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Par Jean-Marie Guénois
Mais il a aussi situé les limites de l’exercice car aucune digue posée par les gouvernements précédents n’a pu résister à la pression. Il y a donc une attente forte mais un océan de scepticisme. Beaucoup pensent qu’il est impossible d’agir ou qu’il est trop tard. Mais d’autres ne voient toujours pas le problème de cette dérive religieuse identitaire.
Ils pourraient lire l’interview de Bernard Rougier ou son livre « Les territoires conquis par l’islamisme » (PUF) pour comprendre que la pénétration, lente et systématique, minoritaire mais active, de l’islamisme en France n’est pas un mythe de la droite nationaliste.
Le Figaro magazine publie d’ailleurs ce week-end, un édifiant reportage sur le noyautage qui sévit dans le service public, police, corps enseignant, personnel soignant, chauffeur RATP. Cet « entrisme » est dénoncé dans le livre du député Eric Diard (LR) coécrit avec Henri Vernet et intitulé « Radicalisation au cœur des services publics »(Lattès).
Les jeunes musulmans sont séduits par la radicalité EMIR KLEPO / Myvisuals – stock.adobe.com
Comment refuser de voir le problème ? D’autant que la jeune génération des croyants se laisse séduire.
Nous l’avions esquissé dans la précédente lettre avec la mise en exergue de la montée de la radicalisation chez les jeunes musulmans objectivement mesurée par l’Ifop. En préparant un court article pour les pages du journal du 9 septembre, j’ai retrouvé le sondage de l’IFOP de 2019 pour le Point . Il démontrait que la fréquentation de la mosquée le vendredi par les jeunes de 18 à 24 ans avait quasiment doublé en dix ans. Elle passe de 23 % en 2011 à 40 % en 2019 pour cette classe d’âge !
Après un siècle de combat anticatholique, la France redécouvre avec l’islam la force têtue d’une foi religieuse. Et la longue patience de ceux qui comptent leur histoire en siècles pour un projet de société religieuse. De plus, cette nouvelle confrontation ne fait que commencer puisque c’est la jeune génération née française – de troisième génération – qui flirte sans complexe avec l’islam radical.
Mais l’évidence de ce danger – dénoncé et combattu par les institutions musulmanes elles-mêmes – n’empêche pas des réactions de déni.
Cette semaine, par exemple, l’association « La Libre Pensée », distincte mais intellectuellement sœur d’une franc-maçonnerie ultra-laïque, attaque par une voie oblique, le projet gouvernemental. Elle clame que le vrai séparatisme dans la société française n’est pas l’islamisme mais le catholicisme ! Cette association publie ainsi une lettre ouverte au président de la République plutôt surréaliste qui dénonce le « séparatiste » – catholique – financés par de l’argent public pour des écoles cathos qui fomentent l’évangélisation.
Je respecte les personnes qui défendent ces idées mais je suis sidéré d’un tel aveuglement sur l’islamisme radical ennemi de la République d’autant que « la libre-pensée » revendique une approche rationnelle et lucide de la réalité. Et qu’elle se bat pour défendre la laïcité et la République.
La République mise en cause OceanProd – stock.adobe.com
Comme Bernard Rougier ou Eric Diard, Jean-Pierre Obin, ancien inspecteur de l’éducation nationale vient de publier « Comment on a laissé l’islamisme pénétrer l’école » chez Hermann. Ce dernier est l’invité ce dimanche 13 septembre de l’excellente émission de RFI «Religions du Monde » animée par Geneviève Delrue. François Pupponi, député du Val d’Oise et ancien maire de Sarcelles, auteur de « Les Émirats de la République : Comment les islamistes prennent possession de la banlieue » (Cerf) intervient également dans l’émission.
Rougier, Diard, Obin, Pupponi, hommes de terrain fabuleraient sur des réalités qu’ils labourent depuis des décennies !
Jean-Pierre Obin est un défenseur patenté de la laïcité et se revendique de gauche. Il a été l’auteur d’un rapport prophétique sur l’islamisme à l’école en 2004. Il eut raison trop tôt. Par lâcheté collective son travail fut raillé pour de fausses raisons et systématiquement occulté au mépris de toute honnêteté intellectuelle.
La sonnette d’alarme qu’il tire cette fois avec l’appui de Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, est une alerte rouge puisqu’il affirme que « 37 % des dérives islamistes » actuellement constatées dans l’école publique gangrènent « l’école primaire » publique ! Un phénomène qui « n’existait pas » en 2004, assure-t-il, à ce niveau scolaire.
Dans cette émission et dans son livre il raconte l’insupportable « omerta » qui a longtemps couvert « la persécution des élèves juifs »dans des collèges et lycée publics de quartiers difficiles. Actes antisémites toujours suivis d’une exfiltration, discrète et complice menée par l’administration publique, orientant ces élèves juifs – persécutés parce que juif – vers d’autres établissements publics.
