Soutenu au tribunal par Manuel Valls
Il se tient bien droit à la barre. Les mains sont croisées dans le dos et sa voix est posée lorsqu’il s’adresse aux magistrats de la 17e chambre du tribunal de Paris pour se présenter et dérouler son parcours professionnel. Jean-Pierre Obinest un inspecteur général de l’Éducation nationale à la retraite. Il est l’auteur d’un rapport en 2004 sur les signes d’appartenance religieuse à l’école et d’un livre publié en septembre dernier, Comment on a laissé l’islamisme pénétrer l’école (Hermann). L’homme est plus habitué à défendre les principes de la laïcité à l’école qu’à se défendre dans les salles d’audience. L’exercice est également nouveau pour sa maison d’édition, qui se retrouve, comme l’ancien fonctionnaire, assignée en justice pour la première fois depuis sa création. Les protagonistes, représentés par Mes Alain Jakubowicz et Marie Burguburu, sont en effet visés par une plainte du président de la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE), Rodrigo Arenas, pour diffamation.
Absent des débats, le plaignant leur reproche, par la voix de son avocat, Me Arié Alimi, spécialisé dans les affaires de violences policières, d’avoir écrit et publié cette affirmation : « On observe aujourd’hui que plusieurs organisations “historiques” de gauche (la LDH, l’Unef, la FCPE, par exemple), touchées par la crise du militantisme traditionnel, sont entrées dans l’orbite islamo-gauchiste à la faveur de la prise de pouvoir de militants d’extrême gauche épaulés par “l’entrisme” d’activistes proches des Frères musulmans. Ainsi, Rodrigo Arenas, responsable de sa fédération de Seine-Saint-Denis, a-t-il ramassé en 2019 le pouvoir vacant dans une FCPE en pleine déliquescence. Très vite, il a donné des gages aux islamistes sur lesquels il s’appuyait pour gouverner la fédération du 93. »
Les propos sans détour de l’ancien Premier ministre
Tour à tour cités comme les témoins de la défense, l’ancien Premier ministre Manuel Valls – qui aura pris la peine de décaler son billet d’avion afin de pouvoir s’exprimer en faveur de Jean-Pierre Obin –, Mohamed Sifaoui, journaliste spécialiste de l’islam politique et directeur de la chaîne Islamoscope.tv, et Catherine Manciaux, ancienne proviseure du lycée Alfred-Nobel de Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), répondent à cette même question posée par Me Alimi qui a demandé à chacun de présenter des éléments précis pour corroborer l’affirmation selon laquelle « Rodrigo Arenas a donné des gages aux islamistes pour gouverner ».
La FCPE était un bastion du combat laïque républicain dans ce pays. Elle ne l’est plus à l’évidence.
Manuel Valls introduira son propos en rappelant que, en tant que ministre de l’Intérieur puis Premier ministre, il a eu à « affronter l’islamisme, l’islam politique et ses conséquences les plus terribles, c’est-à-dire les attentats ». Concernant la FCPE, il a répondu sans détour en définissant l’islamo-gauchisme et ses accommodements avec les islamistes, les « compromis », voire les « compromissions ». « Les dirigeants de la FCPE, a-t-il expliqué, viennent de cette gauche-là. La FCPE était un bastion du combat laïque républicain dans ce pays. Elle ne l’est plus, à l’évidence. À la recherche de nouveaux militants, elle est allée pêcher très loin et a accepté de mieux représenter ce qui était en train de se passer dans ces quartiers. »
L’ancienne proviseure Catherine Manciaux a été confrontée au quotidien aux revendications identitaires et religieuses. « J’ai travaillé dans des quartiers musulmans. Je sais faire la différence entre islam et islamisme, explique-t-elle à la cour. Et je voulais faire en sorte que mon lycée reste profondément républicain. » Dans son témoignage, elle évoque, dès 2010, les difficultés grandissantes de son combat pour faire respecter les règles de la laïcité à l’école et l’interdiction du voile, contournée par certaines irréductibles par le port de longues abayas noires comme substitut de signe religieux.
Ses positions fermes, raconte-t-elle, lui valent d’être accusée de discrimination par une mère d’élève soutenue par Rodrigo Arenas, alors président de la FCPE 93. Convoquée par sa hiérarchie, elle se retrouve sommée, lors de cette réunion, par ce dernier de ne plus s’adresser aux parents d’élèves. « Il considérait les longues robes noires portées par les lycéennes comme de la provocation. Il les a comparées aux tee-shirts avec le Che qu’il portait dans sa jeunesse. Cette comparaison entre ses tee-shirts et les tenues islamistes m’est apparue surréaliste. Je ne connaissais pas monsieur Arenas et je suis allée voir qui il était. J’ai fait des recherches sur Internet et, durant les élections en Tunisie, j’ai lu qu’il soutenait Ennahdha (parti politique islamiste, NDLR). »
La stratégie des islamistes et des Frères musulmans consiste à opérer une réislamisation par le bas à travers l’éducation.
Mohamed Sifaoui a tenu à présenter Jean-Pierre Obin comme un homme honnête, dont le livre est « juste » et écrit sur un « ton mesuré ». Il a affirmé que Rodrigo Arenas faisait « preuve de clientélisme ». « L’entrisme, pour certains, c’est une vue de l’esprit, insiste le journaliste, mais la stratégie des islamistes et des Frères musulmans consiste à opérer une réislamisation par le bas à travers l’éducation. La présence même du voile incarne cette idéologie. »
Jugement attendu le 3 février
Les débats au cours de l’audience sont très souvent revenus sur la question du voile, faisant ressurgir le sujet de cette affiche qui a suscité la polémique en septembre 2019. Durant la campagne électorale pour l’élection des représentants de parents d’élèves, la FCPE avait choisi de représenter une femme voilée avec ce titre : « Oui, je vais en sortie scolaire, et alors ? La laïcité c’est accueillir à l’école tous les parents sans exception. » L’affiche avait ainsi provoqué de vives réactions.
« L’islamo-gauchisme, a appuyé Mohamed Sifaoui, est une réalité opérationnelle. Et certains milieux de la gauche ont fait du voile un étendard. Mais le voile n’est pas un symbole religieux. C’est un accoutrement pensé par les islamistes. »
Le président de la FCPE a-t-il donné des gages aux islamistes pour gouverner ? Jean-Pierre Obin s’est-il rendu coupable de diffamation ? Ces questions ont été vivement défendues par chacune des parties. Elles sont dorénavant en délibération et le jugement sera rendu le 3 février prochain.