Terrorisme
Les enseignants confrontés à une contestation en hausse…
…de la laïcité à l’école
En partenariat avec la Fondation Jean Jaurès, l’institut de sondage Ifop a réalisé une enquête publiée ce 6 janvier auprès des professeurs concernant les formes de séparatisme religieux émanant des élèves.
Les résultats montrent que la contestation de la laïcité, en nette hausse, est une réalité à laquelle la grande majorité des enseignants doivent désormais faire face.
Ce mercredi 6 janvier, la fondation Jean Jaurès et l’Ifop publient le premier volet d’un nouveau dispositif d’enquête, « l’Observatoire des enseignants », déclenché en réaction à l’attentat subi par le professeur Samuel Paty : en interrogeant en décembre un échantillon de 801 enseignants, il s’agissait d’obtenir des informations sur la place des contestations de la laïcité dans leur métier, leur moral, leurs conditions de travail et leur vision de la place de la religion dans l’enceinte scolaire. La première salve de cette étude examine donc l’ampleur et la forme des contestations de la laïcité à l’école. Le constat, dressé par Iannis Roder, professeur d’histoire-géographie dans le secondaire et directeur de l’Observatoire de l’Éducation de la Fondation Jean-Jaurès, est clair : les résultats font « apparaître une prégnance conséquente du religieux qui s’est immiscé dans la vie professionnelle des enseignants.»
En effet, pas moins de 80% des professeurs interrogés affirment avoir déjà été confrontés au moins une fois au cours de leur carrière à une revendication liée à des croyances ou pratiques religieuses, dont 59% dans leur établissement actuel. Le phénomène, massif, est aussi en progression, puisque 53% des enseignants au collège ont déjà été l’objet de contestations, contre 46% lors d’une enquête Ifop-CNAL menée en 2018. Un enseignant sur quatre déclare même être régulièrement témoin ou victime d’incidents ayant trait à la laïcité dans son établissement. Contrairement à un préjugé, les difficultés ne sont pas rencontrées uniquement dans les écoles, collèges et lycées de banlieues populaires ; elles y sont certes plus fréquentes, de même que dans des régions comme l’Île-de-France ou le sud-est, mais les revendications religieuses se produisent sur tout le territoire national.
Les incidents liés à la laïcité sont les plus nombreux au collège, où 46% des professeurs en font état, mais le primaire n’est pas épargné (26%), le lycée (38%) encore moins. On retrouve une grande diversité d’anicroches de toutes natures, mais certaines sont plus fréquentes que d’autres, comme les incidents concernant la restauration scolaire ; les jours de classe manqués liés à l’exercice d’un culte ou à la célébration d’une fête religieuse ; les contestations d’enseignements sur la laïcité, la sexualité ou l’égalité entre filles et garçons ; les absences de jeunes filles à des cours de natation ou de sport. Au total, 53% des enseignants ont observé de la part d’élèves des formes de contestation au nom de la religion, et 59% des formes de séparatisme religieux à l’école. L’Ifop a en outre mesuré un cas particulier, celui des cérémonies d’hommage à Samuel Paty, lors desquelles 19% des professeurs (et 34% de ceux qui enseignent en REP) ont constaté au moins forme de contestation ou de désapprobation : justifications des violences, refus de participer à la minute de silence, injures ou provocations… Des chiffres qui tranchent avec les seuls 793 signalements recensés par le ministère de l’Education nationale le 18 novembre dernier.
Une autocensure massive
Face à cette montée en puissance de l’intrusion du religieux à l’école, deux questions se posent aux professeurs : doivent-ils s’autocensurer pour éviter des troubles, et doivent-ils signaler les faits lorsque ceux-ci adviennent ? Parmi les 801 enseignants interrogés par l’Ifop, 49% disent déjà s’être autocensurés dans le secondaire, un nombre en progression sensible : ils étaient seulement 36% en 2018. Par ailleurs, 22% disent s’autocensurer « de temps en temps », contre seulement 10% deux ans plus tôt. En banlieue populaire, ce sont 70% des profs qui déclarent avoir modifié le contenu de leur cours par prudence. Le signalement des incidents est largement répondu, puisque 84% des enseignants interrogés s’y sont prêtés, contre 16% n’ayant rien dit. En revanche, le signalement ne se fait quasiment jamais auprès du rectorat (5%), et pas si souvent auprès de la direction de leur établissement (56%). Une explication pourrait résider dans le manque de soutien dont estiment bénéficier les profs : près de la moitié évoque un « soutien total », 86% un « soutien partiel » au niveau de l’établissement, des chiffres qui descendent à 21% (soutien total) et 54% (soutien partiel) s’agissant du rectorat. C’est auprès de leurs collègues (73%) que les enseignants estiment avoir le plus reçu un appui sans équivoque.
Malgré ces données, l’Ifop note toutefois que le corps enseignant reste en partie divisé sur certaines questions de laïcité : ainsi, si 75% des professeurs estiment que Samuel Paty a « eu raison de faire un cours sur la liberté d’expression en s’appuyant sur des caricatures de presse », 9% pensent qu’il a eu tort, et 15% ne souhaitent pas répondre. La démarche du prof d’histoire-géo tragiquement assassiné est soutenue par les trois quarts des enseignants du public, mais seulement par les deux tiers de ceux du privé ; 40% des professeurs déclarant croire en une religion se rangent du côté des critiques ou des silencieux, de même que 35% de ceux qui enseignent dans les banlieues populaires, « peut-être plus nombreux à penser qu’il faut, à l’école, tenir compte de la sensibilité religieuse des élèves » selon Iannis Roder, de la Fondation Jean Jaurès.

Jacques Julliard : « Vingt ans que la liberté d’enseigner n’existe plus en France »
La liberté finira par triompher, par les armes de l’esprit citoyen et de la vérité. Le meurtre abominable de notre collègue Samuel Paty est pour toute la corporation des historiens, un motif de douleur, mais aussi de fierté. C’est pourquoi, afin de lui rendre hommage, je signe : Jacques Julliard, professeur d’histoire.
Le crime est tellement atroce, le rituel de la décapitation tellement barbare, que nous avons tous envie de nous persuader que nous venons d’atteindre le seuil de l’intolérable et que nous sommes, par conséquent, à un tournant, que la dynamique de l’abominable ne peut que s’inverser.
L’attentat contre la liberté d’enseigner est tellement contraire à notre tradition républicaine et à notre pacte social que, décidément, il ne sera pas toléré, et que le mouvement de l’indignation générale va inverser le sens de l’histoire.
Les paroles du président de la République sur les lieux mêmes du crime, reprenant, à travers le « ils ne passeront pas ! » l’esprit de la résistance antifasciste durant la guerre d’Espagne, font que l’on peut espérer voir enfin le gouvernement prendre des mesures à la hauteur du déni.
Je crains malheureusement que nous ne soyons vite déçus.

Renseignement, rectorats, politique… Conflans : ces petites lâchetés qui ont mené au grand désastre
Samuel Paty a été décapité, le 16 octobre, pour avoir fait son devoir d’enseignant. Au-delà des auteurs directs de l’attentat, son assassinat aura été rendu possible par tous ces renoncements, ces dysfonctionnements et ces couardises qui défont silencieusement notre société. Et si l’on ouvrait les yeux ?
