C’était le 14 janvier dernier, sur l’antenne de France Inter. L’extrait, partagé des centaines de milliers de fois sur internet, a marqué les esprits. Léa Salamé, elle-même, n’en croyait pas ses oreilles. Ce matin-là, son invité, Ismaël Saidi, venu présenter son livre, Comme un musulman en France (Éditions Autrement), refusait d’endosser le rôle de victime qui semblait lui être assigné. «J’ai tellement connu ça, grandir avec cette musique qui vous dit “ils” ne nous aiment pas, “ils” ne veulent pas de “nous”. Vous grandissez dans cette espèce de marasme, et c’est cela qui vous tue»… La journaliste a bien essayé de le couper: «Vous êtes tout de même obligé de reconnaître que lorsqu’on s’appelle Mohammed, on a plus de mal à trouver un job?» La réponse ne fut toutefois pas celle attendue. L’essayiste et metteur en scène belge d’origine marocaine rappelait, au contraire, que si des discriminations pouvaient exister, loin d’être «la norme», elles étaient «une exception». Et de conclure: «Le problème, c’est qu’il faut tendre l’oreille pour entendre le murmure de la majorité, sinon on n’entend que les cris de la minorité.»
Longtemps silencieux, ils se rebiffent
Des slogans, de plus en plus bruyants, accusant la France de «racisme systémique» ou d’«islamophobie d’État» sont poussés par des militants décoloniaux, des artistes opportunistes en quête de notoriété ou encore d’authentiques entrepreneurs identitaires. Sous couvert de lutte contre les discriminations, ils font profession de leur couleur de peau, de leurs origines ou de leur religion. C’est Assa Traoré, nouvelle égérie antiraciste consacrée par la une du Times , qui explique que «nous vivons encore aujourd’hui les conséquences de l’esclavagisme et du colonialisme» ; c’est la chanteuse Camélia Jordana qui accuse les policiers de «massacrer» les minorités en toute impunité ; c’est le footballeur Lilian Thuram, toujours traumatisé d’avoir été traité de «sale Noir» en CM2, qui incrimine «la pensée blanche» . Une rhétorique obsessionnelle, relayée par une partie des mondes universitaire, politique et médiatique. Au risque de recouvrir la voix de ces Français venus d’ailleurs, de ces étrangers aimant la France qui refusent d’être enfermés dans un statut de victime, réduits à leur identité ethnique.
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Longtemps silencieux ou inaudibles, ces derniers se rebiffent. À l’image de la violoniste de renommée internationale Zhang Zhang répondant à la polémique lancée par le musicien Ibrahim Maalouf sur le supposé manque de diversité au sein de l’Orchestre philharmonique de Vienne et, plus largement, dans l’univers de la musique classique. «Un paravent sépare le jury du candidat lors du concours de recrutement: les artistes sont choisis pour leur musique, non pour leur couleur de peau, leur sexe ou leur origine ethnique», rappelle celle qui, bien que d’origine chinoise, est devenue membre de l’Orchestre philharmonique de Monte-Carlo. On pourrait aussi citer Amine El Khatmi, président et cofondateur du Printemps républicain, partisan du modèle laïque et universaliste ; l’essayiste Malika Sorel qui, de longue date, plaide pour l’assimilation ; ou encore l’écrivain d’origine iranienne, Abnousse Shalmani, qui voit dans «le nouvel antiracisme un racisme déguisé en humanisme». Depuis le début de l’année, c’est un véritable phénomène d’édition: ils ne sont pas moins de six à prendre la plume pour déconstruire les discours victimaire et identitaire à la mode, et tenter de faire entendre un contre-discours plus positif. Outre Ismaël Saidi, ces figures de l’intégration heureuse s’appellent Rachel Khan, Sonia Mabrouk, Fatiha Agag-Boudjahlat, Claire Koç ou encore Lydia Guirous. Tous ont des origines diverses, mais ne se reconnaissent pas dans le concept de «diversité». Ils revendiquent leur singularité d’individu ainsi que leur attachement à la culture française. Et bousculent les évidences médiatiques.
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Dans Insoumission française (L’Observatoire), Sonia Mabrouk sonne le tocsin . Si comme le théorise le sociologue québécois Mathieu Bock-Côté, nous sommes face à une révolution racialiste venue des États-Unis, la France doit être le pays de la résistance, voire de la contre-révolution. Face au «mélange d’autodénigrement, de servitude et de rancœur» distillé par les «indigénistes», «islamo-gauchistes» et autres «décolonialistes», elle appelle à transmettre l’amour de la France, à exalter notre culture et notre histoire. En tant que binationale, elle déplore qu’«on ne puisse plus être fier d’être français» alors même que dans tous les pays du monde, à commencer par sa Tunisie natale, le patriotisme est une évidence. En tant que femme d’origine maghrébine de confession musulmane, Sonia Mabrouk est pourtant le portrait-robot de la «victime» telle que les «intersectionnels» l’envisagent. Mais, persuadée que le travail surmonte les préjugés, elle a toujours refusé de jouer le rôle de l’offensée. Elle se réjouit de recevoir dans sa matinale, sur Europe 1, de plus en plus de personnalités d’origine immigrée qui, comme elle, échappent à ce genre de caricature.
