La justice aurait-elle des réticences à enquêter sur l’administration pénitentiaire ? La question se pose alors qu’une affaire de violences commises à la prison de Metz-Queuleu (Moselle), impliquant des surveillants, semble piétiner.
Tout commence le 19 septembre 2018 lorsqu’un détenu porte plainte après avoir été tabassé dans sa cellule. Selon sa déposition, les faits se seraient produits au moment de la distribution des repas du midi, habituellement effectuée par des « auxiliaires », c’est-à-dire des détenus affectés à cette tâche. « Un détail m’a interpellé, raconte-t-il alors. Habituellement, les repas nous sont servis très près de la porte mais là il était loin, comme s’il [l’auxiliaire, N.D.L.R.] avait envie que je sorte. » Au moment où le détenu s’apprête à saisir son plat, quatre personnes surgissent dans la cellule et le rouent de coups pendant « trois, quatre minutes ». Son codétenu tente de s’interposer mais se fait frapper à son tour.
Détail troublant : « Dans l’entrebâillement de la porte, j’ai vu qu’un surveillant était caché » relate le plaignant.
LA TÊTE EN SANG, QUINZE MINUTES AU SOL
Cette déposition entraîne une libération de la parole parmi les prisonniers : au moins trois autres relatent chacun une scène similaire. À chaque fois sous les yeux passifs, voire complices, de surveillants.
Sept mois plus tôt, en février 2018, un autre détenu a perdu une dent, agressé par un auxiliaire. En mai de la même année, le même est passé à tabac par « trois détenus » qui entrent dans sa cellule au moment de la distribution des repas.
Un autre encore se fait « cogner la tête contre les barreaux » tandis qu’un « gardien qui était là et qui voyait la situation n’a pas bougé ». Lors d’un changement de cellule, il est à nouveau rossé : « Je suis tombé et ma tête a tapé une accroche pour l’extincteur, j’ai beaucoup saigné de la tête. » « Je suis resté au moins quinze minutes au sol, personne n’est venu à mon secours. Un gardien a même dit : ” Oh, c’est pas grave, il a glissé ” ».
DES DÉTENUS “POINTEURS”
Un point commun relie ces différents plaignants et explique sans doute pourquoi ils ont été ciblés : ils sont tous mis en cause pour des affaires de violences sexuelles sur mineurs. En prison, on les appelle « des pointeurs » et ils doivent souvent être isolés pour éviter des représailles.
Face à l’accumulation de témoignages, le parquet de Metz a ouvert une information judiciaire le 8 octobre 2018 et un deuxième juge d’instruction a été co-saisi en décembre 2019. Et pourtant…plus de deux ans après le déclenchement de la procédure, aucun surveillant n’a encore été mis en cause. Seuls deux détenus, qui nient les faits, ont été mis en examen en fin d’année 2020 pour « violences aggravées » (le guet-apens et l’action en réunion constituent des circonstances aggravantes).
LES INVESTIGATIONS “RALENTIES”
Les avocats des plaignants s’impatientent et s’étonnent. « Ce dossier n’avance pas, ce n’est pourtant pas difficile de savoir quel surveillant travaillait à cet étage le jour où les passages à tabac ont eu lieu » s’exclame Thomas Hellenbrand, pénaliste à Metz. Il s’étonne également que son client n’ait « toujours pas été entendu par les deux juges ».
« Bizarrement, les seuls mis en examen ne font pas partie de l’administration pénitentiaire, ironise Olivier Rondu, inscrit au même barreau. L’enquête piétine mais c’est généralement le cas dans des affaires mettant en cause des services de l’État. »
Sollicité par Marianne, le procureur de la république de Metz, Christian Mercuri tempère : « Les investigations ont été ralenties par des transferts administratifs de détenus voire des levées d’écrou, ce qui a obligé les enquêteurs à des recherches et des déplacements hors ressort. »
TRAFIC D’ALCOOL
Difficile d’aller chercher des détenus libérés, certes. Mais quid de surveillants peut-être encore en poste ? « À ce stade de l’instruction, on ne sait pas si des surveillants sont complices ou carrément organisateurs » s’interroge Cédric Demagny, le conseil du premier détenu à avoir brisé le silence. Autrement dit : des surveillants ont-ils pu payer des détenus pour se défouler sur des « pointeurs » ? La question est d’autant plus sensible que selon nos informations, la justice s’intéresse déjà pour d’autres motifs à la vie de la prison. Un surveillant doit en effet être jugé le 1er février pour un trafic d’alcool au sein de l’établissement.
Depuis leur dépôt de plainte, les détenus n’ont en tout cas plus subi de violences. En 2019, des caméras ont été installées dans l’établissement, suscitant la colère des syndicats pénitentiaires. « On est un peu fliqué quand même. C’est pas facile de travailler avec des caméras qui peuvent être utilisées contre nous. » témoignait une surveillante auprès de France 3 en septembre dernier. Pas facile mais sans doute utile.