Un échec retentissant suffit parfois à résumer toute une carrière. Le nom de Donald Rumsfeld restera pour toujours associé au plus grand fiasco militaire de l’histoire des États-Unis. L’invasion de l’Irak en 2003 à la recherche d’armes de destruction massive inexistantes, ainsi que le recours généralisé à la torture, sont les principaux legs de l’ancien secrétaire américain à la Défense de George W. Bush. Mort mercredi à l’âge de 88 ans à Taos, au Nouveau-Mexique, Rumsfeld n’aura pas vu la fin de l’autre expédition commencée sous sa direction voici près de vingt ans. Le retrait américain d’Afghanistan qui devrait s’achever d’ici quelques semaines, marquera la fin de la plus longue guerre de l’histoire des États-Unis. Commencée comme en Irak par une opération rapide, brutale et efficace, l’invasion américaine s’est là aussi enlisée dans une guerre contre insurrectionnelle sans issue.
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S’il n’est pas le seul responsable de ces échecs, les monumentales erreurs de calcul commises par l’administration Bush doivent largement à l’influence de Rumsfeld. Avec son adjoint Paul Wolfowitz et le vice-président Dick Cheney, ils ont joué les boutefeux, oubliant les notions de prudence les plus élémentaires et n’hésitant pas à manipuler l’opinion américaine. Ses efforts visant à dissimuler des faits gênants qui ne correspondaient pas à sa version de la réalité ont aussi empêché d’élaborer une stratégie cohérente, et de fixer des buts politiques réalisables. Même si George W. Bush a rendu hommage à un « serviteur exemplaire de l’état » , le président américain avait dû en 2006 se débarrasser de son secrétaire à la Défense discrédité, alors que l’insurrection irakienne avait transformé la promenade militaire promise en bourbier sanglant.
Rumsfeld avait pourtant beaucoup d’atouts pour lui. Né à Chicago en 1932, il étudie à la prestigieuse université de Princeton, dans le New Jersey, avant de rejoindre l’aviation navale. Élu au Congrès sous Kennedy, Rumsfeld devient conseiller de Nixon, ambassadeur à l’Otan, directeur de cabinet de Ford, puis le plus jeune secrétaire à la Défense en novembre 1975, à 43 ans à peine. Héritant d’une armée américaine traumatisée par la défaite du Vietnam, Rumsfeld jette les bases d’une nouvelle force moderne, professionnelle, technologique. Il augmente les budgets, lance des programmes novateurs comme celui du bombardier stratégique B-1, des missiles de croisière, et un vaste plan de réarmement naval.
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Une seconde partie de sa carrière se déroule dans le secteur privé, où il dirige d’importantes sociétés pharmaceutiques et de télécommunication. Mais Rumsfeld n’est jamais loin des sphères de la Défense et de la diplomatie. Envoyé spécial de Ronald Reagan au Moyen-Orient, il rencontre en 1983 Saddam Hussein, au plus fort de la guerre Iran-Irak. Lorsqu’il redevient secrétaire à la Défense en 2001, Donald Rumsfeld était sans doute mieux préparé que quiconque pour réagir aux attaques du 11 septembre 2001. Se trouvant dans son bureau du Pentagone sur les bords du Potomac quand l’un des avions s’écrase sur l’édifice, Rumsfeld est aux premières loges. Après avoir aidé à évacuer les blessés, il devient l’un des hommes clefs de la riposte quand l’Amérique lance sa « guerre contre le terrorisme » sur plusieurs théâtres d’opérations, de l’Afghanistan à la Somalie en passant par l’Irak.
Aucun regret pour l’invasion de l’Irak
Rumsfeld a la confiance du nouveau président, et celle du vice-président, Dick Cheney, qui a été son protégé. Connaissant les rouages du Pentagone, il ne se laisse pas impressionner par les généraux. Alors que l’état-major entend préparer soigneusement les opérations contre al-Qaida et les Talibans qui donnent asile à l’organisation, Rumsfeld bouscule la hiérarchie. En s’appuyant sur des alliés afghans, il a recours à un tandem redoutable formé par des forces spéciales et des bombardiers lourds, qui met en déroute le régime des Talibans en quelques semaines. Mais l’absence de troupes au sol permet à Ben Laden de s’échapper.
Devenu une figure de la nouvelle administration, admiré pour son franc-parler, Rumsfeld joue un rôle décisif dans le changement d’objectif des États-Unis, quand quelques mois après la chute des Talibans, l’administration Bush se focalise sur l’Irak. Si Saddam Hussein n’a joué aucun rôle dans les attentats du 11-Septembre, Rumsfeld et d’autres membres de l’administration affirment que le dictateur possède un arsenal nucléaire, biologique et chimique, et que les États-Unis ne peuvent pas se permettre de le laisser fournir un jour certaines de ces armes à Al-Qaida ou à d’autres groupes terroristes. Comme pour terminer l’opération inachevée lancée en 1991 par le père du président, George H. Bush, Rumsfeld pousse à l’invasion, sans l’autorisation du Conseil de sécurité de l’Onu.
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Bagdad tombe rapidement, mais les forces américaines se retrouvent vite aux prises avec une violente insurrection. Rumsfeld est critiqué pour avoir rejeté l’avis du chef d’état-major, Eric Shinseki, qui avait prévenu que plusieurs centaines de milliers de soldats seraient nécessaires pour stabiliser l’Irak. En 2004, les révélations de mauvais traitements infligés par les gardes américains aux détenus irakiens dans la prison d’Abou Ghraib ébranlent le secrétaire à la Défense, qui a autorisé des méthodes d’interrogatoire relevant de la torture.
Contraint à démissionner en 2006, Rumsfeld n’a jamais exprimé aucun regret pour l’invasion de l’Irak. L’une de ses justifications les plus alambiquées est restée fameuse. « Il y a les choses que l’on sait, et nous savons également qu’il existe des choses que l’on ne sait pas. Mais il y a aussi les choses que nous ignorons que nous ne savons pas.»
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