Il décrit aussi l’ahurissante « contestation » des enseignements du programme « au nom du Coran » de la part d’élèves musulmans. Un enseignant a même dû se munir d’un coran dans sa classe pour répondre, point par point, aux jeunes contradicteurs qui décrédibilisaient au nom de la tradition musulmane ce qu’il professait. Ces héros, dignes professeurs de la République, ne sont pas légion. Obin déplore qu’une majorité des professeurs confrontés à ces situations, se livrent à une « autocensure » pour « éviter les incidents » selon les consignes de leur hiérarchie et probablement pour ne pas subir de représailles personnelles.
le coran Saida Shigapova – stock.adobe.com
En cela, ils cèdent à la « peur » constate Jean-Pierre Obin. Voilà donc la terreur islamiste qui s’installe tranquillement – par le biais d’un rapport de force de contestation des savoirs – dans des esprits, là où devrait précisément se jouer une confrontation intellectuelle de qualité.
Cet ancien inspecteur général de l’éducation nationale raconte aussi cette exigence – portée par des imans qui vont jusqu’à se déplacer aux réunions de parents d’élèves – pour obtenir des « vestiaires séparés entre musulmans et non musulmans » afin de préserver la « pureté » des jeunes fidèles de l’islam…
Comment ne pas voir cette réalité ? Ce refus de reconnaître la montée de l’islamisme par une certaine gauche qui l’a favorisé par omission, avait été décortiqué en 2016 par Jean Birnbaum, le directeur du Monde des livres, dans un remarquable essai « un silence religieux, la gauche face au djihadisme » au Seuil.
Sans faire d’amalgame entre le terrorisme, l’islamisme, l’islam et les musulmans, on peut aussi se demander comment la boucherie gratuite de Charlie Hebdo, du Bataclan et tant d’autres attentats contre des innocents sans défense, peuvent glisser sur la conscience des bonnes âmes islamo-gauchistes pour les unes, ou communautaristes pour d’autres qui défendent la « diversité ethnique » au prix de la désagrégation de la société française et républicaine ? Le procès en cours sur l’attentat de Charlie Hebdo que mon confrère Stéphane Durand-Souffland nous décrit a justement le mérite de rappeler la réalité crue de ces meurtres sauvages, savamment préparés, froidement exécutés. Nous voudrions les chasser de nos mémoires. Nous n’avons pas le droit de les oublier.
l’assemblée nationale Alfonso de Tomas / Alfonsodetomas – stock.adobe.com
Mais comment lutter efficacement ? Une nouvelle loi sur le séparatisme le pourrait-elle ?
Les débats qui vont construire cette loi seront passionnants et fondateurs. Ils marqueront la fin d’une insouciance et sortiront de la peur de stigmatiser une population pour sa religion. Car il ne s’agit pas « des » musulmans en général mais des islamistes. Ces derniers sont combattus par les instances musulmanes partout au Maroc, en Algérie, en Tunisie, en Égypte et en Afrique subsaharienne. Pourquoi auraient-ils le champ libre en France ?
Mais cinq écueils majeurs se présentent :
- La laïcité
Côté républicain et pour simplifier, la loi de 1905 interdit à l’État d’entrer dans le débat théologique avec une religion toute comme elle interdit à une religion de se mêler du débat politique. Or la lutte contre l’islamisme passe, pour y mettre des barrières, par une critique de l’interprétation radicale de l’islam. Ce qui n’est pas évident sur le plan juridique.
Qui va juger de l’hyper orthodoxie d’un imam ? Qui va savoir où commence la dérive islamiste ? À quel moment détecter – et sur quels critères – qu’un individu ou un groupe, considèrent la charia, la loi islamique, supérieure à la loi républicaine ? Quels instruments juridiques l’État peut-il mettre en œuvre pour contrer l’intégrisme islamique ?
L’État ne peut agir qu’au for externe, quand il est trop tard et que les conséquences de l’islamisme sortent à la surface et touchent la vie publique. La laïcité est une force mais elle se trouve dépourvue face au durcissement invisible de la foi.
- La tactique «entriste» islamique
L’avancée des islamistes connaît plusieurs variantes dont l’entrisme : les frères musulmans ou ceux qui s’en inspirent en sont familiers. En France ils sont incarnés dans le mouvement « musulmans de France », ex UOIF, Union des organisations islamiques de France. Ils sont les premiers à demander à leurs fidèles le respect scrupuleux des lois françaises. Mais ils exigent dans le même temps, sur le mode un échange de négociation ouverte, la prise en compte de leur spécificité et requête particulières. Démarche qui se traduit par des recours devant les tribunaux de la République ou européens. Ce fut l’argumentation en faveur du voile à l’école de 1989 : sans conteste les jeunes filles musulmanes devaient fréquenter l’école publique mais il fallait que soit respecté pour elles le port du voile. Cette voie soft a parfaitement fonctionné.