Le mouvement est continu. Devant le collège du Bois-d’Aulne, du matin au soir, la foule défile. Des fleurs, des pleurs, un cahier d’hommages, des policiers aux aguets, des ambulances, des bénévoles de la Protection civile. Ce samedi 17 octobre au matin, une bande de barbus, qu’on n’a jamais vus dans le coin, observaient la scène de loin, pendant que des policiers en civil les photographiaient. À l’intérieur de l’établissement, une cellule d’écoute psychologique. Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines), ses petits pavillons tranquilles, ses terrains de sport et ses allées ensoleillées. Dans l’une d’elles, vendredi 16 octobre, un professeur d’histoire-géographie a été décapité parce qu’il avait fait son devoir. Les élèves qui ont eu Samuel Paty comme professeur ont du mal à parler : « Je ne me suis jamais autant intéressée à l’histoire qu’avec lui » se souvient une élève de troisième. Elle s’exprime lentement, lutte contre l’émotion, avec, de temps en temps, un regard pour sa mère. En 2019, en quatrième, Samuel Paty avait été son professeur principal, et elle l’avait retrouvé avec un enthousiasme que chaque cours confirmait : « Je me rappelle chaque sujet, chaque période, il savait stimuler notre intérêt. L’année dernière, c’était les Lumières. Et ce module sur la laïcité, et sur Charlie Hebdo. Ça n’avait posé aucun problème. Il nous avait bien expliqué avant que cela toucherait à la religion, et que ceux qui éventuellement seraient choqués avaient la possibilité de détourner le regard ou de sortir. Il n’a pas du tout désigné les musulmans. Ce n’était pas son genre, il ne stigmatisait personne. »
La rumeur et le fanatisme, comme un cocktail explosif, ont tué Samuel Paty. Celui qui l’a achevé s’appelle Abdoullakh Anzorov, un réfugié tchétchène tout juste sorti de l’adolescence, dont l’inouïe sauvagerie nous laisse sidérés. Âgé de 18 ans, il a été abattu par la police. Ceux qui ont précipité son lynchage se nomment Brahim C., parent d’élève menteur, et Abdelhakim Sefrioui, un prédicateur fiché pour radicalisation à caractère terroriste. Ils ont été placés en garde à vue, parmi onze personnes. « L’enquête se concentre sur la capillarité entre le tueur et le parent d’élève… Comment l’information a circulé de l’un à l’autre avec, au milieu, Sefrioui » révèle une source gouvernementale. Leur culpabilité pénale devra être déterminée ; leur responsabilité morale ne fait aucun doute. Et puis, il y a des responsabilités plus indirectes. Ces dysfonctionnements qu’on s’est habitué à taire. Ces petits riens qui, mis bout à bout, ont mené au désastre. Les défaillances du renseignement territorial, qui avait conclu dans une note du 12 octobre, à un climat « apaisé ». La couardise des rectorats. L’impuissance de la justice, des politiques, des fonctionnaires. « Pas de vague » qu’ils disaient. Toutes ces lâchetés, toutes ces erreurs, ont mené à l’horreur.
Le CFCM sous tension
Réconcilier l’inconciliable par nature.

C’est la quadrature du cercle pour les musulmans. Réconcilier l’inconciliable par nature. En France les dirigeants ont du mal à comprendre que par définition l’Islam est avant tout la soumission TOTALE et EXCLUSIVE au prophète, ce qui rend impossible toute soumission à d’autres lois. C’est à ce titre que la commission Crémieux avait exclue les musulmans de la nationalité française en 1970. Cent cinquante ans plus tard nos actuels dirigeants semblent ne pas comprendre cette difficulté et rêvent encore d’un Islam de France
Conseil national des imams : Le CFCM juge « inexpliqué » le retrait de la grande Mosquée de Paris
Le président du Conseil français du culte musulman Mohammed Moussaoui juge « inexpliqué » le choix du recteur de la grande Mosquée de Paris
Le président du Conseil français du culte musulman de France a regretté ce mardi la décision selon lui « unilatérale et inexpliquée » de la grande Mosquée de Paris (GMP) de se retirer du projet de Conseil national des imams (CNI). Lundi, le recteur de la grande Mosquée, Chems-Eddine Hafiz, a annoncé sa volonté « de ne plus participer aux réunions qui visent à mettre en œuvre le projet du Conseil national des imams et de geler tous les contacts avec l’ensemble de la composante islamiste du CFCM ».
Le Conseil national des imams (CNI) est un projet poussé par l’Elysée pour permettre de certifier leur formation en France, dans le cadre du projet de loi contre l’islam radical et les « séparatismes ».
Tensions autour d’un projet de charte
La grande Mosquée de Paris a notamment accusé certaines fédérations du CFCM de bloquer les négociations dans l’écriture d’une « charte des valeurs républicaines » qui devait être rendue au gouvernement début décembre.
Des « membres de la mouvance islamiste » ont fait croire « que cette charte avait pour ambition de toucher à la dignité des fidèles musulmans », a accusé Chems-Eddine Hafiz, dénonçant un « mensonge éhonté ». « Une conclusion étonnante et complètement détachée de la réalité », selon Mohammed Moussaoui, qui a assuré que « tout se déroulait normalement ».
Le CFCM dément la version du recteur de la grande Mosquée de Paris
Le président du CFCM a affirmé dans un communiqué que « la dernière mouture de la charte a obtenu l’approbation de l’ensemble des fédérations, y compris celle de la grande Mosquée de Paris » le 15 décembre 2020 et que les différentes fédérations devaient « confirmer solennellement par écrit avant le 30 décembre 2020 leur adhésion au texte final ». Selon lui, « aucune modification » n’a été apportée au texte depuis sa validation le 15 décembre.
Mohammed Moussaoui a appelé « à installer immédiatement le Conseil national des imams et à doter ce dernier des moyens nécessaires à l’accomplissement de sa mission », tout en assurant qu’il souhaitait que la grande Mosquée de Paris « puisse continuer à œuvrer avec ses partenaires du CFCM ».
Le CNI doit délivrer un agrément aux imams en fonction de leurs connaissances et de leur engagement à respecter un code de déontologie.
Au terme d’un mois marqué par une succession de polémiques autour de l’islam, et au lendemain de l’attentat de la mosquée de Bayonne, le Conseil français du culte musulman (CFCM) a annoncé des pistes contre la radicalisation, mardi 29 octobre, et infléchi son discours sur le voile.

En quoi consistent les annonces du Conseil français du culte musulman (CFCM) ?
Dans la foulée de leur rencontre, lundi 28 octobre à l’Élysée, avec le président Emmanuel Macron, qui les a exhortés à « combattre » davantage l’islamisme et le communautarisme, les responsables du culte musulman avaient promis des « annonces très fortes » pour le lendemain. La réunion exceptionnelle du conseil religieux du CFCM, mardi 29 octobre à la Grande Mosquée de Paris, en présence de tous les représentants des fédérations musulmanes, a finalement débouché sur une déclaration en dix points, au ton ferme et apparemment déterminé.
Outre l’attaque de la mosquée de Bayonne par un ancien candidat du Front national (devenu Rassemblement national), la veille, condamnée « avec force » par le CFCM, les deux questions à l’ordre du jour étaient le voile et la détection de la radicalisation. Concernant cette dernière, plusieurs pistes ont été évoquées : la mise en place d’un « conseil de l’ordre des imams », qui délivrerait aux imams une certification qui pourrait leur être retirée en cas de discours contraires aux lois de la République ; mais aussi une réflexion sur les signes de radicalisation religieuse, « afin de lever toute confusion avec la pratique religieuse piétiste ».
Lors d’une conférence de presse improvisée à l’extérieur de la Grande Mosquée, Anouar Kbibech, vice-président du CFCM, a énuméré ces principaux signaux de radicalisation : « Tout appel à la violence, une interprétation erronée de certains textes sacrés pour légitimer cette violence, et ne pas daigner à l’autre le droit d’avoir ses propres croyances. » Une manière pour le CFCM de prendre le contre-pied des « signes » relevés le 9 octobre par le ministre de l’intérieur : au lendemain de l’attentat de la préfecture de police, Christophe Castaner avait invité les Français à être attentifs à d’éventuels changements de comportement dans leur entourage, comme le port de la barbe ou la pratique « ostentatoire » de la prière rituelle.
Dans son communiqué, le CFCM a également proposé l’intégration de théologiennes (mourchidates) au sein du conseil religieux, ce qui serait une première, et rappelé que le port du voile est une « prescription religieuse », mais que celles qui ont décidé de s’en affranchir « ne sont pas moins musulmanes ».
Cette déclaration sur le port du voile constitue-t-elle un changement ?
