémie apparaît comme aussi funeste que ses prédécesseurs. Christakis note : « Des morts solitaires. Des familles incapables de dire adieu à leurs proches ou d’organiser des funérailles et de faire convenablement leur deuil. Des moyens de subsistance détruits et des scolarités qui s’engluent dans un retard possiblement irrattrapable. Des queues pour la soupe populaire. Du déni, de la peur, de la tristesse et la douleur. »
L’un des parallèles les plus saisissants est sans doute celui que Christakis tire avec la grippe dite « russe » de 1889-1890. Outre la proximité de la manifestation physique de la maladie – un tableau très variable et hétérogène fait de symptômes pulmonaires, de troubles gastro-intestinaux ou encore de douleurs musculaires et articulaires – les points communs socioculturels sautent aux yeux. À Londres, la rumeur se répand quant à la responsabilité du télégraphe – qui vient à l’époque tout juste d’apparaître, comme les antennes 5G aujourd’hui – dans la propagation de l’épidémie. Et alors que les hôpitaux et les morgues débordent, un article anonyme du Lancet consigne en 1890 « une tendance croissante parmi les personnes les plus instruites à considérer l’épidémie comme quelque chose de presque trop vulgaire pour être pris au sérieux, une idée qui est souvent poussée à l’extrême en croyant le mal susceptible d’être traité avec dédain par des remèdes maison et par un déploiement suffisant de maîtrise de soi ».
« Cible mouvante »
Fort de son expérience de spécialiste de la santé publique, ayant œuvré à plusieurs interventions sanitaires dans le monde informées par l’analyse des réseaux et la sociologie des phénomènes sociaux, mais aussi d’ancien médecin hospitalier en poste dans un service de soins palliatifs, Christakis est l’un des premiers aux États-Unis à prendre conscience de la gravité de la pandémie en janvier 2020. À la fin du mois, il aura réorienté toutes ses équipes à Yale pour suivre la « cible mouvante » qu’est le Sars-CoV-2, l’agent pathogène du Covid-19. En collaboration avec des collègues chinois, son laboratoire publie une première étude exploitant les données des téléphones portables de millions d’individus en Chine pour suivre la propagation du virus en janvier et février 2020. C’est à ce moment-là qu’il réalise que tout ce qu’il observe en Chine – les hôpitaux dépassés, les gens assignés de force à résidence, les écoles qui ferment, les parois en plexiglas qui fleurissent partout et les moyens du bord pour freiner la maladie, comme des accessoires pour ne pas toucher les poignées de porte ou les boutons d’ascenseur – déferlera dans le reste du monde.
Il faudra cependant attendre le 11 mars, soit environ quatre mois après le surgissement estimé du virus dans notre espèce, pour que l’OMS l’annonce officiellement comme pandémique. À cette date, Christakis et ses équipes se sont déjà attelés à la planification d’analyses sur la biologie et l’impact du virus à Copan, une région isolée du Honduras, rassemblant les données de près de 30 000 personnes dispersées dans cent soixante-seize villages. Parallèlement, ils ont également commencé à étudier comment les rassemblements de masse, comme les élections et les manifestations, influent sur la propagation du virus à travers les États-Unis. En mai 2020, ils mettront au point l’application Hunala, exploitant la science des réseaux et des techniques d’apprentissage machine pour offrir à ses abonnés une évaluation individuelle de leur risque infectieux et les inciter à moduler leur comportement en fonction.
Une des meilleures armes
S’il ne prétend évidemment pas à l’exhaustivité sur le Covid-19 – à l’heure où il met la dernière touche à son livre, en août 2020, Christakis admet ses inconnues biologiques, cliniques, épidémiologiques, sociales, économiques et politiques, tout en augurant une deuxième vague plus violente que la première – le panorama que nous offre Apollo’s Arrow sur nos plus vieux ennemis, les pathogènes, démontre combien cette guerre perpétuelle nous aura dotés d’une des meilleures armes pour, si ce n’est les annihiler, faire en sorte que la cohabitation se passe du mieux possible : des ressources sociales littéralement exceptionnelles dans l’ordre du vivant. Et si l’apparition d’un virus émergent a de quoi creuser de nouvelles divisions, elle galvanise également des possibilités nouvelles de coopération « Lorsqu’une contagion mortelle fait rage, écrit Christakis, il est dans l’intérêt des plus forts de s’occuper des plus faibles. Et un contrôle efficace de la maladie, par définition, place les besoins du collectif avant ceux des individus. »
Lire aussi Ces pandémies de grippe que la France a oubliées
Comme les flèches d’Apollon pleuvant sur Troie, les épidémies finissent toujours par se taire, notamment parce qu’il est dans l’intérêt biologique du virus de circuler à bas bruit dans une population plutôt que de tuer tout ce qui bouge et lui avec une fois ses hôtes disparus – il y a ainsi de fortes chances que la grippe russe de 1889-1890 soit aujourd’hui devenue l’une des souches de nos rhumes hivernaux les plus inoffensifs. Mais aussi parce qu’en nous mettant à l’épreuve et en nous rappelant combien rien n’est jamais acquis, elles nous permettent de nous améliorer.
