Le CFCM traverse une énième crise, la dernière d’une longue série ces dernières années. Comment en finir ?
Mohammed Moussaoui : Cette crise a été imposée au CFCM par les quatre fédérations (FFAIACA, GMP, MF, RMF) pour des raisons obscures et non clairement avouées. J’ai longuement hésité à réagir à leur sortie médiatique eu égard à la gravité du moment choisi. Car j’y voyais une forme d’indécence en étalant des chamailleries qui n’ont pas lieu d’être au moment où notre pays traverse une crise sanitaire sans précédent et tout le monde tente de trouver des réponses aux nombreuses attentes de nos concitoyens. Oui, nos concitoyens pourraient voir dans cette énième crise une forme d’indécence et ils auraient raison. Le slogan du « tous pourris » a frappé l’instance représentative du culte musulman et j’en suis triste. Au fond, ce que me reprochent les quatre fédérations ne tient pas un instant face à l’analyse. Elles m’ont attaqué d’avoir organisé une réunion du bureau du CFCM pour nommer un nouvel aumônier national des prisons. Or le principe de cette nomination a été acté à l’unanimité en mars 2020, au même titre que la nomination du nouvel aumônier en chef des armées, intervenue sans heurts en janvier 2021.J’ajoute que le CFCM s’est engagé auprès du ministre de la justice en octobre 2020 à restructurer l’aumônerie musulmane des prisons et à mettre en place un plan de lutte contre la radicalisation dans le milieu carcéral. Lire aussi : Le CFCM se déchire autour de la désignation de l’aumônier musulman des prisons : les coulisses d’une énième crise
Il faut faire repartir la machine de la départementalisation et faire émerger une nouvelle instance représentative, libérée de l’emprise des fédérations.
Ces fédérations me reprochent donc d’avoir organisé cette réunion sous prétexte que les représentants des deux fédérations (CCMTF et CIMG, ndlr) qui n’ont pas signé la charte des principes pour l’islam de France, pourraient y participer en leur qualité de membres du bureau. Pire encore, ces fédérations ont réclamé la suspension pour une durée indéterminée de toutes les réunions du CFCM. Si j’avais accepté cette réclamation des fédérations, non seulement j’aurais mis le CFCM dans l’illégalité en ne respectant pas ses statuts qui prévoient des réunions régulières, mais j’aurais également à ces deux fédérations non signataires de la charte de mettre à genou l’institution représentative du culte musulman ! Plus surprenant encore, la veille même de la réunion contestée, l’ambassadeur de Turquie a été invité à un déjeuner à la Grande Mosquée de Paris. Certains attribuent au recteur des déclarations selon lesquelles c’est l’ambassade de Turquie aurait donné l’ordre aux deux fédérations de ne pas signer la charte des principes de l’islam. Où est la cohérence dans tout cela ? Ces crises successives sont les symptômes d’un mal profond qu’il convient d’identifier. Il faut en chercher les causes en dehors de ces faux prétextes qu’aucune personne sensée ne peut prendre au sérieux. Par leur annonce de créer une nouvelle instance pour représenter le culte musulman, ces fédérations veulent bloquer la réforme du CFCM. Au cœur de cette réforme, il y a la mise en place des assises de la départementalisation et l’abolition du système de cooptation. Un système qui leur permet de désigner d’office 30 cooptés des 87 membres du CFCM. L’aberration est d’autant plus flagrante que ces quatre fédérations toutes confondues ne disposent que de 12 élus sur ces 87 membres. En revanche, une fédération comme l’UMF, qui a obtenu à elle seule 18 élus, n’a le droit à aucun coopté. Maintenant, il faut refaire le CFCM différemment. Pour cela, il faut faire repartir la machine de la départementalisation en accélérant la création de nouveaux Conseils départementaux du culte musulman (CDCM), partout sur le territoire, et faire émerger une nouvelle instance représentative, libérée de l’emprise des fédérations. Les assises pour la départementalisation, accompagnées par les pouvoirs publics, seront l’occasion de consulter les musulmans de France et plus particulièrement les responsables de mosquées.
Les pouvoirs publics devraient finir par reconnaître la légitimité de cette instance du fait que le CFCM est devenu inopérant et hors-sol.
Puisque ces fédérations peuvent bloquer toute réforme du CFCM, comment allez-vous faire ?
Mohammed Moussaoui : Ces fédérations ont à la fois choisi de se retirer du bureau du CFCM tout en gardant un pied au sein de l’instance. A quoi cela rime-t-il du moment qu’elles ont annoncé la création d’une nouvelle instance ? Sinon de prendre le CFCM en otage. On va devoir convoquer une Assemblée générale pour voir quelles suites donner à la crise actuelle.