En 2004, à l’occasion du vote de la loi sur l’interdiction du port des signes religieux à l’école, le CFCM avait rappelé l’obligation du port du voile pour les femmes musulmanes, tout en disant sa volonté de respecter la loi. « En ne parlant plus de “prescription obligatoire”, le CFCM marque une inflexion dans son discours sur le port du voile », observe Bernard Godard, spécialiste de l’islam et ancien fonctionnaire au ministère de l’intérieur.
Il n’est pas certain pour autant que cette inflexion du discours officiel ne change quoi que ce soit à la pratique des musulmanes de France. Tout d’abord parce que la représentativité du CFCM, dont les prochaines élections se tiendront les 10 et 17 novembre, ne cesse de s’effilocher. Ensuite parce que cette déclaration, qui intervient à peine vingt-quatre heures après le rappel à l’ordre du chef de l’État, pourrait être interprétée par certains fidèles comme une soumission des re Or à la fin d’un mois d’octobre marqué par une importante montée des tensions autour de l’islam et de sa visibilité dans l’espace public, après qu’un élu du Rassemblement national a pris à partie une femme voilée lors d’une séance du conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté le 11 octobre.
« Quand Jean-Michel Blanquer (le ministre de l’éducation, NDLR) dit que le voile n’est pas souhaitable, il commet une erreur d’appréciation », estime ainsi Haoues Seniguer, maître de conférences à Sciences-Po Lyon, qui déplore les « maladresses » répétées de certains politiques ces derniers jours. « Le personnel politique devrait s’en tenir au rappel du droit, et veiller à ce qu’il n’y ait pas de troubles à l’ordre public. Cette extension illimitée des domaines de laïcité, à l’épreuve du fait musulman, crée beaucoup de crispations.»
Ces crispations traversent-elles l’ensemble des musulmans de France ?
Outre la polémique sur le voile qui a suivi cette sortie scolaire en Bourgogne, ce début d’automne aura été émaillé de nombreux autres épisodes explosifs, des propos tenus par Éric Zemmour lors de la Convention de la droite le 28 septembre au débat autour des « listes communautaires », à cinq mois des municipales. Le président de la région Hauts-de-France Xavier Bertrand, entre autres, demande à Emmanuel Macron de les « interdire », « parce que l’islam politique est en train de vouloir s’implanter ».
« Paradoxalement, en dénonçant le communautarisme, on le fait encore plus exister : cela avive un sentiment d’appartenance, alors que les musulmans de France n’ont pas forcément envie d’être enfermés dans une communauté », déplore le père Christian Delorme, à Lyon. Fustigeant un contexte d’« inflation verbale » et même d’« islamofolie », ce militant du dialogue islamo-chrétien constate, comme d’autres, que les musulmans se sentent « massivement » stigmatisés.
Les musulmans se sont dits inquiets face aux déclarations de certains membres du gouvernement, et représentants musulmans face aux demandes des pouvoirs publics.
« Même ceux qui d’ordinaire n’étaient pas concernés par ces affaires d’observance religieuse se sentent obligés de se liguer avec les mères de famille voilées, car on est entré dans la logique du “eux” contre “nous” », s’alarme Ghaleb Bencheikh, président de la Fondation de l’islam de France, qui n’hésite pas à parler de « situation de crise » et de « nation fracturée ».
L’islamologue rappelle toutefois que sur la question du voile, entre autres, les musulmans de France présentent des positions pouvant être « antinomiques ». C’est ce qu’a rappelé la tribune publiée récemment dans Marianne et signée par 101 musulmans, qualifiant le voile islamique de « sexiste et obscurantiste ».
Dans ce contexte, l’inquiétude des musulmans face à la stigmatisation et celle des Français face à l’islam semblent monter de manière parallèle. Le 27 octobre, Le Journal du dimanche a publié un sondage Ifop montrant qu’une grande majorité de la population souhaite une interdiction de plus en plus large des signes religieux ostensibles. Pour 78 % des sondés, le modèle français issu de la loi de 1905 est aujourd’hui « en danger ».
Israël-Iran : la cyber-guerre est déclarée

Les deux ennemis semblent décidés à se livrer à une escalade sans précédent
Une attaque informatique contre une compagnie d’assurances israélienne vient de faire prendre conscience à Tel Aviv de l’ampleur du cauchemar que pourrait provoquer un conflit ouvert avec Téhéran. Les deux ennemis semblent décidés à se livrer à une escalade sans précédent et dangereuse dans les cyber-attaques.
Par Julien Lacorie
Des clients de la compagnie d’assurances israélienne Shirbit ont eu la mauvaise surprise au début du mois de voir leurs cartes d’identité, leurs permis de conduire, les numéros de leur carte de crédit, et leurs certificats médicaux diffusés à tous vents. Cette compagnie a ainsi été punie pour avoir refusé de payer une rançon de plusieurs millions d’euros pour empêcher la publication de ces données personnelles. « Cette attaque n’a pas qu’un aspect financier, il s’agit d’une tentative de semer le chaos », explique Ygal Unna, le patron du Cyber Directorat israélien, un organisme officiel spécialisé dans la protection contre les agressions informatiques dans le secteur public, le système bancaire, la sécurité et l’énergie.
En un mois, ce ne sont pas moins d’une quarantaine d’autres entreprises qui ont été visées par des attaques pour les espionner, mettre la main sur leurs données ou saboter leur fonctionnement. Parmi les cibles figurent notamment une filiale israélienne d’Intel le numéro mondial des semi-conducteurs.
UN EMPOISONNEMENT AU CHLORE ÉVITÉ
En mai dernier, une très sérieuse alarme s’était produite lorsque le système informatique de la compagnie des eaux israélienne avait été la victime d’une agression qui aurait pu provoquer l’empoisonnement au chlore. « Cette attaque (N.D.L.R. attribuée par Israël à l’Iran) marque un tournant historique dans la cyberguerre moderne. En s’en prenant à une infrastructure aussi essentielle, elle a risqué de priver la population d’eau potable en pleine période de Covid » affirme Ygal Unna et d’ajouter sur un ton alarmiste : « Les cyberarmes peuvent être comparées à l’arme nucléaire du point de vue de leurs capacités de destruction, mais la facilité avec laquelle elles peuvent être accessibles les assimile plutôt à l’arc et la flèche ».
Pour tenter de parer à tous ses dangers, Israël met les bouchées doubles. En quelques années, ce pays a acquis le statut de superpuissance de la cybersécurité. Quelques chiffres : plus d’un quart des investissements mondiaux dans ce secteur devenu stratégique ont lieu en Israël où l’on dénombre plusieurs centaines d’entreprises spécialisées. Cette hyperactivité est centrée en premier lieu sur la mise au point de parades contre les agressions menées par des États ou des organisations criminelles de hackers.
L’IRAN ÉGALEMENT CIBLÉ PAR DES ATTAQUES
Mais les Israéliens ne se contentent pas d’élever ainsi une sorte de ligne Maginot contre des incursions hostiles, ils sont également passés à l’offensive. En représailles à l’agression contre le réseau de distribution d’eau, quelques jours plus tard, un mystérieux virus informatique a provoqué la paralysie pendant plusieurs jours d’un terminal du plus grand port iranien de Badar Abbas. L’opération n’a pas été revendiquée, mais pour tous les spécialistes elle porte la marque d’Israël.
Auparavant, l’État hébreu, associé avec les États-Unis, avait déjà frappé un grand coup en sabotant à l’aide d’un ver informatique surnommé Stuxnet des centaines de centrifugeuses utilisées pour la production d’uranium enrichi, installées dans le site nucléaire iranien de Natanz. Le stratagème avait fonctionné pendant cinq ans avant d’être découvert en 2010.