*Peggy Sastre
Journaliste scientifique, essayiste et docteure en philosophie des sciences
À retenir
La pandémie que nous subissons n’est pas la première que subit l’humanité, loin de là. Dans la mythologie grecque, c’est Apollon qui punissait ses ennemis par le biais d’épidémies. C’est de cette légende dont Nicholas Christakis s’inspire pour le titre de son livre sur la pandémie de Covid-19, une chronique des événements qui secouent le monde depuis la fin de 2019 et du rôle de Christakis lui-même dans la lutte contre la maladie.
Publication analysée
Nicholas A. Christakis, 2020, Apollo’s Arrow : The Profound and Enduring Impact of Coronavirus on the Way We Live, Little, Brown
Pour aller plus loin
Anonyme, « The Influenza Pandemic », The Lancet, 1890
O.J. Benedictow, The Black Death, 1346 – 1353: The Complete History, Boydell & Brewer, 2004
F.M. Snowden, Epidemics and Society : From the Black Death to the Present, Yale University Press, 2019
L. Spinney, Pale Rider : The Spanish Flu of 1918 and How It Changed the World, Public Affairs, 2017
Personne ne commet d’attentat en hurlant «Dieu n’existe pas !»
Marlène Schiappa s’en prend à la gauche « bobo »
La ministre à la Citoyenneté défend le projet de loi sur les séparatismes et s’en prend à la gauche « bobo », qui a renoncé au combat laïque. Propos recueillis par Clément Pétreault
Lorsqu’on lui demande qui incarne la laïcité, elle répond sans hésitation : « Moi ! » Marlène Schiappa, ministre déléguée chargée de la Citoyenneté, se définit aussi comme « ministre de la Laïcité » dans un gouvernement qui a décidé de placer cette thématique au cœur de son action. Elle est remontée contre cette gauche persuadée de voir des racistes partout et des laïques nulle part, cette gauche submergée par une vague de relativisme culturel et compulsivement obsédée par la défense de minorités perçues comme des opprimés qu’il faudrait absolument protéger des forces réactionnaires. Marlène Schiappa n’épargne pas non plus ses anciens amis du Parti socialiste qui ont récemment décidé d’assumer leurs valeurs laïques et revient en détail sur l’esprit du texte qui a été présenté le 9 décembre – journée anniversaire des 120 ans de la loi de 1905 – en conseil des ministres.
Le Point : Comment est-on passé d’une lutte contre l’islamisme, puis contre le séparatisme, à un projet de loi « confortant les principes républicains » ? Faut-il y voir la marque d’une hésitation ?
Marlène Schiappa : Non, il y a simplement un cheminement pour trouver le vocabulaire auquel adhèrent les Français, ce qui n’est pas forcément facile, car on n’a pas nommé ces sujets depuis longtemps. On parle de communautarisme, un terme qui reste assez confus, car il y aura toujours quelqu’un pour vous expliquer que le communautarisme n’est pas dangereux et vous faire remarquer qu’il existe un communautarisme breton ou corse… Ce qui est peut-être vrai, mais qui ne précède pas nécessairement à une idéologie terroriste. Le président de la République a su trouver dans son discours des Mureaux les termes qui cernent au mieux la manière dont une idéologie participe d’un projet contraire aux valeurs de la République et sert parfois de marchepied vers des actes violents. Parler de séparatisme permet de désigner le phénomène de ceux qui se mettent en marge de la société au nom de leur religion et qui, pensent-ils, pourraient s’exonérer de respecter les lois de la République. Voilà comment nous sommes arrivés à ce terme, traduit de manière positive en loi « confortant les principes républicains ».
