Lecture du documentaire Sigmund Freud, un juif sans Dieu, de David Teboul*
Pour ce nouveau film-documentaire, David Teboul s’intéresse à Sigmund Freud. Au contraire de rappeler une énième fois qu’il est le « père de la psychanalyse », le réalisateur choisit de souligner qu’il est avant tout le fils de Jacob.
Car, avant d’être un père, Freud a été un fils. Et pas n’importe lequel. Le petit Sigmund né en 1856 en Moravie, dans une famille juive. Lui-même, écrira-t-il, « est resté juif ».
Son père, Jacob, « cet homme peu banal », lui offre une Bible de Philippson, qui accompagnera Freud toute sa vie. Le judaïsme est présent dans cette famille bourgeoise qui déménage à Vienne où l’assimilation est naturelle au milieu d’une société d’intellectuels juifs.
A travers ses correspondances, David Teboul dresse le récit d’un Freud intime. Et d’un Freud qui rêve.
Un Freud qui rêve
Sigmund Freud voit dans l’expérience onirique un guide et en fait la voix/voie royale pour atteindre l’inconscient. A la mort de son père, il s’attèle sérieusement à son premier livre, L’interprétation des rêves, qui paraitra en 1900.
Dans la Torah, Jacob(1) – celui qui rêve – est le père de Joseph(2), qui sauvera sa vie et accomplira son destin, et celui du peuple juif, en interprétant les rêves de Pharaon, en Egypte. Freud, digne fils de son père, Jacob, pouvait-il faire autre chose que d’écrire L’interprétation des rêves ?
Pour ce juif assimilé, attaché aux valeurs du judaïsme mais profondément laïc, les personnages de l’histoire juive feront figure de re-père.
Il se verra en Moïse (auquel il consacrera un ouvrage entier à la fin de sa vie), arrêté par la mort sur le chemin de la Terre promise, et son disciple, Carl Gustav Jung, en Josué. Il lui écrira qu’il lui souhaite de posséder bientôt « la terre promise de la psychiatrie ».
Freud se rêve en père indépassable mais Jung est un fils rebelle. Il reproche à son mentor ses analyses trop guidées par les théories sexuelles. Dans une lettre d’une grande violence symbolique, Jung rompt définitivement les liens avec Freud.
En 1905, peut-être précisément parce que Jung lui a reproché son grand intérêt pour la chose, Freud publie Trois essais sur la théorie sexuelle. Il y mentionne pour la première fois l’idée d’une sexualité infantile. Si elle est immédiatement condamnée par les médecins viennois, elle s’inscrira bientôt au cœur de la pratique analytique freudienne.
Une science juive
Depuis la déclaration Balfour de 1917, le projet sioniste progresse. Freud accepte de contribuer à La Revue Juive, fondée par Albert Cohen, qui encourage l’élan sioniste en Palestine.
Freud témoigne une sympathie pour le projet sioniste mais émet un jugement réservé quant à sa réalisation. Il soutient cependant l’établissement de l’Université hébraïque de Jérusalem et en salue l’ambition scientifique.
Freud demeura inquiet toute sa vie de voir la psychanalyse devenir « une science juive », même s’il reconnait qu’elle n’a pu être pensée qu’à travers une connaissance certaine du judaïsme.
On peut alors imaginer combien la démonstration trop directe d’un soutien à une ambition juive, ou à une pratique des traditions pouvait paraitre à Freud comme un signal d’alarme, à éviter à tout prix.
Vacillant entre l’incarnation d’un juif convaincu par les valeurs universelles qui traversent la Torah, et celle d’un intellectuel inquiet d’être perçu comme un juif, Freud a traversé la vie d’un endroit à l’autre. Il a finalement été un parfait un juif errant.
David Teboul dessine les contours de la vie privée de Freud. Homme à femmes en cela qu’il en a toujours été entouré, fils de Jacob, et père d’Anna.
Il invite le spectateur à une lecture intime et explore la relation complexe entre le père de la psychanalyse et son judaïsme.
*Sigmund Freud, un juif sans Dieu, de David Teboul. Avec les voix de Mathieu Amalric, Isabelle Huppert, Catherine Deneuve et Jeanne Balibar.
1. Genèse XXVIII, 10-22
2. Genèse XXXVII, 1-11, XL et XLI, 1-46