Les relations franco-égyptiennes face à la menace turque commune et à l’islamisme
La Turquie d’Erdogan qui convoite les eaux gréco-chypriotes et égyptiennes qui regorgent de gaz,
Le président égyptien Al-Sissi a été reçu à l’Elysée par Emmanuel Macron cette semaine. Les deux dirigeants ont évoqué de nombreux dossiers lors de cette visite officielle. Alexandre del Valle revient sur les relations entre la France et l’Egypte. Il a interrogé le député égyptien Abdelrahim Ali. Avec Alexandre Del Valle
Le 7 décembre dernier, le Président égyptien Abdel Fattah Al-Sissi, a été reçu par son homologue Emmanuel Macron. A défaut d’être complètement évacuée, la question des droits de l’homme, évoquée de façon discrète et diplomatique, n’a pas constitué une pierre d’achoppement entre les deux pays, qui ont préféré, au nom de la Realpolitik et des intérêts géoéconomiques et sécuritaires, insister sur leurs convergences stratégiques : Libye; menace d’Erdogan en Méditerranée; islam politique; jihadisme et bien sur contrats économiques.
Le Président Al-Sissi a sans surprises dénoncé la menace des Frères musulmans, rappelant que son pays n’avait pas inscrit par hasard la Confrérie sur la liste des organisations terroristes. Pour parler de cette visite, qui a précédé de peu le sommet européen des 10-11 décembre, où ont été notamment au programme la menace islamiste/jihadiste et le problème de la Turquie d’Erdogan qui convoite les eaux gréco-chypriotes et égyptiennes qui regorgent de gaz, nous avons interrogé le député égyptien Abdelrahim Ali, auteur de nombreux ouvrages sur les Frères musulmans et le Jihadisme et qui a milité depuis deux décennies, tant auprès de Hosni Moubarak (bien avant le printemps arabe) qu’auprès d’Abdelfattah Al-Sissi, en faveur de l’interdiction des Frères-musulmans qu’il considère comme la source de l’islam politique et du terrorisme jihadisme. D’où son appel aux Européens et aux Occidentaux, à classer la Confrérie parmi la liste noire des organisations terroristes, comme l’ont fait étonnement non pas l’UE ou les Etats-Unis, mais d’importants pays arabes comme l’Egypte et les Émirats.
Alexandre Del Valle : Le président Al Sissi rencontre son homologue français très prochainement, peut-on parler d’un rapprochement véritable des points de vues géopolitiques en Méditerranée (gaz) en Libye et vis-à-vis de la Turquie ?
Abdelrahim Ali : Bien sûr, il y a une grande proximité entre les deux pays, et entre les présidents Al-Sissi et Macron sur le dossier de la Turquie surtout. Je fais ici allusion à ce que je qualifie de véritable brigandage d’Erdogan en Méditerranée orientale avec ses tentatives de mettre la main sur les réserves de gaz récemment découvertes et qui sont communes à l’Egypte, à Chypre et à la Grèce… En réaction à cette menace caractérisée, l’Egypte a fixé à Erdogan de nombreuses « lignes rouges » en Libye et en Méditerranée. Et je rappelle que la France participe activement avec l’Otan à la surveillance de la mer dans cette zone, et qu’elle a intercepté récemment plusieurs navires turcs qui transportaient des armes pour la Libye, en violation de l’embargo sur les armes à destination ce pays, armes qui sont allées dans les mains des jihadistes pro-turcs et des milices des Frères musulmans. Outre leur position commune concernant la Libye, Paris et Le Caire s’opposent aux ambitions de la Turquie d’Erdogan de contrôler ce pays en soutenant les milices des Frères musulmans à l’ouest du pays en vue de s’accaparer en fait la plus grande part du gaz libyen. Rappelons que la Turquie manque d’hydrocarbures et qu’elle importe d’énormes quantités de gaz qui lui coûtent plus de 5 milliards de dollars par an… Elle ne s’arrêtera donc pas sans qu’on lui fixe, Égyptiens, Arabes et Européens, des lignes rouges fermes à ne pas dépasser. Il faut être unis et vigilants. ET le Président Al-Sissi a clairement confirmé cela à son homologue français.
ADV: L’Occident, l’Administration Obama puis l’Union européenne ont donné des leçons sur les droits de l’homme au gouvernement de Sissi accusé de réprimer les Frères musulmans depuis 2013. La France diffère-t-elle des Etats-Unis et des pays de l’Union européenne depuis que le Président Emmanuel Macron a commencé à comprendre le danger des Frères musulmans dans le cadre de sa guerre contre le « séparatisme islamique » ?
A.A: La concordance des points de vues des deux pays est claire concernant l’équilibre entre les droits de l’homme et la confrontation du terrorisme et des groupes de l’islam politique qui prennent ces idées comme prétexte pour diffuser la haine et de pensée séparatiste de l’islam politique des Frères musulmans notamment ou du Milli Görüs turc. C’est de cela dont souffre la France s’agissant de la problématique de l’islam français que les Frères musulmans ont littéralement pris en otage dans les domaines idéologiques et dans leur stratégie d’entrisme institutionnel.
La loi sur le séparatisme que le Président Emmanuel Macron va soumettre au Parlement français mercredi prochain ressemble dans une large mesure à la loi sur les entités terroristes soumise par le président Al-Sissi au Parlement égyptien l’année dernière et qui prévoit la confiscation des biens des Frères et l’encadrement de leurs organisations et de leurs groupes.
Cette grande ressemblance entre les deux lois, de même que l’attaque lancée par des organisations des droits de l’homme contre les articles des deux lois prouve la concordance parfaite entre les deux pays sur la question des droits de l’homme et la menace commune frériste. Car lorsque la sécurité nationale est en danger, il faut un équilibre habile mais réaliste entre les droits personnels et l’intérêt des pays auxquels les séparatistes veulent nuire.
ADV: Peut-on dire que le Président Macron confirme l’alliance de la France avec l’axe quadripartite de l’Egypte, les Émirats arabes unis et Bahreïn contre l’axe hostile représenté par le Qatar, la Turquie et les Frères musulmans ?
A.A: Je peux confirmer cette idée à cent pour cent en ce qui concerne l’axe de la Turquie et des Frères musulmans. L’axe qatari, quant à lui, est un peu différent. Je m’explique: la position française, et plus particulièrement celle du Président Macron, est en train de vaciller concernant le Qatar, mais on vient de loin en raison des intérêts et imbrications économiques que le Qatar a su créer pendant plus de dix ans en France dans toutes les activités immobilières, sportives, transports et autres activités financières, avec ce que cela a pu impliquer en termes de lobbysme et d’entrisme politique pro-frériste… Le Qatar a en effet su créer ce que l’on peut appeler un « lobby » qatari qui travaille pour ses propres intérêts en France. De mon point de vue, il va falloir encore un peu plus de courage pour diminuer cette alliance et dépendance envers le Qatar et s’orienter vers une alliance plus conforme aux intérets de votre pays, incarnée par les Émirats arabes unis, l’Egypte, et même l’Arabie Saoudite. Certes, ce dernier pays n’est pas forcément bien vu en France au sein des « patriotes » républicains laïques, mais une nouvelle approche qui dépassera l’histoire récente des relations entre l’Arabie Saoudite et les islamistes en France va devoir être dépassée, car cette orientation saoudienne passée a complètement et radicalement changé depuis les décisions prises ces dernières années par le prince héritier Mohamed Ben Salmane qui a voulu moderniser son pays et diminuer l’influence des extrémistes de l’islamisme politique. C’est donc devenu une des nécessités actuelles pour la France d’ouvrir des canaux avec les pays du Golfe, notamment l’Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis, comme alternative aux canaux du Qatar ou de la Turquie d’Erdogan qui contribuent à saboter et saper les valeurs et institutions de la France de l’intérieur à travers son soutien continu aux Frères musulmans. Le Président Al-Sissi a clairement abordé et partagé cette préoccupation avec son homologue français.
ADV: La France est-elle ainsi (re)devenue le meilleur allié européen ou occidental de l’Egypte et de cet axe anti-frériste face aux Turcs et aux Qataris?
A.A: Bien sûr, l’histoire se répète, et cette période est comparable à celle des relations entre l’Egypte et la France sous les Présidents Moubarak et Chirac, mais je pense qu’elle a dépassé cette période et la France est devenue le premier allié européen de l’Egypte dans l’Europe tout entière. Cela participe de la convergence de vues entre les deux pays et leurs deux dirigeants, Al-Sissi et Macron, sur toutes les questions du Moyen-Orient, en particulier sur la menace de l’islam politique, les problèmes sécuritaires liés au terrorisme et sur le dossier Libyen.