Ces idéologies d’extrême gauche procèdent à une inversion des valeurs et essaient de faire passer pour des révolutionnaires des gens qui défendent des coutumes moyenâgeuses
Ce texte marque-t-il « l’offensive payante » des « laïcards », comme l’écrit Le Monde ?
On voit se dessiner deux camps autour de la laïcité – pour faire bref, l’un républicain et l’autre multiculturaliste –, chacun revendiquant la justesse de son interprétation de la loi de 1905. Est-ce un clivage qui vous semble valable et opérant pour expliquer ces débats ?
Oui, en partie. Il y a toujours une part de caricature dans ces débats, c’est ce que j’ai essayé d’expliquer dans le livre Laïcité, point ! que j’ai coécrit avec Jérémie Peltier. Cela étant dit, je ne vous cache pas que j’ai du mal à garder mon calme quand je vois des tenants d’une laïcité soi-disant « apaisée » expliquer que « laïcistes » et « islamistes » seraient la même chose… Je le redis, on n’a jamais tué quelqu’un au nom de la laïcité, personne ne commet d’attentat en hurlant « Dieu n’existe pas ! Je vous interdis de croire en Dieu ». C’est un fait, la majorité des attentats qui ont lieu dans le monde dans cette période sont des attentats islamistes. Quand je vois ces mêmes tenants d’une laïcité dite « apaisée » faire des articles pour expliquer que lutter contre la polygamie, les mariages forcés et l’excision, c’est être xénophobe… cela marque une terrible inversion des valeurs ! J’ai encore lu cela pas plus tard que ce matin sur le site Révolution permanente, où l’on peut à la fois se prétendre révolutionnaire et défendre des coutumes opprimantes pour les femmes. Comment qualifier des gens qui se présentent comme des défenseurs des immigrés et qui se disent dès la phrase suivante prêts à renoncer aux droits des femmes immigrées ? Je veux être claire : ce n’est pas moi qui risque l’excision, le mariage forcé ou la polygamie, car ce ne sont pas les coutumes qui existent dans la culture dans laquelle j’évolue. Est-ce pour autant une raison pour abandonner à leur sort toutes les femmes qui sont dans des familles qui pratiquent cela ? Je ne pense pas. Ces idéologies d’extrême gauche procèdent à une inversion des valeurs et essaient de faire passer pour des révolutionnaires des gens qui défendent des coutumes moyenâgeuses. Pour ne rien arranger, dans ce grand renversement général, on essaie de faire passer ceux qui luttent contre ces coutumes pour des « islamophobes » et des antimusulmans.
Mais, au fond, ce texte ne concerne qu’une toute petite minorité de comportements… Était-il nécessaire d’employer de si grands moyens législatifs ?
C’est une minorité, certes, mais qui fait des dégâts énormes, par exemple en décapitant un enseignant ou en assassinant trois personnes en prière à Nice… Il y a dans cette loi des décisions indispensables qui vont faciliter la fin du financement des associations ennemies de la République, notamment par l’étranger. Rendez-vous compte, nous avons gelé plus de 500 000 euros sur le compte de Baraka City et plusieurs millions sur celui du CCIF ! Ce sont des sommes colossales au service d’une idéologie qui dispose ainsi d’une vraie force de frappe. Par ailleurs, il y a des enjeux considérables de dignité humaine sur la fin des certificats de virginité, le contrôle des mariages forcés et le refus de la polygamie… L’argument qui consiste à dire que ça ne concerne pas beaucoup de monde est tout simplement faux. On estime à 200 000 le nombre de femmes mariées de force en France, 120 000 femmes excisées, c’est colossal ! Et quand bien même cela ne concernerait que 20 femmes, nous n’aurions pas le droit de les laisser sur le bord de la route.
Comment expliquez-vous que l’idéal républicain ait déserté le tissu associatif, notamment de nombreuses structures d’éducation populaires qui semblent avoir renoncé à la laïcité comme préalable à l’égalité des droits ?
Je pense qu’il y a eu beaucoup de compromissions et de lâchetés aussi… Oui, il y a des syndicats étudiants ou des organisations de parents d’élèves qui sont totalement gangrenés par d’inexplicables sympathies à l’égard de la mouvance islamiste. Les fondateurs de l’Unef se désolent de ce qu’est devenu ce syndicat laïque qui défendait le droit des femmes… On s’y bat aujourd’hui pour permettre aux islamistes de s’exprimer librement. On est assez loin du but d’origine. Les défenseurs de la laïcité n’ont pas réussi à se renouveler au fur et à mesure des générations. Les associations laïques connaissent le même phénomène démographique que les associations féministes ou les loges maçonniques… sauf que l’on voit depuis cinq ans environ l’extrême gauche se réapproprier des combats féministes par exemple, avec un prisme intersectionnel qui n’œuvre pas toujours dans le sens du progrès.
