Terrain miné, abandonné. Alors que le gouvernement s’enflamme pour la défense de la laïcité et de la neutralité, et légifère à grands frais pour lutter contre le séparatisme religieux sur le territoire français, les établissements de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) sont à la dérive. Un rapport de l’inspection générale de la justice clôturé en janvier 2021, mais seulement transmis aux juridictions le 21 juin dernier, tire un bilan catastrophique de la situation dans les structures d’accueil pour mineurs, comme les foyers et les centres éducatifs fermés , qu’ils soient administrés par des structures publiques ou par le maillage associatif. Et ce alors que ces établissements sont censés respecter le principe de laïcité et l’obligation de neutralité, tous deux inscrits dans le marbre de la loi et des textes réglementaires, qui sont légion.
Au centre de la préoccupation des enquêteurs, «la question particulière des repas en hébergements ». Elle «se pose avec une acuité particulière dans les hébergements et dans les centres éducatifs fermés (CEF). Elle concerne en premier lieu les mineurs, qui ont le droit de pratiquer leurs rites, et en second lieu les fonctionnaires, qui, en application de l’obligation de neutralité, ne doivent pas faire état de leurs convictions ni pratiquer leurs rites sur le lieu de travail. Cette problématique donne lieu à un grand nombre de manquements de la part des professionnels », note le rapport.
Les inspecteurs dressent un bilan inquiétant de la situation, émanant des dizaines d’auditions menées auprès des directrices et des directeurs interrégionaux de la PJJ, des référents laïcité et citoyenneté, des présidents d’association ou de centres éducatifs fermés. «Des éducateurs déclarent que tout le monde mange halal, car pour les non-musulmans ça ne change rien» , rapportent les enquêteurs. De plus, «il ressort des entretiens que les professionnels se voient servir des plats confessionnels à leur demande, dans des conditions et des fréquences variables selon les établissements» , poursuivent-ils.
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Le comportement problématique des éducateurs
Pire encore, «des repas confessionnels sont proposés aux mineurs sans autorisation ni demande explicite et écrite des parents ». Or, pour les repas confessionnels, le droit est clair: «Une autorisation doit être formalisée» , est-il rappelé, tandis que la norme est celle «de simple repas de substitution» . Le rapport note que «la difficulté à proposer trois types de repas a pu conduire les cuisiniers à favoriser la confection de repas confessionnels unique afin de surmonter leurs problèmes d’organisation pour permettre tant aux professionnels qu’aux mineurs de partager le même repas» .
Des éducateurs de confession musulmane en hébergement rédigent un “protocole ramadan” non conforme aux textes de la direction de la PJJ en la matière
Rapport de l’inspection générale de la justice
Le comportement de bien des éducateurs s’avère par ailleurs extrêmement problématique à maints égards: «Des éducateurs réveillent les jeunes pour le jeûne pendant la période de ramadan et rompent le jeûne avec les mineurs », dénonce le rapport. Ce dernier évoque des pressions d’éducateurs sur les cuisiniers pour la fabrication de ces repas sans que les directeurs de centres soient informés. Plus grave encore, «des éducateurs de confession musulmane en hébergement rédigent un “protocole ramadan” non conforme aux textes de la direction de la PJJ en la matière ». Quand ils ne se «positionnent pas eux-mêmes ou ne se voient attribuer le rôle de conseiller spirituel en raison de leurs convictions religieuses. Bien que contraire au principe de neutralité, cette dérive était acceptée implicitement comme permettant de pallier l’absence d’aumônier sur place, notamment dans les structures de placements contraints», pointe le rapport. Et de rapporter l’histoire de cet éducateur «faisant la morale au jeune, car son comportement était non conforme aux préceptes religieux» .
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À titre individuel, leur comportement pose parfois également problème. «Un éducateur rapporte qu’un collègue refuse d’aller à la piscine par peur que de l’eau ne rentre par la bouche en période de ramadan », décrivent les inspecteurs, tandis que certains «refusent de serrer la main de leurs collègues féminines » ou demandent de «surveiller les jeunes» pendant qu’il va faire sa prière, quand d’autres«disparaissent plusieurs fois par jour pendant le ramadan ». Autre «séparatisme» relevé dans le rapport: bien des éducateurs vont, en collectivité, parler «en langue arabe au repas avec les jeunes en présence d’autres jeunes et d’autres collègues ».
Les référents laïcité citoyenneté peinent d’ailleurs à suivre et à imposer «le peu d’instructions données » par l’administration centrale de la PJJ. «Rares sont les éducateurs ayant assimilé les notes en matière de laïcité et de neutralité », avouent-ils.
Contrôler le recrutement des éducateurs
Bien des responsables d’unité éducative «ne cachent pas que pendant longtemps l’administration a recruté ou laissé recruter des personnels non formés issus de quartiers et qu’il était recommandé de trouver des “accommodements” quand ces derniers demandaient que l’institution s’adapte à leurs particularismes culturels ou religieux ». Ces responsables demandent «que la PJJ continue le mouvement entamé en 2015 et soit plus exigeante en s’assurant au moment du recrutement que les candidats ne contestent pas les valeurs de la République », souligne le rapport.
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En filigrane, deux points sensibles. Tout d’abord, le contrôle des candidatures lors du recrutement. Or, «il résulte des entretiens effectués par la mission qu’il n’est pas inhabituel que des candidats présentant des casiers judiciaires chargés ou signalés pour des suspicions de radicalisation violente se présentent aux concours ou pour occuper des emplois de professionnels contractuels auprès des mineurs ».
Enfin, le rapport évoque «un chiffre noir des manquements à la laïcité et à la neutralité», notamment dû à la difficulté de les sanctionner. Il faut dire que plus d’un quart des responsables interrogés estiment «que la crainte de dégrader leur relation avec leurs agents peut faire obstacle à la remontée des situations difficiles», de même qu’ils redoutent «d’être poursuivis pour discrimination par les professionnels mis en cause ». Un comble.