Le 30 juin, la Commission européenne a officiellement débloqué les 750 milliards de fonds attribués aux pays européens les plus fragilisés par la crise. Avec 191,5 milliards d’euros, l’Italie se taille la part du lion. Pour le seul mois de juillet, 25 milliards d’euros doivent être débloqués pour les chantiers ayant trait à la numérisation, la transition écologique, les infrastructures, les énergies renouvelables, l’éducation, la santé et la modernisation de l’État.
Les mafias qui ont tiré parti de la crise du Covid-19 et du confinement pour renforcer leur position dans toute l’Italie et en Europe feront tout pour s’approprier une partie de ce magot. L’Union européenne le sait mais fait confiance à l’État italien pour contrôler autant que faire se peut la situation.
CERTIFICAT ANTIMAFIEUX
Nicola Altiero, numéro 2 de la Direction des enquêtes antimafia (DIA), se veut rassurant. « Nous ferons tout pour qu’il n’y ait pas de détournement, affirme à Marianne le patron du pôle financier de l’organisation. Nous avons prouvé notre efficacité en révélant toutes les activités criminelles qui se sont développées depuis deux ans. Nous connaissons parfaitement les méthodes de ces organisations. Le mécanisme de la triangulation qui lie une société italienne, une entreprise exportatrice et un paradis fiscal est parfaitement connu et maîtrisé. »
Pour éviter qu’un examen préalable des dossiers ne bloque les versements européens, l’Italie a décidé que le contrôle se ferait a posteriori, au niveau des appels d’offres. « Nous vérifierons à ce stade s’il n’y a pas eu pas de tentatives d’infiltration des entreprises et des sous-traitants assure Nicola Altiero. L’informatique et nos banques de données sont opérationnelles. » Délivré après l’ouverture d’une enquête spécifique, le certificat antimafieux sera obligatoire pour prétendre aux aides européennes. Écoutes téléphoniques et dénonciations seront mises à profit et tout devrait être passé au crible, depuis les comptes courants jusqu’à la liste des fournisseurs.
EUROPÉANISATION
D’après la direction de la DIA, les aides européennes seront ainsi attribuées et gérées par les préfets et non par les communes, ce qui constitue une garantie supplémentaire de sécurité. Cela n’empêchera pas les pays dits « frugaux » comme les Pays-Bas et l’Allemagne de garder l’Italie dans le viseur. Pourtant, la mafia italienne est aussi très active dans ces pays.
« En 2007, on a découvert que des familles mafieuses de San Luca, le centre névralgique en approvisionnement en cocaïne de toute l’Europe, s’étaient établies à Duisbourg et on avait remarqué, en relevant des tatouages effectués, que les rites mafieux avaient été accomplis en Allemagne » relève ainsi Clotilde Champeyrache, maître de conférences à l’université Paris-VIII. Pour elle, « on fait fausse route, en Europe si l’on considère que le problème mafieux est seulement italien ».
La preuve par Europol. D’après l’organisation anticriminelle européenne, 65 personnes ont été récemment arrêtées, soupçonnées d’avoir organisé un trafic de cocaïne entre l’Italie, les Pays-Bas, l’Allemagne et l’Espagne pour le compte de la ‘Ndranghetta, la mafia calabraise.
UN PARQUET EUROPÉEN ?
Le 23 mai dernier, en commémorant l’assassinat du juge Giovanni Falcone à Capaci, Sergio Mattarella, président de la République italienne a rappelé que le magistrat assassiné en 1992 s’était battu en vain pour que l’Europe élabore une politique antimafia. Le président italien espère que la création d’un parquet européen, pour lequel l’Italie vient de nommer quinze juges, changera la donne. « Cela fait des années que l’Italie réclame que l’Union européenne adopte au niveau des 27, l’équivalent de son article 416 bis qui institue le délit d’association mafieuse, précise Clotilde Champeyrache. En retour, l’Europe n’a pour réponse que la dénonciation du régime de prison arbitraire institué contre les mafieux. »
En Italie, une entreprise n’a pas le droit de sous-traiter plus de 40 % d’un marché public et les certifications anti-mafia, gage de sécurité, sont en hausse de 38 %. Malgré cela, une partie importante des fonds européens sera très probablement détournée. Comme cela avait été le cas à l’occasion de l’Expo Milan 2015, ou pour la reconstruction de la ville d’Amatrice après le tremblement de terre de 2016 qui avait fait 295 victimes. Et ces détournements risquent de ne pas concerner que la seule Italie, ce que l’Union européenne ne semble pas encore réaliser. Comment imaginer qu’il puisse en être autrement quand on sait que les mafias italiennes réalisent un chiffre d’affaires global équivalent aux aides européennes, soit 200 milliards d’euros par an ?
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