ADV: Après la crise des caricatures de Charlie Hebdo et la tentative des Frères musulmans au Qatar, au Pakistan et en Turquie de « diaboliser la France » puis de fanatiser les masses islamiques contre Emmanuel Macron et le pays de la laïcité accusé « d’islamophobie », comment est perçue la France en Egypte et comment le régime égyptien et le président Al Sissi lui-même ont-ils défendu Macron et Paris contre la campagne de diabolisation de la France orchestrée par les Frères, le Qatar, le Pakistan et la Turquie?
A.A: En ce qui concerne cette question, clarifions deux choses fondamentales:
– La première chose est que nous en Egypte, gouvernement et peuple, sommes contre les atteintes au Prophète de l’islam à travers ce que Charlie Hebdo a publié comme caricatures, et les musulmans partout dans le monde ont beaucoup de mal à comprendre cela, sous aucun prétexte d’ailleurs.
– La deuxième chose est que nous apprécions la position du Président Macron envers l’islam et sommes bien conscients qu’il faisait référence à des groupes de l’islam politique qui « prennent en otage » l’islam en France. Tout comme nous sommes conscients que le Président français est « tenu » de respecter la Constitution laïque qui donne pleine liberté aux citoyens, aux écrivains et aux journalistes le droit de penser et d’exprimer librement leurs opinions. Mais laissez-moi vous rappeler qu’en ce qui concerne la sécurité nationale de la France, le Président Macron qui a présenté la loi sur le séparatisme a pris un certain nombre de mesures exceptionnelles pour protéger la sécurité nationale française, malgré les attaques des forces de gauche et communistes, des écrivains, des journalistes et des parlementaires pro-fréristes qui considèrent cette loi comme une violation de la liberté d’opinion et d’expression. Dans un premier temps, en Egypte nous avons été indignés par les déclarations du Président Macron, mais nous avons rapidement compris les plans de la Turquie et des Frères musulmans visant à exploiter la situation à leurs fin en diabolisant la France et nous avons donc rapidement ajusté nos commentaires. De nombreux journaux et sites Web des médias égyptiens ont alors commencé à soutenir le Président français. Les journalistes et médias égyptiens ont finalement été convaincus, d’une part, que le président Macron menait en fait une lutte acharnée contre le terrorisme et l’islam politique frériste et turc, puis d’autre part, que le partenariat de la France de Macron avec l’Egypte du Président Al Sissi est fondamentale et doit être préservée.
ADV: Outre les sujets sécuritaires communs, pouvez-vous nous parler des contrats commerciaux et de la coopération économique? Notamment des Mistral, des avions Rafale ou des importants contrats de chantiers archéologiques?
A.A: Certains dossiers ne peuvent pas être mentionnés, mais je peux vous révéler que le président égyptien a rencontré à Paris le PDG de la plus grande société française de construction d’armement maritime… Je peux évoquer par contre officiellement trois grands dossiers officiellement abordés et même concrétisés lors de la visite de notre Président égyptien à Paris. Le premier est bien sûr le dossier proprement économique. Je rappelle que les investissements français en Egypte qui s’élevaient à 5 milliards de dollars et impliquent 160 sociétés françaises vont s’accroitre dans le futur proche à hauteur de l’objectif fixé de 2 milliards de dollars. Le président Macron s’est déclaré déterminé å renforcer l’économie égyptienne dans le cadre de 40 accords commerciaux, protocoles de coopération et contrats d’investissements qui ont été signés l’an passé. Il a également confirmé sa volonté d’accélérer de nouveaux projets stratégiques comme ceux de la ville de Neo Al Alamein, du grand projet de zone industrielle du canal de Suez, ou encore des nouvelles villes en Egypte ainsi que les chantiers de la nouvelle capitale administrative (al-asima al idariyya al gadida). La France compte également installer en Egypte une importante activité d’industrie automobile ainsi que des usines d’agro-alimentaire, deux domaines français d’excellence. Le second dossier stratégique concerne le domaine militaire et du renseignement: les deux pays ont signé à Paris d’importants accords de coopération militaire, d’échanges et de coopération en matière de renseignements, face aux menaces communes évoquées plus haut notamment, sans oublier des négociations en cours en vue de construire un nouveau satellite égyptien visant à développer la technologie spatiale égyptienne. Le président égyptien est d’ailleurs venu à Paris avec le chef des renseignements égyptiens, Abbas Kamel, ce qui est significatif de notre coopération concrète. D’autres contrats ont ėtė signés entre les deux ministres de la coopération internationale dont on peut parler aujourd’hui : un prêt français de 12 millions d’euros pour l’université française d’Égypte; un don de 2 millions d’euros pour moderniser le système d’instruction; un prêt de 95 millions d’euros pour les chemins de fer; un don de 1,5 million d’euros pour l’enseignement de la langue française dans le pays. Ces protocoles et accords ne sont que l’iceberg qui cache d’autres accords, notamment dans l’armement, et dont il est encore trop tôt pour parler …
ADV: Le Think Tank que vous présidez à Paris avec l’islamologue Ahmed Youssef, le centre d’Etudes du Moyen orient (CEMO), a organisé le 8 décembre dernier, en présence de la courageuse sénatrice Jacqueline Eustache-Brinio, Yves Thréard, ou encore Emmanuel Razavi et deux grands intellectuels et patrons de presse égyptiens, un important colloque sur la loi visant à lutter contre le « séparatisme islamiste ». En dépit des critiques de certains qui déplorent que le terme islamiste ait été remplacé – dans le texte final examiné le 9 décembre en conseil des Ministres – par l’expression « renforcement des principes républicains », soutenez-vous les articles de ce texte que d’autres comme M. Mélanchon ou les Frères Musulmans ont accusé de « stigmatiser l’islam et les Musulmans? »
A.A: Lors de cet important colloque que vous mentionnez, j’ai bien entendu les réserves formulées par nos amis Yves Thréard, Jacqueline Eustache-Brinio ou d’autres, mais en tant qu’Egyptien musulman, je peux assurer qu’il n’y a rien d’islamophobe ou anti-musulman dans cette loi, et je confirme que le soutiens à 100 % les articles de cette loi qui vont contribuer à mieux lutter contre les associations, prédicateurs, imams radicaux et groupes fréristes ou turcs qui distillent dans le pays des Lumières une idéologie fanatique et conquérante qui s’oppose aux lois de la laïcité et des valeurs républicaines.
-Permettez-moi de vous résumer ce que j’ai expliqué devant Yves Thréard et Jacqueline Eustache-Brinio lors de cet important colloque retransmis sur les réseaux sociaux français et égyptiens sur la loi voulue par le président Macron. Nous sommes confrontés à trois problèmes en abordant la question de la « réorganisation de l’islam français ». Le premier problème est que les responsables français se trompent lorsqu’ils abordent la question de l’islam comme ils ont auparavant abordé la question juive sous Napoléon. Les différences sont nombreuses, et il suffit d’en indiquer une, à savoir que les juifs cherchaient à s’intégrer en France tandis que les islamistes cherchent aujourd’hui la séparation. Second problème : la confusion entre l’islam en tant que religion et les musulmans en tant que citoyens français et immigrés est inappropriée. En effet, les musulmans ont différentes tendances politiques et idéologiques et diverses appartenances culturelles, et la confusion entre eux et l’islam comme religion les pousse à défendre leur religion au-delà de leurs différences, et ils deviennent ainsi la proie des groupes organisés, que ce soit les Frères musulmans ou le Milli Görüs, qui est leur version turque. Troisième problème : tous les projets qui ont visé de réorganiser « l’islam de France » – à commencer par celui de Jean-Pierre Chevènement en 1999, en passant par celui de Sarkozy en 2003 et jusqu’à maintenant – s’appuyaient sur les auteurs mêmes de la crise pour la résoudre, notamment les Frères musulmans! Et c’est ce qui se passe maintenant quand le gouvernement français confie l’élaboration d’un « pacte de l’islam en France » à un groupe dont la moitié des membres appartient aux Frères musulmans et à leurs alliés turcs du Milli Görüs! Il ont ainsi profité de cette reconnaissance officielle pour renforcer leur position au sein des communautés musulmanes.
