Comme à son habitude, Patrick Mignola n’a pas fait dans la dentelle. Quand le président du groupe MoDem à l’Assemblée nationale fait un coup politique, c’est au vu et au su de tous. Sans se soucier de l’agacement qu’il peut provoquer dans les rangs de la majorité. Grande opération d’élargissement de son groupe en septembre, dépôt de deux propositions de loi pour réinstaller la proportionnelle en février, vote contre le maintien des élections régionales et départementales en avril. Jusqu’à un énième coup d’éclat, mardi, quand il embarque son groupe de 58 députés contre le gouvernement autour de certaines dispositions du projet de loi de sortie de l’état d’urgence.
«Marc Fesneau (le ministre délégué aux Relations avec le Parlement, NDLR), quand il me voit partir avec une baïonnette contre trois blindés, il me dit que ce n’est pas une méthode et il s’interroge», admet l’ancien maire de La Ravoire, un petit village de Savoie, devenu député en 2017.
La politique, il y a pris goût quand il était étudiant à Sciences Po Paris, au Parti républicain, alors mené par Gérard Longuet. En 1992, il en dirige le mouvement de jeunesse. Il se tourne vers le MoDem après les régionales de 1998, qui provoquent la scission du PR. Il ne quittera pas François Bayrou malgré les traversées du désert. Un temps en retrait, il se consacre à l’entreprise familiale de carrelage – récemment liquidée par la justice – avant de replonger dans le grand bain de la politique à la faveur de la vague macroniste. Petite pochette, cravate, son style classique et sage ne laisse rien présager.
Patron de groupe depuis octobre 2018, celui qui fêtera ses 50 ans cet été parle librement. L’un des rares dans cette majorité à ne pas être obsédé par le off journalistique si cher aux macronistes, qui ne se confient le plus souvent que sous couvert d’anonymat.
Tout le monde se projette après 2022. Je considère que Marc Fesneau est le leader naturel de cette famille politique pour prendre la suite de François, parce qu’il est à son barycentre idéologique
Patrick Mignola
Des commentateurs lui ont prêté des ambitions ministérielles, il dément. L’été dernier, il se souvient avoir été très clair sur le sujet lors de son ultime dîner avec Marielle de Sarnez, l’ex-puissante numéro deux du MoDem, décédée en janvier. «Je ne me sens pas prêt à être utile au pays. Peut-être le serai-je un jour. Peut-être que l’occasion ne se représentera pas. Quand on va au gouvernement, c’est que l’on a une idée précise de ce que l’on veut y faire et comment. Mon idée est encore imprécise et la force n’est pas là», dit-il. Une confidence peu classique dans le monde politique.
De la même manière, il évacue les rumeurs qui lui prêtent les plus grandes ambitions au MoDem à la veille du 70e anniversaire de François Bayrou. «Tout le monde se projette après 2022. Je considère que Marc Fesneau est le leader naturel de cette famille politique pour prendre la suite de François, parce qu’il est à son barycentre idéologique. Je suis plus à droite que le parti sur le plan économique et plus à gauche sur les questions de société. Marc est centriste car il est central. Moi, je suis centriste parce que je suis plus à gauche et plus à droite que lui», détaille-t-il. Une mise au point sans ambiguïté alors que le ministre peut parfois se trouver en porte-à-faux à cause de son turbulent comparse.
Le président du groupe LREM à l’Assemblée, Christophe Castaner, a su s’accommoder de ce colocataire remuant de la «maison commune». «Patrick, il fait de la popol. On parle la même langue. On se comprend tout de suite. De temps en temps, il essaie de me b… mais j’arrive à m’en apercevoir. Parfois je le roule dans la farine et il s’en aperçoit aussi», s’amuse-t-il.
Marc Fesneau, l’ambassadeur du MoDem en macronie
Tout en admettant qu’il a du talent, François Bayrou lui-même se plaît à le recadrer. À l’évocation de la bataille parlementaire lancée sur la proportionnelle (il n’y croit pas, préférant un référendum) ou quand Patrick Mignola fait échouer le gouvernement mardi dernier lors d’un vote sur le pass sanitaire. «Je n’ai pas eu le temps de l’appeler, le coup est parti trop vite et a atteint sa cible plus tôt que prévu», s’excuse le député, convaincu que le patron du MoDem partage le but recherché.
«Nous nous sommes souvent disputés, mais je suis toujours resté. Il a un caractère et moi aussi», s’amuse Mignola, qui explique avoir pris goût aux joutes parlementaires. «Je n’ai pas oublié que notre famille politique revient du diable vauvert ; tout ce que je fais, c’est pour éviter un retour en arrière», se défend le Savoyard, qui admet être grisé par les batailles à l’Assemblée. Et compte bien continuer après 2022.