Vues:
240
Le ministre de l’Intérieur a lancé ce samedi le Forum de l’islam de France, remplaçant du CFCM de Nicolas Sarkozy, qui ambitionne d’aborder de nombreuses dossiers de fond, dont la formation des imams et le financement du culte.
Gérald Darmanin, à l’inauguration du Forum de l’islam de France, à Paris, le 5 février. (Lewis Joly/AP)
par Bernadette Sauvaget
Il fallait un cadre prestigieux pour enterrer officiellement le Conseil français du culte musulman (CFCM), mis en place en 2003 par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, chargé des cultes. Et fonder officiellement, dans la foulée, le Forum de l’islam de France (Forif), la nouvelle instance de dialogue avec les pouvoirs publics, actée par l’un des fils spirituels de l’ancien président, Gérald Darmanin . Dans l’hémicycle du palais d’Iéna, siège à Paris du Conseil économique social et environnemental (Cese), sous la magnifique voûte de béton et un impressionnant lustre des années 30, l’actuel ministre de l’Intérieur est venu ouvrir une «nouvelle ère », selon ses mots, d’un islam de France, lui, encore en chantier.
«La représentation du culte musulman doit désormais tenir compte d’une réalité qui a changé. Bien plus de la moitié des musulmans de notre pays sont des Français nés en France, a souligné Darmanin dans son discours prononcé devant le Forif. Ils sont entrepreneurs, médecins, avocats, fonctionnaires, universitaires, scientifiques, chefs d’entreprise, ouvriers, juges. Certains fréquentent régulièrement les lieux de culte, d’autres épisodiquement. […] Notre conviction profonde est que l’islam de France ne doit concerner que la France et les musulmans français. Permettre le contraire, c’est accréditer l’idée que l’islam est une religion d’étrangers, pour des étrangers, financée par l’étranger. Permettre cela, c’est donner raison aux populistes.»
«Travail de fond»
Sagement, le ministre a d’abord écouté le compte rendu des quatre groupes de travail mis en place par l’exécutif au début de cette année pour aborder les questions du statut et de la formation des imams, du fonctionnement des aumôneries et de l’adaptation des associations gérant des lieux de culte aux nouvelles exigences de la loi sur le séparatisme. Car il s’agit maintenant de montrer que l’on travaille efficacement et qu’on s’attaque aux problèmes de fond. Dans l’assistance, il y avait presque une centaine de responsables locaux, investis dans des aumôneries, des écoles coraniques, des associations gestionnaires de lieux de culte, choisis par l’administration et composant le Forif. «Du sang neuf», a relevé l’un des anciens présidents du CFCM, Anouar Kbibech, qui se félicite du «travail de fond» mené au sein de la nouvelle instance.
De fait, si le CFCM est mort, c’est qu’il a été paralysé, selon les mots du ministre, «par une gouvernance bloquée» empêchant «les projets concrets d’avancer», et le contrôle exercé sur lui par les pays d’origine, le Maroc, l’Algérie et la Turquie. Bref, l’option est de faire émerger une nouvelle génération de leaders issus du terrain. « Nous devons combattre sans ambiguïté en déclarant l’islamisme et le salafisme comme notre ennemi commun», a aussi encouragé le ministre de l’Intérieur.
Financement du culte
Les groupes de travail ont demandé des audits ou des études sociologiques pour faire un point de la situation, l’établissement de statuts et d’une rémunération pour les aumôniers, de même qu’à l’égard des imams. Pour ces derniers, il s’agit aussi de mettre en place une protection sociale et de labelliser des formations. Mais le chemin est encore long. Il sera nécessaire d’en définir précisément les contenus.
Comme attendu, il y a eu peu de décisions concrètes à l’issue de ce premier raout. La plus spectaculaire, sans doute, est l’annonce de la création d’un nouveau groupe de travail consacré au financement du culte. «Il y a eu beaucoup de remontées du terrain le réclamant», explique une source proche du dossier. L’affaire s’annonce épineuse et compliquée. Faut-il rouvrir le dossier explosif de la taxe halal ? Pour ce qui est l’organisation du grand pèlerinage à La Mecque, le hadj, source de profit douteux pour de nombreux intermédiaires, les discussions sont encore en cours avec l’Arabie saoudite, notamment quant à la gestion très stratégique des 25 000 visas accordés, chaque année, à la France. Sur cette question des financements, le ministre s’est également engagé à résoudre la question de plus en plus compliquée d’accès à des comptes bancaires pour les associations qui gèrent des lieux de culte. Beaucoup d’entre elles font remonter d’importantes difficultés à ce sujet .
Nomination des aumôniers nationaux
Pour ce qui est des actes antimusulmans, le groupe de travail qui lui est dédié a suggéré la création d’une association nationale qui prendrait en charge cette question. Elle traiterait de la sécurisation des lieux de culte pour laquelle le ministre a annoncé plus de moyens, le signalement des atteintes à la personne et la lutte contre ce que personne n’ose plus appeler, sous la nouvelle ère Darmanin, l’islamophobie.
Dans les prochaines semaines, les travaux du Forif devraient reprendre sous la houlette du bureau central des cultes du ministère de l’Intérieur. Il faut, en effet, rapidement mettre sur pied l’autorité pour gérer la question des aumôneries et tout particulièrement la nomination des aumôniers nationaux, tâche dévolue jusqu’à présent au feu CFCM. Sous le feu des critiques pour son manque d’indépendance vis-à-vis de l’administration, le Forif peut cependant voir porter à son crédit de prendre à bras-le-corps les dossiers de fond. Et d’y travailler…
Accents de campagne électorale
Vieux sage de l’ancrage sur le terrain de l’islam de France, Kamel Kabtane, le recteur de la Grande mosquée de Lyon, a détonné en réclamant, lui, des élections en bonne et due forme. «Le Forif n’est pas la représentation des musulmans. Nous sommes dans un pays démocratique et cela doit s’appliquer aussi à l’islam», a-t-il déclaré devant quelques journalistes. Le «baron» de l’islam lyonnais n’a pas donné davantage de précisions sur ce qu’il envisageait, si ce n’est que ces élections devraient se tenir, selon lui, au niveau des départements.
A deux mois du premier tour de l’élection présidentielle, la mise à l’agenda de ce sujet explosif et complexe par le gouvernement pourrait surprendre. Mais l’extrémisme obsessionnel d’Eric Zemmour à l’égard des musulmans et de l’islam sert opportunément la cause de Gérald Darmanin, qui passerait presque désormais pour un centriste. «Les islamistes et les populistes ont un même objectif, ne plus vivre dans une république laïque», a ainsi lancé le ministre dans l’enceinte du Cese. Des accents de campagne électorale.