Ma position sur cette question de « l’islam français » part du fait que l’islam et les musulmans ont été de fait pris en otage par l’Organisation internationale des Frères musulmans, sous ses aspects organisationnels divers. Cette Organisation est arrivée en France dans les années quatre-vingts du siècle dernier, dans un seul but, celui que les Frères ont appelé : « Al tamkine » « La Maîtrise ou la domination » de l’Occident. Cette domination se réalise selon leur vision en trois étapes qui ont lieu parallèlement et non pas successivement : 1/ La maîtrise ou la « domination sociale », qui passe par les organisations sociales dans lesquelles les musulmans français et les immigrés sont regroupés. Elles étaient sept en 1989 et elles sont devenues 250 au milieu de l’année 2005! 2/ Deuxièmement : la « domination économique », via le financement direct et indirect: valises d’argent diplomatique utilisé dans la construction des mosquées, écoles et centres culturels et nombre d’autres activités éducatives; dons et transferts bancaires; revenus du commerce de la viande halal, du petit et le grand pèlerinage, ou de la zakat (aumône légale). 3/Troisièmement : la « domination culturelle » : via des centres culturels, écoles, l’enseignement privé et à domicile, ce qui a permis aux Frères de diffuser leur méthode éducative, idéologique et religieuse partout dans ces banlieues. Le danger réside dans le fait qu’elle affirme que tout musulman doit chercher à faire de la France et des sociétés européennes des pays musulmans, régis par les préceptes de la charia, même si la majorité de ces sociétés reste non musulmanes. La définition de l’Etat islamique dans la pensée frériste est d’être gouverné selon les préceptes de l’islam, même si sa majorité est non musulmane. Cette triple domination conduit à la fin à la « domination politique » qui commence par le jeu d’influences dans les élections locales jusqu’à devenir un élément décisif dans les élections législatives ou présidentielles. Le danger réside dans le fait que certains sont contraints de se soumettre aux demandes de cette organisation et à ses conditions, en préparation de l’aboutissement final de la domination politique totale… Tel est leur plan stratégique sur le long terme.
La solution et l’impératif pour la France est donc le démantèlement de l’organisation sous tous ses aspects sociaux, économiques et culturels. La nouvelle loi (loi anti-séparatisme) peut contribuer partiellement à ce démantèlement, mais ne sera pas suffisante car l’organisation des Frères est connue pour sa capacité à s’adapter à toutes les situations et à surmonter tous les obstacles qu’elle a rencontrés dans son histoire. Le démantèlement nécessitera des années de travail s’inspirant d’expériences diverses, notamment les nôtres en Egypte.
Personne ne commet d’attentat en hurlant «Dieu n’existe pas !»
Marlène Schiappa s’en prend à la gauche « bobo »
La ministre à la Citoyenneté défend le projet de loi sur les séparatismes et s’en prend à la gauche « bobo », qui a renoncé au combat laïque. Propos recueillis par Clément Pétreault
Lorsqu’on lui demande qui incarne la laïcité, elle répond sans hésitation : « Moi ! » Marlène Schiappa, ministre déléguée chargée de la Citoyenneté, se définit aussi comme « ministre de la Laïcité » dans un gouvernement qui a décidé de placer cette thématique au cœur de son action. Elle est remontée contre cette gauche persuadée de voir des racistes partout et des laïques nulle part, cette gauche submergée par une vague de relativisme culturel et compulsivement obsédée par la défense de minorités perçues comme des opprimés qu’il faudrait absolument protéger des forces réactionnaires. Marlène Schiappa n’épargne pas non plus ses anciens amis du Parti socialiste qui ont récemment décidé d’assumer leurs valeurs laïques et revient en détail sur l’esprit du texte qui a été présenté le 9 décembre – journée anniversaire des 120 ans de la loi de 1905 – en conseil des ministres.
Le Point : Comment est-on passé d’une lutte contre l’islamisme, puis contre le séparatisme, à un projet de loi « confortant les principes républicains » ? Faut-il y voir la marque d’une hésitation ?
Marlène Schiappa : Non, il y a simplement un cheminement pour trouver le vocabulaire auquel adhèrent les Français, ce qui n’est pas forcément facile, car on n’a pas nommé ces sujets depuis longtemps. On parle de communautarisme, un terme qui reste assez confus, car il y aura toujours quelqu’un pour vous expliquer que le communautarisme n’est pas dangereux et vous faire remarquer qu’il existe un communautarisme breton ou corse… Ce qui est peut-être vrai, mais qui ne précède pas nécessairement à une idéologie terroriste. Le président de la République a su trouver dans son discours des Mureaux les termes qui cernent au mieux la manière dont une idéologie participe d’un projet contraire aux valeurs de la République et sert parfois de marchepied vers des actes violents. Parler de séparatisme permet de désigner le phénomène de ceux qui se mettent en marge de la société au nom de leur religion et qui, pensent-ils, pourraient s’exonérer de respecter les lois de la République. Voilà comment nous sommes arrivés à ce terme, traduit de manière positive en loi « confortant les principes républicains ».
Ces idéologies d’extrême gauche procèdent à une inversion des valeurs et essaient de faire passer pour des révolutionnaires des gens qui défendent des coutumes moyenâgeuses
Ce texte marque-t-il « l’offensive payante » des « laïcards », comme l’écrit Le Monde ?
On voit se dessiner deux camps autour de la laïcité – pour faire bref, l’un républicain et l’autre multiculturaliste –, chacun revendiquant la justesse de son interprétation de la loi de 1905. Est-ce un clivage qui vous semble valable et opérant pour expliquer ces débats ?
Oui, en partie. Il y a toujours une part de caricature dans ces débats, c’est ce que j’ai essayé d’expliquer dans le livre Laïcité, point ! que j’ai coécrit avec Jérémie Peltier. Cela étant dit, je ne vous cache pas que j’ai du mal à garder mon calme quand je vois des tenants d’une laïcité soi-disant « apaisée » expliquer que « laïcistes » et « islamistes » seraient la même chose… Je le redis, on n’a jamais tué quelqu’un au nom de la laïcité, personne ne commet d’attentat en hurlant « Dieu n’existe pas ! Je vous interdis de croire en Dieu ». C’est un fait, la majorité des attentats qui ont lieu dans le monde dans cette période sont des attentats islamistes. Quand je vois ces mêmes tenants d’une laïcité dite « apaisée » faire des articles pour expliquer que lutter contre la polygamie, les mariages forcés et l’excision, c’est être xénophobe… cela marque une terrible inversion des valeurs ! J’ai encore lu cela pas plus tard que ce matin sur le site Révolution permanente, où l’on peut à la fois se prétendre révolutionnaire et défendre des coutumes opprimantes pour les femmes. Comment qualifier des gens qui se présentent comme des défenseurs des immigrés et qui se disent dès la phrase suivante prêts à renoncer aux droits des femmes immigrées ? Je veux être claire : ce n’est pas moi qui risque l’excision, le mariage forcé ou la polygamie, car ce ne sont pas les coutumes qui existent dans la culture dans laquelle j’évolue. Est-ce pour autant une raison pour abandonner à leur sort toutes les femmes qui sont dans des familles qui pratiquent cela ? Je ne pense pas. Ces idéologies d’extrême gauche procèdent à une inversion des valeurs et essaient de faire passer pour des révolutionnaires des gens qui défendent des coutumes moyenâgeuses. Pour ne rien arranger, dans ce grand renversement général, on essaie de faire passer ceux qui luttent contre ces coutumes pour des « islamophobes » et des antimusulmans.
Mais, au fond, ce texte ne concerne qu’une toute petite minorité de comportements… Était-il nécessaire d’employer de si grands moyens législatifs ?
