«Maman, j’ai peur de mourir et d’aller à l’hôpital comme à la télé ». Un soir, alors que les feux étaient éteints depuis plus de deux heures, Clotilde est venue, encore secouée de gros sanglots, retrouver ses parents dans le salon tranquillement installés sur le canapé. Du haut de ses neuf ans, la petite fille blonde s’est soudainement laissée submerger par une angoisse de la mort, du virus, de ne pas plus pouvoir aller chez sa grand-mère dans le Sud. «On l’a prise dans nos bras en essayant de la rassurer , témoigne sa maman. On lui a dit que tout allait bien se passer, que Papi et Mamie allaient bien, qu’ils allaient être vaccinés. » Même si Clotilde est d’un naturel anxieux, «elle dormait très bien avant » l’arrivée du Covid-19. Depuis, «ça lui arrive souvent de mal dormir, de mettre du temps », complète la mère de la fillette. Comme elle, près de 20% des enfants ont des réveils nocturnes depuis le début de la pandémie, 30% des enfants ont du mal à s’endormir, un sur dix fait plus de cauchemars, d’après l’étude menée par Santé publique France .
Crise sanitaire: près d’un tiers des enfants et ados ont plus de mal à s’endormir
Confinements successifs, écoles fermées puis rouvertes, masque obligatoire, informations alarmistes au JT, peur de ne plus revoir leurs grands-parents, rythme de vie perturbé : même s’ils ne présentent que très rarement des formes graves, les enfants sont aussi atteints par le Covid-19 . Souvent comparés à des éponges émotionnelles, ils absorbent tout, dont le stress ambiant qui rythme nos journées d’adultes depuis plus d’un an. «Et le sommeil, avec l’alimentation et les troubles du comportement sont pour eux un moyen d’exprimer un mal-être ou une détresse , explique au Figaro le docteur Anne Sénéquier, pédopsychiatre à Paris. Il faut veiller à ces symptômes qui témoignent d’une inquiétude latente.»
Le sommeil, avec l’alimentation et les troubles du comportement sont pour eux un moyen d’exprimer un mal-être ou une détresse. Il faut veiller à ces symptômes qui témoignent d’une inquiétude latente
Docteur Anne Sénéquier, pédopsychiatre à Paris
«Les enfants sont les victimes collatérales de l’épidémie»
Cauchemars pour les petits, insomnies pour les adolescents
Henri a 12 ans, il est en sixième à Lille et se rappelle «faire des cauchemars parfois ». S’il ne se rappelle pas exactement du contenu, «ça parlait du Covid, de la prof de math malade, des grands-parents qui partaient loin sur une île. » S’il «n’est plus petit », le garçonnet reconnaît parfois être stressé par ce qu’il se passe. «On ne sait jamais ce qu’on va pouvoir faire demain, si on ira au collège, si un cours va être annulé, si on pourra aller faire du sport ou pas ». Une instabilité qui est une cause de tension importante pour l’enfant, selon Vincent Joly, psychologue à Paris qui note une demande exponentielle de rendez-vous pour des enfants qui «dorment mal et font des colères ». «Le changement de rythme a été très compliqué à vivre pour les petits qui ont besoin de repères pour se construire », explique-t-il. Les piliers d’un quotidien aux allures de long fleuve tranquille ont été ébranlés par «les confinements et les ordres contradictoires ». Leurs aînés n’ont pas été épargnés, ils ont aussi vu leur emploi du temps largement modifié avec des cours en distanciel, des activités extrascolaires annulées et des relations sociales et amicales lacunaires.
Richard Delorme: «Les confinements ont radicalisé les addictions aux écrans»
Margot a «complètement décroché ». En classe de seconde, son rythme de vie est pour le moins bouleversé. «Le soir, je m’endors vers trois heures. Le matin, je suis les cours depuis mon lit, je fais une sieste à la place de manger et fais mes devoirs vers 23 heures ». Margot n’est pas la seule dans ce cas-là. «Beaucoup d’adolescents rencontrent des difficultés d’endormissement, explique Didier Drieu, pédopsychologue à Caen. Ils restent sur leurs écrans tardivement et désynchronisent complètement leur rythme de vie ». Certains enchaînent même des nuits entièrement blanches et sont épuisés le lendemain pour le retour en classe. «Ils commencent à aimer vivre la nuit, où le monde leur appartient et sont les seuls éveillés. Cela crée un sentiment de liberté ». Un constat préoccupant pour le docteur Anne Sénéquier qui relève «qu’il est très difficile de les ramener à un rythme de vie en journée » et donc à la normalité.
Le déconfinement, une vie de rêve pour les adolescents
Conséquences néfastes pour l’apprentissage et la sociabilisation
Avec des nuits agitées, les enfants sont plus fatigués la journée et donc moins attentifs en classe. «C’était massif dans mon collège, raconte Elleuza von Kabach, jeune professeur de français. Les quatrièmes ont du mal à se lever, les troisièmes sont en total décalage ». Un sommeil réparateur et un rythme de vie équilibré permettent aux enfants de consolider leurs apprentissages acquis pendant la journée «surtout ceux qui demandent le plus de concentration comme les maths, la physique et le français », égrène le docteur Anne Sénéquier. Margot le reconnaît, ses notes ont chuté mais elle se sent «impuissante ». «J’essaie de récupérer un rythme mais je suis complètement décalée ». Des lacunes accumulées que les professeurs espèrent rattraper une fois la situation sanitaire améliorée et les effectifs au complet.
«Il y aura des conséquences, c’est certain» : le confinement entrave l’apprentissage des enfants
Un retour à la vie normale peut-il aider les enfants à retrouver un rythme de sommeil serein ? «Cela dépend à quel point la pandémie les a impactés , répond Vincent Joly. Il faut recréer un rythme, retrouver des conditions optimales de sommeil en limitant les écrans deux heures avant de dormir, les boissons énergisantes le soir, renouer avec des rituels qui rassurent.» En attendant ce moment où les enfants pourront reprendre leur «vie d’avant », il faut «les accompagner, leur laisser la parole ». Pour le docteur Anne Sénéquier, il est même important de ne pas trop leur répéter que cette situation prendra bientôt fin «car on n’en sait rien, l’enfant pourrait nourrir de faux espoirs et subir un nouveau revers» .
« Il faut recréer un rythme, retrouver des conditions optimales de sommeil en limitant les écrans deux heures avant de dormir, les boissons énergisantes le soir, renouer avec des rituels qui rassurent. »
Vincent Joly, psychologue pour enfants à Paris
S’ils ont une «capacité énorme d’adaptation», il faut «soutenir cette résilience, les aider à formuler les difficultés qu’ils rencontrent ». Face aux cauchemars répétitifs, la pédopsychiatre recommande de «leur demander le script» des aventures de la nuit pour comprendre ce qu’il s’est passé et «proposer par exemple de le dessiner au crayon gris en rajoutant des couleurs par-dessus ». Des éclaircies sur les nuages de l’angoisse partagée par Clotilde qui une fois les larmes séchées, a retrouvé sa joie de vivre, ses copines à l’école, sa maîtresse, ses cahiers et se réjouit d’aller voir sa grand-mère pour la Pentecôte. «Peut-être qu’en revenant, après un week-end normal durant lequel tout le monde va bien et agit normalement, elle dormira mieux », espère sa maman.
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