En Chine, 2021 commencera donc comme 2020 aurait dû commencer : dès les premiers jours de janvier, une équipe d’une douzaine d’experts missionnés par l’Organisation mondiale de la santé débarquera en Chine pour enquêter sur l’origine de la pandémie de Covid-19. D’après les informations communiquées par ses membres auprès des grandes agences internationales d’information, leur séjour devrait commencer par deux semaines de quarantaine, suivies de quatre semaines d’enquête.
« Il ne s’agit pas de trouver le pays ou l’autorité coupable »…
Selon Reuters, ils devraient se rendre à Wuhan, alors que de précédentes fuites semblaient indiquer auparavant que les autorités chinoises y faisaient obstacle, préférant des entretiens par visioconférence, à distance. Traduisant les conditions fixées par Pékin à une enquête perçue à la fois comme une mise en accusation et comme une ingérence remettant en cause sa souveraineté, trois messages tournent donc en boucle dans les médias. D’abord, la volonté de ne pas faire le procès de la Chine. « Il ne s’agit pas de trouver le pays ou l’autorité coupable », a déclaré à l’Associated Press un des enquêteurs, Fabian Leendertz, de l’Institut Robert-Koch, l’agence allemande de lutte contre les maladies. « Il s’agit d’essayer de comprendre ce qui s’est passé, puis de voir si, sur la base de ces données, nous pouvons tenter de réduire ce risque dans le futur. »
Deuxième message : la piste « animale » est toujours privilégiée, par rapport à celle d’un accident de laboratoire. « Il n’y a rien qui indique que cela ait été causé par l’homme », a martelé encore récemment Peter Ben Embarek, expert en sécurité alimentaire au bureau de l’OMS en Chine. Enfin, troisième message : l’enquête prendra du temps et il ne faut attendre aucun résultat avant longtemps. Fabian Leendertz a ainsi prévenu d’emblée : il « adorerai[t] qu’il s’agisse d’une mission à la Indiana Jones », avec une enquête de terrain permettant des percées décisives, mais « ce sera plutôt un travail d’équipe avec des collègues chinois pour aider à identifier les étapes nécessaires et voir comment poursuivre.»
Une enquête médico-légale devrait être prioritaire
Si l’origine de la pandémie est à chercher dans une transmission fortuite entre la chauve-souris, un animal intermédiaire et l’homme, par des activités comme le commerce ou l’élevage, cette quête prendra des années. Après la pandémie de H1N1 en 2009, il a fallu six ans pour découvrir précisément l’origine du virus dans les élevages porcins du Mexique. Avec le Sars-CoV-2, le virus à l’origine du Covid-19, il faudra pour y parvenir renforcer la surveillance des coronavirus dans les animaux d’élevage et sauvages, avec un très grand nombre de suspects comme éventuels hôtes intermédiaires, alors qu’un tel réseau de surveillance reste embryonnaire, contrairement à ceux existant pour les virus de la grippe.
Reste cependant une seconde hypothèse : l’accident de laboratoire. Ne requérant qu’une simple enquête médico-légale dans les laboratoires les plus proches de l’épicentre, elle devrait être explorée, si ce n’est en priorité, du moins dès que possible – pour s’éviter plusieurs années de recherches sur une autre piste. « Une enquête médico-légale crédible devrait exiger l’accès aux archives, aux échantillons, au personnel et aux bâtiments de l’Institut de virologie de Wuhan, au CDC [Centre de contrôle des maladies, NDLR] de Wuhan et à l’Institut des produits biologiques de Wuhan », détaille Richard Ebright, microbiologiste à l’université Rutgers aux États-Unis et spécialiste de la biosécurité. « Elle devrait comprendre une inspection des archives papier et électroniques, une inspection des réfrigérateurs et congélateurs, des interrogatoires avec le personnel, dont les employés de construction, de maintenance, de nettoyage, de retraitement des déchets, du laboratoire et de l’administration, ainsi que des prélèvements sérologiques sur ces individus et environnementaux dans les bâtiments. »
Une omerta et des conflits d’intérêts
Rien de tout cela n’est évidemment au programme de l’enquête de l’OMS. Si elles ont lieu, les visites dans les laboratoires seront « strictement formelles », craint Ebright, et les interrogatoires « extrêmement limités ». Ce scientifique, qui dénonce depuis le printemps l’omerta sur l’origine du virus, est surtout scandalisé par la présence parmi les enquêteurs de l’OMS de Peter Daszak, président de l’EcoHealth Alliance, un groupe de recherche spécialisé dans les maladies infectieuses émergentes, collaborateur de longue date des équipes de l’Institut de virologie de Wuhan. « Daszak a des conflits d’intérêts disqualifiant avec le laboratoire de l’IVW, précise-t-il. Il a été en contrat avec l’IVW et l’a financé à partir de financements de 200 millions de dollars de l’USAID [l’Agence des États-Unis pour le développement international, NDLR] et de 7 millions de dollars du NIH [Instituts américains de la santé] et a été un collaborateur du projet de recherche de l’IVW qui doit être soumis à investigation. Il devrait lui-même être visé par l’enquête ! » Conclusion : « Le fait que le Lancet l’ait nommé à la tête de sa task force sur l’origine du Covid-19 et que l’OMS l’ait inclus dans son équipe d’enquêteurs rend clair que ces travaux ne pourront être considérés comme des enquêtes crédibles et doivent plutôt être vus comme des tentatives brutes de blanchiment. »
À défaut de preuves, des tribunes
Pour Richard Ebright, cette entreprise pour enterrer l’enquête sur la piste des laboratoires a commencé dès le 17 mars, avec la parution d’un article sur « L’origine proximale du Sars-CoV-2 » dans Nature Medicine, une publication de « second rang » du groupe de revues scientifiques Nature. Cet article avait alors été présenté comme la preuve définitive que le virus ne pouvait pas avoir pour origine une activité des laboratoires de Wuhan. Or, cet article ainsi qu’une lettre parue le 17 février dans The Lancet n’étaient pas en réalité des articles scientifiques revus par des pairs, basés sur des données scientifiques nouvelles, mais des « tribunes » qui « ne présentaient que des opinions ».
Des messages échangés par les cosignataires de ces textes ont récemment fuité et été publiés par le site d’investigation US Right to Know. Ces correspondances par e-mail obtenues par USRTK montrent que la lettre dans The Lancet a été orchestrée par l’EcoHealth Alliance et Daszak. Elle a cependant été rédigée pour « ne pas être identifiable comme provenant d’une organisation ou d’une personne », mais plutôt pour être vue comme « simplement une lettre de scientifiques en pointe ». Outre Daszak, quatre signataires étaient affiliés à EcoHealth, et ne l’ont pas révélé, alors que tous les signataires affirmaient n’avoir aucun conflit d’intérêts. Comme 2020, 2021 donnera donc décidément de la matière à ceux qui voudront enquêter sur l’origine du Covid-19 !