C’est une minorité, certes, mais qui fait des dégâts énormes, par exemple en décapitant un enseignant ou en assassinant trois personnes en prière à Nice… Il y a dans cette loi des décisions indispensables qui vont faciliter la fin du financement des associations ennemies de la République, notamment par l’étranger. Rendez-vous compte, nous avons gelé plus de 500 000 euros sur le compte de Baraka City et plusieurs millions sur celui du CCIF ! Ce sont des sommes colossales au service d’une idéologie qui dispose ainsi d’une vraie force de frappe. Par ailleurs, il y a des enjeux considérables de dignité humaine sur la fin des certificats de virginité, le contrôle des mariages forcés et le refus de la polygamie… L’argument qui consiste à dire que ça ne concerne pas beaucoup de monde est tout simplement faux. On estime à 200 000 le nombre de femmes mariées de force en France, 120 000 femmes excisées, c’est colossal ! Et quand bien même cela ne concernerait que 20 femmes, nous n’aurions pas le droit de les laisser sur le bord de la route.
Comment expliquez-vous que l’idéal républicain ait déserté le tissu associatif, notamment de nombreuses structures d’éducation populaires qui semblent avoir renoncé à la laïcité comme préalable à l’égalité des droits ?
Je pense qu’il y a eu beaucoup de compromissions et de lâchetés aussi… Oui, il y a des syndicats étudiants ou des organisations de parents d’élèves qui sont totalement gangrenés par d’inexplicables sympathies à l’égard de la mouvance islamiste. Les fondateurs de l’Unef se désolent de ce qu’est devenu ce syndicat laïque qui défendait le droit des femmes… On s’y bat aujourd’hui pour permettre aux islamistes de s’exprimer librement. On est assez loin du but d’origine. Les défenseurs de la laïcité n’ont pas réussi à se renouveler au fur et à mesure des générations. Les associations laïques connaissent le même phénomène démographique que les associations féministes ou les loges maçonniques… sauf que l’on voit depuis cinq ans environ l’extrême gauche se réapproprier des combats féministes par exemple, avec un prisme intersectionnel qui n’œuvre pas toujours dans le sens du progrès.
Mais vous en connaissez beaucoup, vous, des jeunes qui ont envie de s’engager pour la laïcité ?
Oui, il y en a plein ! Jérémie Peltier, avec qui j’ai écrit un livre sur la laïcité, vient tout juste d’avoir 30 ans… Il y a des députés trentenaires, des philosophes comme Raphaël Enthoven, bref, beaucoup de gens qui se mobilisent.
Vous venez de la gauche. Votre ancien camp politique a-t-il renoncé à défendre ces valeurs ou c’est vous qui avez changé ?
Sur la laïcité, la gauche a totalement renoncé ! Je suis hallucinée d’entendre mes amis restés au PS qui s’ébahissent d’entendre le premier secrétaire Olivier Faure prononcer le mot « laïcité ». La laïcité d’Olivier Faure, c’est la « laïcité p’têt ben qu’oui, p’têt ben qu’non », un gigantesque robinet d’eau tiède. Je ne vais pas l’applaudir parce qu’il se dandine en prononçant les mots « laïcité » et « république ». Quelques personnes à gauche sont restées courageuses, c’est le cas du maire de Montpellier, un maire qui a fait campagne sur l’écologie et la laïcité sous l’étiquette PS. Il est même convaincu d’avoir gagné grâce à cela. Ces dernières années, la gauche a abandonné la défense de la laïcité à la droite alors qu’à l’origine la laïcité c’est Aristide Briand, c’est Jean Jaurès… c’est la gauche ! Quand on relit les débats sur la loi de 1905, le Parti communiste et la gauche de la gauche défendaient la raison et la liberté religieuse… Aujourd’hui, on a La France insoumise qui défend les islamistes et qui considère que la laïcité serait une manifestation d’un racisme mal digéré, c’est dommage.
Jean-Luc Mélenchon a promis une pluie d’amendements, explique que ce texte est une entreprise de « stigmatisation » des musulmans, une diversion politique…
J’attends que l’on me montre quels passages de ce texte stigmatisent les musulmans. Il n’y en a aucun. En vertu de la loi de 1905, l’État ne reconnaît ni ne salarie aucun culte, voilà pourquoi dans ce texte on ne reconnaît pas et on ne nomme pas les cultes. Il y a des millions de musulmans qui ont un profond respect pour les lois de la République et qui sont très heureux que ce texte permette enfin d’écarter les influences étrangères. La France insoumise, au nom de son obsession pour la stigmatisation, est dans l’aveuglement total. Que propose Jean-Luc Mélenchon pour qu’il n’y ait plus d’attentats islamistes ? Rien.
Certains élus semblent avoir renoncé à la laïcité au profit de « concordats locaux » qui flirtent avec le clientélisme… Que pouvez-vous contre cela ?
Le dialogue et la compromission sont deux choses différentes. Quand on est élu local, on travaille avec des représentants des cultes sur des questions locales dans le cadre de l’urbanisme ou de cérémonies et l’espace public. Si le dialogue est normal, il y a en revanche compromission lorsque ce dialogue se noue autour d’une base de marchandage dans un modèle mafieux, quand on monnaye des voix contre les libéralités, contre des attributions de marchés ou des arrangements opaques…
Certains élus font campagne dans des mosquées pendant que d’autres participent activement ès qualités à des cérémonies religieuses… Je suis personnellement toujours choquée de voir des élus de la nation communier ou porter un voile ou une kippa lors de cérémonies religieuses.
On a découvert avec étonnement que la presse américaine considérait la laïcité comme une forme à peine déguisée de racisme institutionnalisé… Être laïque, est-ce être raciste ?
Je trouve cela extraordinairement incohérent de la part de la presse américaine qui, d’un côté, va défendre à tour de bras le relativisme culturel en trouvant que toute coutume est vraiment « mignonne », y compris le fait de voiler les petites filles… En revanche, cette même presse est incapable de considérer la laïcité comme une spécificité culturelle qu’elle condamne sans appel. La laïcité nous évite d’avoir en France, contrairement aux États-Unis, des groupes de parents qui peuvent officiellement refuser que l’on enseigne à leurs enfants que la Terre est ronde parce que cela heurterait leur sensibilité religieuse… La laïcité nous permet de refuser les offensives religieuses de ceux qui ne veulent pas qu’on enseigne à leurs enfants la biologie et la reproduction au prétexte que leurs enfants devraient rester vierges jusqu’au mariage et ne jamais avoir entendu parler de la reproduction.
Qui pour vous incarne et défend la laïcité en France ? Auriez-vous bien aimé être ministre de la Laïcité ?
C’est ce que je fais, comme l’indique mon décret d’attribution qui prévoit que je suis « chargée de veiller au respect du principe de laïcité ». Évidemment, je ne suis pas seule et nous sommes nombreux au gouvernement à défendre la laïcité, que ce soit Gérald Darmanin, Jean-Michel Banquer, mais aussi des parlementaires, des associations comme la Licra, des loges maçonniques et singulièrement la grande loge féministe de France. Il y a aussi des journalistes comme Caroline Fourest ou Sonia Mabrouk qui font preuve d’un certain courage. Mais ce qui est le plus important, c’est le collectif.
Il y a une indéniable dynamique de sécularisation de la société, mais n’attend-on pas trop des religions qu’elles se réforment et qu’elles renoncent au conservatisme qui fait aussi partie de leur tradition ?
Non, personne n’attend cela ! Les religieux restent des religieux et personne ne leur demande de renoncer à leur croyance ou de défendre ce qu’ils ont envie de défendre, c’est leur droit et ils ont aussi droit au débat public. J’observe par ailleurs que la demande de modernité ne vient pas des laïcs mais des religieux eux-mêmes. Il y a dans la religion catholique Anne Soupa qui a défendu le droit à neuf femmes de candidater pour remplacer le cardinal Barbarin, Delphine Horvilleur dont on connaît l’engagement en faveur du mouvement juif libéral, ou encore l’imame Kahina Bahloul qui s’est beaucoup engagée pour rappeler que le Coran n’oblige pas les femmes à se voiler. C’est la démonstration que la demande de modernité des religions vient de l’intérieur !