Le brillant Tariq Ramadan, lors des rassemblements de l’UOIF au Bourget galvanisait les jeunes musulmans pour qu’ils soient, à la fois, très identifiés, et très insérés, comme tels, dans le système occidental. Ils leur faisaient un devoir de parfaitement connaître la culture française pour mieux s’y glisser comme dans une seconde peau et s’y épanouir « en tant que musulmans » revendiqués.
Pas de choc, pas d’affrontement inutile, de la patience, de la finesse, de la souplesse. Mais sans jamais perdre le cap. Le tout dans une stratégie communautariste pensée à l’échelle européenne, la France n’étant qu’un espace à conquérir. Il s’agit, au fond, de normaliser un islam très orthodoxe dans la société occidentale sur le modèle anglo-saxon du communautarisme qui juxtapose des communautés ethniques et religieuses selon un modus vivendi minimal.
- La contre-culture salafiste
C’est une autre forme d’islamisme bien plus sévère que les Frères musulmans. Qui détestent d’ailleurs les salafistes et réciproquement. Les salafistes entendent incarner l’islam rigoriste des débuts. Il y a, parmi eux, des « quiétistes » une branche qui récuse tout interventionnisme politique mais qui considère par nature la « charia », la loi islamique » au-dessus des lois de la République par nature, sans compromis, ni discussion possible. Puisque Dieu, et sa vérité, est « une », indivisible, selon eux ne pouvant ni se partager, ni se soumettre à aucune autorité humaine.
Ce sont eux les vrais « séparatistes ». Les Frères musulmans, eux, travaillent à la transformation musulmane de l’intérieur de la société française pensent digérer les sociétés occidentales faibles. Les salafistes constituent au contraire des îlots à part, purement islamique, coupés de la société. Il fonde ouvertement une contre-culture.
Dans ce terreau, certains salafistes passent du djihad intérieur – combat contre soi-même pour mieux rejoindre Dieu – au djihad armé et violent pour imposer l’islam par la force, seule vraie foi et dernière religion définitive de l’histoire de l’humanité. Les salafistes quand ils ne sont pas majoritaires et au pouvoir ont une culture de la discrétion et des réseaux souterrains de résistance très difficile à repérer.
- La foi est viscérale
Les sociologues savent que le secteur où les gens changent le moins facilement d’opinion est celui de la foi religieuse. Même si elle n’est pas pratiquée, la constance et la fidélité pour un patrimoine souvent transmis de génération en génération, sont la règle.
C’est donc une erreur intellectuelle de percevoir la religion comme une idéologie religieuse et philosophique du passé qui finirait par s’effacer devant la suprématie de la raison. Si la religion habite aussi dans le monde des idées, elle siège également dans ce qu’il y a de plus viscéral chez l’homme.
Sans aller jusqu’au fanatisme la puissance anthropologique et psychologique de la foi peut pousser un individu très loin. Le sous-estimer est aussi une naïveté quand on légifère.
- La foi islamique est holiste
L’islam est une religion qui récuse la rupture inventée par le christianisme de la séparation Eglise-Etat, avec la monition christique de la nécessité de distinguer entre César et Dieu. Ce que semblent ignorer, au passage, nos amis de La Libre Pensée ! L’islam est une religion holistique, c’est-à-dire, totale, englobante. Il n’y a pas un seul espace dans la société ou dans l’individu qui puisse échapper à Dieu. Il n’y a pas d’autonomie personnelle.
Bien sûr, les sociétés musulmanes présentent toutes les déclinaisons possibles, libérales ou rigoristes, de cette vision. Mais la suprématie de la charia, la loi islamique est un principe fondateur et structurel de la religion. Le respect scrupuleux de la loi est, de plus, le gage du salut personnel et éternel. C’est par conséquent une religion d’observance. Les imams sont d’abord des docteurs de la loi, juges du permis et de défendu, avant d’être des guides spirituels. Au point que la famille des « soufis » ces musulmans spiritualistes, sont suspects et rejetés comme sectes.
En France, les instances musulmanes prônent sans ambiguïté, le respect des lois républicaines mais sont-elles suivies par une jeune génération et par les islamistes qui les méprisent, les ignorent, les contournent, les accusent d’être « collaborationnistes » ? Légiférer pour contenir l’islamisme qui considère la loi républicaine comme non légitime et inférieure, est donc une gageure mais demeure un défi majeur à relever pour la France.