Mais vous en connaissez beaucoup, vous, des jeunes qui ont envie de s’engager pour la laïcité ?
Oui, il y en a plein ! Jérémie Peltier, avec qui j’ai écrit un livre sur la laïcité, vient tout juste d’avoir 30 ans… Il y a des députés trentenaires, des philosophes comme Raphaël Enthoven, bref, beaucoup de gens qui se mobilisent.
Vous venez de la gauche. Votre ancien camp politique a-t-il renoncé à défendre ces valeurs ou c’est vous qui avez changé ?
Sur la laïcité, la gauche a totalement renoncé ! Je suis hallucinée d’entendre mes amis restés au PS qui s’ébahissent d’entendre le premier secrétaire Olivier Faure prononcer le mot « laïcité ». La laïcité d’Olivier Faure, c’est la « laïcité p’têt ben qu’oui, p’têt ben qu’non », un gigantesque robinet d’eau tiède. Je ne vais pas l’applaudir parce qu’il se dandine en prononçant les mots « laïcité » et « république ». Quelques personnes à gauche sont restées courageuses, c’est le cas du maire de Montpellier, un maire qui a fait campagne sur l’écologie et la laïcité sous l’étiquette PS. Il est même convaincu d’avoir gagné grâce à cela. Ces dernières années, la gauche a abandonné la défense de la laïcité à la droite alors qu’à l’origine la laïcité c’est Aristide Briand, c’est Jean Jaurès… c’est la gauche ! Quand on relit les débats sur la loi de 1905, le Parti communiste et la gauche de la gauche défendaient la raison et la liberté religieuse… Aujourd’hui, on a La France insoumise qui défend les islamistes et qui considère que la laïcité serait une manifestation d’un racisme mal digéré, c’est dommage.
Jean-Luc Mélenchon a promis une pluie d’amendements, explique que ce texte est une entreprise de « stigmatisation » des musulmans, une diversion politique…
J’attends que l’on me montre quels passages de ce texte stigmatisent les musulmans. Il n’y en a aucun. En vertu de la loi de 1905, l’État ne reconnaît ni ne salarie aucun culte, voilà pourquoi dans ce texte on ne reconnaît pas et on ne nomme pas les cultes. Il y a des millions de musulmans qui ont un profond respect pour les lois de la République et qui sont très heureux que ce texte permette enfin d’écarter les influences étrangères. La France insoumise, au nom de son obsession pour la stigmatisation, est dans l’aveuglement total. Que propose Jean-Luc Mélenchon pour qu’il n’y ait plus d’attentats islamistes ? Rien.
Certains élus semblent avoir renoncé à la laïcité au profit de « concordats locaux » qui flirtent avec le clientélisme… Que pouvez-vous contre cela ?
Le dialogue et la compromission sont deux choses différentes. Quand on est élu local, on travaille avec des représentants des cultes sur des questions locales dans le cadre de l’urbanisme ou de cérémonies et l’espace public. Si le dialogue est normal, il y a en revanche compromission lorsque ce dialogue se noue autour d’une base de marchandage dans un modèle mafieux, quand on monnaye des voix contre les libéralités, contre des attributions de marchés ou des arrangements opaques…
Certains élus font campagne dans des mosquées pendant que d’autres participent activement ès qualités à des cérémonies religieuses… Je suis personnellement toujours choquée de voir des élus de la nation communier ou porter un voile ou une kippa lors de cérémonies religieuses.
On a découvert avec étonnement que la presse américaine considérait la laïcité comme une forme à peine déguisée de racisme institutionnalisé… Être laïque, est-ce être raciste ?