La gauche est devenue une gauche bobo, qui écoute France Inter – comme moi –, qui théorise beaucoup, mais qui a perdu pied avec la réalité
L’exécutif auquel vous appartenez est confronté à une crise sanitaire, une crise sécuritaire, une crise sociale… avec à chaque fois des réponses qui encadrent ou restreignent les libertés de circuler, de manifester, d’enseigner ou de travailler. N’avez-vous pas le sentiment de jouer avec le feu ?
C’est une période paradoxale. Le président de la République s’est fait élire sur une promesse de liberté et de libération des énergies… La pandémie a conduit à accepter des restrictions de ces libertés, toujours dans le cadre de l’État de droit et de nos principes démocratiques. Mais la liberté est pour les Français – plus que pour n’importe quel autre peuple – quelque chose de fondamental. S’il y a une vague de déprime importante chez les Français en ce moment, c’est aussi parce que nous sommes un peuple politique, attaché aux libertés qu’on nous enlève. Cela ne se fait pas de gaieté de cœur, personne ne jubile d’avoir à prononcer un couvre-feu, nous n’avons pas été élus pour ça. À la vérité, nous n’avons que de mauvaises options devant nous, il faut choisir la moins mauvaise.
De récentes études ont démontré que les Français se définissaient comme de plus en plus à droite et l’actualité politique a démontré que LREM suivait ce mouvement et modifiait sa base électorale…
Ce serait une erreur de penser que les gens de gauche ne sont pas intéressés par la sécurité ! On a beaucoup sous-estimé l’effet qu’a produit sur l’opinion l’assassinat de Samuel Paty et de ces trois personnes à Nice. Même des Français qui se définissaient comme étant de gauche se sont mis à espérer davantage de sécurité et de laïcité. Encore une fois, je ne suis pas une cible pour les islamistes, je n’ai pas de problème d’insécurité – j’habite au ministère de l’Intérieur –, ce n’est pas moi qui suis confrontée à l’insécurité, mais les classes populaires qui ne choisissent pas leurs conditions de vie. La gauche est devenue une gauche bobo, qui écoute France Inter – comme moi –, qui théorise beaucoup, mais qui a perdu pied avec la réalité.
Structurer l’islam, le délicat projet d’Emmanuel Macron,
Projet de loi sur les « séparatismes »
Emmanuel Macron avait évoqué la création d’un « Conseil des imams » début octobre lors de son discours aux Mureaux (Yvelines) consacré à sa stratégie de lutte contre les « séparatismes »

- Le 2 octobre, aux Mureaux (Yvelines), Emmanuel Macron a évoqué la nécessité d’une meilleure structuration de l’islam en France.
- Des mesures de contrôle sur les associations cultuelles font partie du projet de loi « confortant les principes de la République », présenté mercredi en Conseil des ministres.
- Le chef de l’Etat pousse par ailleurs le CFCM à finaliser le projet d’un « Conseil national des imams » (CNI). Dans cette perspective, une « charte des valeurs républicaines » a été déposée jeudi au ministère de l’Intérieur par ses représentants.
« Construire un islam des Lumières dans notre pays. » Lors de son discours sur les séparatismes, le 2 octobre aux Mureaux (Yvelines), Emmanuel Macron a évoqué la nécessité d’une structuration de l’islam. « Il nous faut aider cette religion dans notre pays à se structurer pour être un partenaire de la République. » Le chef de l’Etat a notamment indiqué vouloir « libérer l’Islam de France des influences étrangères » pour lutter contre l’islamisme et construire « un islam qui puisse être en paix avec la République », évoquant notamment les financements étrangers ou la formation des imams.
Alors que le projet de loi contre les séparatismes – finalement nommé « confortant les principes de la République » – a été présenté ce mercredi 9 décembre en Conseil des ministres, 20 Minutes revient sur cette délicate question.
Mieux contrôler les associations cultuelles et les lieux de culte
Emmanuel Macron l’a lui-même rappelé début octobre : « Ce n’est pas le travail de l’État de structurer l’islam. » En vertu de la loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État, le gouvernement n’a en effet pas vocation à organiser les cultes. Ce texte prévoit, dans son article 2, que « la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ». Le projet de loi apporte toutefois quelques retouches, en modifiant par exemple le texte de 1905 et celui du 2 janvier 1907 sur l’exercice public des cultes.
La loi sur les « séparatismes » permettra ainsi à l’Etat d’avoir un contrôle accru sur le fonctionnement et le financement des associations, ainsi que des lieux de culte. Les associations cultuelles musulmanes, majoritairement constituées sous le régime de l’association loi 1901 pour des raisons historiques, seront notamment « incitées » financièrement à « basculer » dans le régime de la loi de 1905, plus transparent sur le plan comptable et financier.
« C’est la fin d’un système d’opacité. Il ne s’agit pas d’interdire les financements venant de l’étranger. Il s’agit simplement de les encadrer, de les rendre transparents, de les maîtriser », justifiait Emmanuel Macron début octobre. « Il n’y a aucune raison que les associations cultuelles bénéficient d’un régime associatif de droit commun », plaide Aurore Bergé, députée des Yvelines et présidente déléguée du groupe LREM à l’Assemblée. En contrepartie, ces associations cultuelles pourront avoir accès à des déductions fiscales ou encore tirer des revenus d’immeubles acquis à titre gratuit.
Par ailleurs, les dons étrangers dépassant 10.000 euros seront soumis à un régime déclaratif de ressources. Une disposition « anti-putsch » est aussi prévue dans le texte pour éviter toute prise de contrôle d’une mosquée, ou d’une autre association cultuelle, par « des groupes radicaux ».
Une future « labellisation » des imams loin de faire consensus
Concernant la structuration de l’islam en France, l’exécutif avance à pas feutrés. « C’est un pilier qui n’est pas dans la loi car la France n’a pas à s’ingérer dans l’organisation des cultes, indique l’Elysée. Mais nous avons une relation de dialogue. Le président a invité les musulmans à mieux s’organiser et à travailler sur la formation des imams. » Son objectif est également de mettre fin, d’ici quatre ans, à la présence en France des 300 imams étrangers « détachés » par la Turquie, le Maroc et l’Algérie.
« Il y a un besoin pour l’Etat d’avoir une structuration de l’islam. Car aujourd’hui, qui est l’interlocuteur légitime ? C’est une difficulté », reconnaît Aurore Bergé. « L’Etat ne va pas se mêler de théologie. Mais la question est de savoir comment on s’assure de la manière dont la formation est effectuée pour que, demain, tel ou tel prêche ne soit pas incompatible avec les valeurs républicaines », ajoute la députée.
La mission de créer un « Conseil national des imams » (CNI), chargé de certifier leur formation en France, a été confiée au Conseil français du culte musulman (CFCM), principal interlocuteur de l’exécutif. Le chef de l’Etat a insisté pour qu’une « labellisation des formations » et une « certification des imams » soient instaurées d’ici six mois. Une charte républicaine doit également être mise en place, dont le non-respect entraînerait la révocation des imams.
« La charte des valeurs a été finalisée et remise jeudi au ministère de l’Intérieur », confie Abdallah Zekri, délégué général du Conseil français du culte musulman. Mais la question de la labellisation est, elle, loin de faire consensus. « Mettre fin aux imams autoproclamés est une bonne chose. Mais il y a une levée de boucliers de la base chez les imams, qui remettent en cause la légitimité de ceux qui demain vont les écouter et les contrôler pour leur donner cette certification, alors qu’ils exercent depuis des années. Qu’on arrête d’ailleurs de parler des labels, les imams ne sont pas de la marchandise », s’agace le responsable, par ailleurs président de l’Observatoire de lutte contre l’islamophobie. Ce projet est d’autant plus délicat à mettre en place que le CFCM est lui-même régulièrement décrié pour son manque de représentativité, tant par les voix modérées que les plus rigoristes de l’islam en France.