Deux options se présentent à nous : si l’AG du CFCM acte la création des CDCM et modifie ses statuts pour permettre aux représentants des CDCM d’élire d’une manière anticipée les instances nationales, nous aurons créé les conditions d’une évolution du CFCM vers une véritable instance représentative proche des préoccupations des musulmans de France. Si des blocages surviennent, les CDCM peuvent se constituer en conférence et revendiquer leur légitimité à représenter le culte musulman. Les pouvoirs publics, qui ont manifesté à maintes reprises leur grand intérêt à cette évolution nécessaire, prendront certainement acte de cette nouvelle situation.
Comment pensez-vous que les pouvoirs publics verront la création de cette nouvelle structure nationale ?
Mohammed Moussaoui : Il faut redonner un nouveau souffle à la représentativité du culte musulman. Les pouvoirs publics devraient finir par reconnaître la légitimité de cette instance du fait que le CFCM est devenu inopérant et hors-sol. En janvier 2019, à peine 1 000 parmi les 2 700 mosquées de France ont pris part aux élections du CFCM. La défiance à l’égard du CFCM n’a cessé de croitre et le fossé qui le sépare des acteurs du terrain n’a cessé de se creuser. Nous ne pouvons accepter de rester dans le déni et ignorer cette réalité. La fuite en avant des fédérations et leur refus de redonner la parole aux musulmans ne fera qu’aggraver la situation. Les musulmans de France comme les pouvoirs publics espèrent l’émergence d’interlocuteurs légitimes et capables de répondre aux grands défis auxquels le culte musulman est confronté. Les CDCM mobiliseront, au-delà des fédérations, parmi les 1 500 mosquées non affiliées et seront de fait les interlocuteurs des pouvoirs publics (préfets et maires). Ils donneront également forme aux instances nationales. Quant aux quatre fédérations qui veulent supprimer toute forme d’élection et désigner elles-mêmes tous les représentants à tous les niveaux, elles ne feront que reproduire les défauts d’une consultation fermée et non respectueuse de la volonté des acteurs du terrain. Le CFCM, sous tutelle des fédérations, est arrivé à son terme.
Si on veut renouer avec les musulmans de France, il faut s’ouvrir à eux pour leur redonner un espoir de voir naître une instance réellement représentative de leur culte.
Qui vous suit dans cette dynamique ?
Mohammed Moussaoui : Des acteurs du CFCM mais pas que. Les assises de l’islam de France de 2018 ont montré que cette dynamique est plébiscitée par une grande majorité des musulmans de France. Elle est ouverte à tous sans exclusion. Elle mobilisera les CRCM et les grandes mosquées régionales (Lyon, Evry, Strasbourg, Bordeaux, Saint-Denis de La réunion, Mantes-la-Jolie, Saint-Etienne, Saint-Ouen, Créteil…) qui ont un ancrage local fort et qui peuvent se retrouver dans une formule renouvelée de l’instance représentative du culte musulman. Elle mobilisera aussi des groupements associatifs et des fédérations qui ne participent pas à la vie de l’actuel CFCM. Si on veut renouer avec les musulmans de France, il faut s’ouvrir à eux pour leur redonner un espoir de voir naître une instance réellement représentative de leur culte.
Les quatre fédérations dissidentes ont aussi créé une coordination et appelé les mosquées à les rejoindre pour créer une nouvelle instance. Qu’en dites-vous ?
Mohammed Moussaoui : De nombreuses coordinations et coalitions de circonstance entre l’UOIF et la GMP ont existé par le passé et n’ont pas prospéré. D’autant plus que cette coordination n’a d’autre objet que d’empêcher les assises départementales largement plébiscitées par les musulmans de France. Ces derniers ont exprimé clairement leur défiance à l’égard de ceux qu’ils considèrent comme responsables de la situation actuelle. Lire aussi : Le CFCM implose : la mise en place d’une nouvelle instance annoncée par quatre fédérations
Si, demain, la Grande Mosquée de Paris voudrait revenir au bureau exécutif pour prendre son tour de présidence tournante (prévue initialement en janvier 2022), vous retirerez-vous alors du CFCM, pour être en adéquation avec ce que vous prônez ?
Mohammed Moussaoui : J’espère qu’on n’attendra pas une année pour faire émerger une nouvelle instance ! (…) Si la situation n’évolue pas au CFCM, l’UMF prendra ses responsabilités. Je ne prends personne par surprise : ma fédération a fait la promotion de la départementalisation dans le programme sur lequel elle a été élue. On continuera donc à y travailler, pour la mise en place d’un système qui part de la base.