Je trouve cela extraordinairement incohérent de la part de la presse américaine qui, d’un côté, va défendre à tour de bras le relativisme culturel en trouvant que toute coutume est vraiment « mignonne », y compris le fait de voiler les petites filles… En revanche, cette même presse est incapable de considérer la laïcité comme une spécificité culturelle qu’elle condamne sans appel. La laïcité nous évite d’avoir en France, contrairement aux États-Unis, des groupes de parents qui peuvent officiellement refuser que l’on enseigne à leurs enfants que la Terre est ronde parce que cela heurterait leur sensibilité religieuse… La laïcité nous permet de refuser les offensives religieuses de ceux qui ne veulent pas qu’on enseigne à leurs enfants la biologie et la reproduction au prétexte que leurs enfants devraient rester vierges jusqu’au mariage et ne jamais avoir entendu parler de la reproduction.
Qui pour vous incarne et défend la laïcité en France ? Auriez-vous bien aimé être ministre de la Laïcité ?
C’est ce que je fais, comme l’indique mon décret d’attribution qui prévoit que je suis « chargée de veiller au respect du principe de laïcité ». Évidemment, je ne suis pas seule et nous sommes nombreux au gouvernement à défendre la laïcité, que ce soit Gérald Darmanin, Jean-Michel Banquer, mais aussi des parlementaires, des associations comme la Licra, des loges maçonniques et singulièrement la grande loge féministe de France. Il y a aussi des journalistes comme Caroline Fourest ou Sonia Mabrouk qui font preuve d’un certain courage. Mais ce qui est le plus important, c’est le collectif.
Il y a une indéniable dynamique de sécularisation de la société, mais n’attend-on pas trop des religions qu’elles se réforment et qu’elles renoncent au conservatisme qui fait aussi partie de leur tradition ?
Non, personne n’attend cela ! Les religieux restent des religieux et personne ne leur demande de renoncer à leur croyance ou de défendre ce qu’ils ont envie de défendre, c’est leur droit et ils ont aussi droit au débat public. J’observe par ailleurs que la demande de modernité ne vient pas des laïcs mais des religieux eux-mêmes. Il y a dans la religion catholique Anne Soupa qui a défendu le droit à neuf femmes de candidater pour remplacer le cardinal Barbarin, Delphine Horvilleur dont on connaît l’engagement en faveur du mouvement juif libéral, ou encore l’imame Kahina Bahloul qui s’est beaucoup engagée pour rappeler que le Coran n’oblige pas les femmes à se voiler. C’est la démonstration que la demande de modernité des religions vient de l’intérieur !
La gauche est devenue une gauche bobo, qui écoute France Inter – comme moi –, qui théorise beaucoup, mais qui a perdu pied avec la réalité
L’exécutif auquel vous appartenez est confronté à une crise sanitaire, une crise sécuritaire, une crise sociale… avec à chaque fois des réponses qui encadrent ou restreignent les libertés de circuler, de manifester, d’enseigner ou de travailler. N’avez-vous pas le sentiment de jouer avec le feu ?
C’est une période paradoxale. Le président de la République s’est fait élire sur une promesse de liberté et de libération des énergies… La pandémie a conduit à accepter des restrictions de ces libertés, toujours dans le cadre de l’État de droit et de nos principes démocratiques. Mais la liberté est pour les Français – plus que pour n’importe quel autre peuple – quelque chose de fondamental. S’il y a une vague de déprime importante chez les Français en ce moment, c’est aussi parce que nous sommes un peuple politique, attaché aux libertés qu’on nous enlève. Cela ne se fait pas de gaieté de cœur, personne ne jubile d’avoir à prononcer un couvre-feu, nous n’avons pas été élus pour ça. À la vérité, nous n’avons que de mauvaises options devant nous, il faut choisir la moins mauvaise.
De récentes études ont démontré que les Français se définissaient comme de plus en plus à droite et l’actualité politique a démontré que LREM suivait ce mouvement et modifiait sa base électorale…
Ce serait une erreur de penser que les gens de gauche ne sont pas intéressés par la sécurité ! On a beaucoup sous-estimé l’effet qu’a produit sur l’opinion l’assassinat de Samuel Paty et de ces trois personnes à Nice. Même des Français qui se définissaient comme étant de gauche se sont mis à espérer davantage de sécurité et de laïcité. Encore une fois, je ne suis pas une cible pour les islamistes, je n’ai pas de problème d’insécurité – j’habite au ministère de l’Intérieur –, ce n’est pas moi qui suis confrontée à l’insécurité, mais les classes populaires qui ne choisissent pas leurs conditions de vie. La gauche est devenue une gauche bobo, qui écoute France Inter – comme moi –, qui théorise beaucoup, mais qui a perdu pied avec la réalité.