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Contre la «racisation»
L’inclassable Rachel Khan , née en Touraine, est, elle, de mère juive polonaise et de père sénégalais et gambien de confession musulmane. «En tant que femme, juive, petite-fille de déporté, noire et autres… je coche beaucoup de cases pour pouvoir m’indigner sur ma/mes conditions», s’amuse-t-elle. Mais, exact contraire de la militante décoloniale Rokhaya Diallo, et admiratrice de Romain Gary, Rachel Khan ne se voyait pas entrepreneuse identitaire: «Femme», «noire» ou«juive» n’est pas un métier, répète celle qui est à la fois athlète de haut niveau, juriste, scénariste, comédienne – elle joue notamment dans la dernière pièce d’Ismaël Saidi – et écrivain.
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Le titre de son livre, Racée (L’Observatoire), paru en mars, est un «contre-pied» au terme «racisé», qu’elle déteste. Car, explique-t-elle, «il remet la race au centre, et comporte une assignation, l’obligation d’être coincé dans le regard de l’autre en tant que racisé». «Ce terme-là ne permet pas aux plus jeunes de s’émanciper», regrette-t-elle. Avant de s’interroger: «Pour moi, qui suis métisse, qu’est-ce que cela peut signifier? Suis-je autorisée dans les réunions non-mixtes réservées aux Noires ou suis-je considérée comme trop blanche?». Si elle rejette le discours néo-racialiste des nouveaux antiracistes, elle se dit chanceuse d’avoir grandi dans la région de Descartes, Rabelais, Balzac, et ne comprend pas la crispation autour de la notion d’assimilation: «Le terme “assimiler” signifie acquérir. L’assimilation culturelle ne vise pas à déposséder l’autre de ses racines, rappelle-t-elle. Mais, au contraire, à lui permettre d’acquérir un supplément dont il pourra se nourrir. L’assimilation permet de se transcender.»
La réhabilitation de l’assimilation
Dans Assimilation, en finir avec ce tabou français (L’Observatoire), Lydia Guirous , militante laïque et féministe, proche de LR, entend, elle aussi, réhabiliter ce concept qui, bien que figurant toujours dans notre code civil, a été abandonné au nom du droit à la différence. Enfin, dans un livre témoignage poignant, Claire, le prénom de la honte (Albin Michel), Claire Koç défend ce processus sans rien cacher de son caractère douloureux. Fille d’immigrés turcs, Çigdem Koç est devenue Claire en 2008. En faisant le choix de changer de prénom, elle ne s’attendait pas à un tel dénigrement: «En revenant chez mes parents avec ma carte d’identité et mon prénom “français”, j’ai été rabaissée, humiliée. Quoi, Claire? C’est quoi ce prénom de merde? Tu as honte de ce que tu es?» Faire le choix de l’assimilation, ou même simplement de l’intégration, c’est souvent se condamner à la solitude, s’exposer à la pression de sa famille et de «sa communauté», tout en étant renvoyé à ses origines par une partie des «Français dits de souche» . Journaliste, Claire Koç raconte que son choix a été mal perçu dans son milieu professionnel: «Ceux qui avaient le mot “égalité” à la bouche m’assignaient à résidence identitaire. Ils attendaient de moi une critique acerbe de la France, que je dise qu’elle est injuste, raciste, que je sois la caricature de l’immigré telle qu’ils la conçoivent.»
Lorsque la supposée victime ne se reconnaît plus comme une victime, qu’elle brise le schéma préétabli pour elle, c’est toute l’idéologie ainsi que le business intersectionnel qui s’effondrent
Sonia Mabrouk
Dans Les Nostalgériades (Le Cerf), Fatiha Agag-Boudjahlat retrace, elle aussi, sa trajectoire. Celle d’une fille d’immigrés algériens pauvres qui, pour autant, n’a jamais sombré dans le ressentiment à l’égard de la France. Elle y décrypte et dénonce les discours «décoloniaux» qui exploitent le malaise identitaire de la jeunesse issue de l’immigration et instrumentalise la mémoire de la guerre d’Algérie pour mieux nourrir un fonds de commerce antiraciste. Résolument universaliste, elle y pourfend aussi le féminisme différentialiste de #MeToo, intransigeant avec «le patriarcat» du «mâle blanc occidental», mais qui ne revendique pas la même exigence de liberté et de dignité pour les femmes orientales ou celles issues de l’immigration en France.
Après la parution de son livre, Claire Koç a subi une campagne de cyberharcèlement. Elle a été menacée de mort par les pro-Erdogan. Fatiha Agag-Boudjahlat a également été menacée et traitée d’«Arabe de service» sur les réseaux sociaux. Tandis que Rachel Khan y est régulièrement qualifiée de «négresse de maison», de «bounty», ou encore comparée à l’affiche Banania. Quant à Sonia Mabrouk, elle est portraiturée par Libération en «égérie de la droitosphère, directrice de la réaction». Le journal, prétendument féministe et antiraciste, ne lui a épargné, par ailleurs, aucune allusion sur son physique, ni sous-entendu misogyne. Pour la journaliste, ces attaques sont la preuve qu’elle vise juste: «Lorsque la supposée victime ne se reconnaît plus comme une victime, qu’elle brise le schéma préétabli pour elle, c’est toute l’idéologie ainsi que le business intersectionnel qui s’effondrent.». Se libérer des entrepreneurs identitaires est un sport de combat.