Qu’en est-il de l’avenir du Conseil national des imams (CNI) ? Le projet est-il avorté ?
Mohammed Moussaoui : Il est clair que les cinq fédérations (celles qui ont signé la charte des principes pour l’islam de France, ndlr) ne peuvent pas piloter un tel projet seules car elles ne représentent pas la totalité de l’islam de France. Pour ma part, je pense qu’il faut s’ouvrir aux imams non affiliés et les associer à la construction du projet du CNI pour une adhésion pleine et entière. Le projet du CNI tel que je conçois et le conçoivent de nombreux imams avec qui j’ai pu échanger diffère sensiblement de celui que proposent les quatre fédérations. Celles-ci souhaitent d’abord le créer avec leurs imams qu’elles auraient désignés avant de l’ouvrir à d’autres imams non affiliés dans des proportions qui leur permettent d’en garder le contrôle. Je crains que cette démarche ne reproduise les mêmes défauts qui plombent le CFCM. Par ailleurs, mettre la signature de la charte comme une condition d’entrée au CNI pour les imams non affiliés pourrait constituer un frein à leur adhésion. Lire ce que proclame la charte
Un CNI désigné par des fédérations reproduira les mêmes schémas que l’actuel CFCM.
La signature de la charte doit-elle être une condition d’accès au CNI ?
Mohammed Moussaoui : La signature de la charte doit être exigée des membres du CNI au cours ou à l’issue des discussions sur son projet théologique. Un argumentaire théologique traitant des sujets de la charte pourrait être rédigé par le CNI pour renforcer le texte de la charte et lui donner une assise théologique. Le CNI doit aussi rédiger un code éthique et déontologique fixant les règles et le cadre régissant la mission de l’imam.
Mais elle doit l’être pour les fédérations membres du CFCM ?
Mohammed Moussaoui : Pour les trois fédérations, la signature de la charte a été mise comme une condition sine qua non pour la participation au CNI. En effet, ces fédérations avaient participé largement à la rédaction de la charte et ont reconnu que la dernière version était un compromis à hauteur de 90 %. Les imams non affiliés n’ont pas été associés à la rédaction de la charte. Je n’ai pas de problème particulier avec ces fédérations, elles n’ont pas signé pour des raisons qui sont les leurs. Je considère qu’elles ont fait une erreur mais les statuts du CFCM ne permet pas de les exclure des instances du CFCM. Ce serait mettre le CFCM dans une situation illégale. Il faut savoir faire la part des choses. Lire aussi : Les raisons de la non-signature de la charte par CCMTF, Milli Gorus et Foi & Pratique exposées
De nombreux imams et lieux de culte ont signifié leur refus de signer la charte. Comment construire un consensus qui permet l’intégration du plus grand nombre de cadres religieux ?
Mohammed Moussaoui : Idéalement, il faudrait créer des conseils départementaux des imams puis une coordination nationale qui élit le bureau national du CNI. Sa composition serait le fruit du choix des imams en exercice, enrichie (par la présence) d’intellectuels et de personnalités qui ont une valeur ajoutée sur la vie religieuse des musulmans. Si on ne peut pas mettre en œuvre cet idéal aujourd’hui, la création du CNI (avec les fédérations et des non-affiliés, ndlr) peut avoir un sens à condition que les membres du premier mandat du CNI, choisis pour leur compétence, leur rayonnement et leur notoriété publique, doivent être investis d’une mission à accomplir pendant une période probatoire limitée dans le temps (entre un ou deux ans). Durant ce mandat, le CNI doit poser les jalons de son projet théologique, créer les conseils locaux des imams, mettre en place ses principales commissions thématiques, définir son mode de gouvernance et ses moyens d’action. Quant aux membres des mandats suivants, ils doivent être élus par leurs pairs via les conseils locaux des imams, en adoptant un renouvèlement partiel qui assurerait la continuité de la mission du CNI. Le CNI doit être composé exclusivement par des imams conférenciers. Un espace de dialogue entre le CFCM renouvelé et le CNI doit être institutionnalisé pour permettre une meilleure coopération entre les imams et les gestionnaires de mosquées. Un CNI désigné par des fédérations reproduira les mêmes schémas que l’actuel CFCM. Ce sera une instance de plus comme le conseil religieux du CFCM, crée en 2016 et qui n’a jamais été opérationnel. On n’a pas besoin de reproduire de pareils échecs. Lire aussi : Du Rhône à l’Eure-et-Loir, la contestation monte dans les mosquées de France contre la charte des imams