La première obédience maçonnique de France, le Grand Orient, est réunie en convent annuel à Marseille avec 1300 délégués pour réfléchir aux enjeux de la République, à la question de la laïcité, la bioéthique, le développement durable, la diffusion de la franc-maçonnerie à l’international. Dans la soirée du 25 août, les 35 membres du Conseil de l’ordre ont aussi élu un nouveau grand maître, Christophe Habas. Daniel Keller a quitté cette charge après trois années de responsabilité. Il tire un bilan et commente l’actualité de la laïcité. Avec 52 000 adhérents, le Grand Orient représente 30 % de la franc-maçonnerie française.
LE FIGARO. – L’avis du Conseil d’État sur l’arrêté antiburkini de Villeneuve-Loubet est très attendu. Quelle est la position du Grand Orient?
Daniel KELLER. – J’espère que le Conseil d’État saura clore une polémique qui n’aurait pas dû avoir lieu. Il est indispensable que le dernier mot revienne à l’État de droit afin que chacun se conforme aux règles de la République.
En début de semaine prochaine, le ministère de l’Intérieur va annoncer des mesures concernant le financement de l’islam en France. Dont celui des mosquées: l’État doit-il intervenir?
La loi de 1905 est claire. Ce n’est pas à la puissance publique de financer la construction d’édifices religieux.
Une ligne de fracture divise la gauche elle-même sur l’esprit de la laïcité. Les uns la voudraient sans concession, les autres plus conciliante avec les religions. Dans quelle vision le Grand Orient se reconnaît-il?
La laïcité s’est imposée au long d’un parcours difficile. Les accommodements dont elle a fait l’objet sont déjà anciens. La laïcité est aujourd’hui encore plus nécessaire qu’hier, elle est le pilier de la République.
« La religion doit avant tout être affaire de conviction intime »
Daniel Keller
Les sondages démontrent que la montée du rejet de l’islam se confirme chez les électeurs de droite mais s’est installée – et c’est nouveau – à gauche. Constatez-vous cette tendance au sein du Grand Orient?
La République s’est construite dans le dépassement des assignations théologiques quelles qu’elles soient. C’est le message laissé par la Révolution française: l’avènement d’un monde dans lequel les hommes décident seuls de la loi qu’ils veulent se donner sans tourner les yeux vers le ciel! C’est pour cela que la religion doit avant tout être affaire de conviction intime.
L’été 2016 a été marqué par le massacre de Nice et l’assassinat du père Jacques Hamel qui célébrait la messe. Ce dernier acte a profondément ému la France: l’ampleur de cette émotion pour ce vieux prêtre vous a-t-elle étonné? Fallait-il que le président de la République aille à Rome pour rencontrer le Pape à ce propos?
L’assassinat d’un prêtre est révoltant comme l’assassinat de tout être humain. Cela étant, les propos qui ont consisté à dénoncer la loi républicaine comme légalisation des déviances, ou assomption d’un funeste pluralisme des valeurs, sont préoccupants. Je ne suis pas sûr, à titre personnel, que le président de la République devait pour autant rendre visite au Pape.
Ces faits provoquent un durcissement de l’opinion et du débat en vue des élections présidentielles. Comment voyez-vous l’évolution de la France travaillée par la question de son identité et, pour certains, au bord d’une crise civile?
L’enjeu majeur de la prochaine élection sera le rassemblement des citoyens sur le projet républicain dont la France a besoin: un projet qui renoue avec l’ambition intégratrice de la République. Un projet qui ne se limite pas à un arsenal de mesures sécuritaires, si nécessaires soient-elles. Il est urgent de redonner confiance dans la France à la jeunesse.
Vous quittez votre charge de grand maître du Grand Orient de France, quel bilan tirez-vous?
Après trois ans de grande maîtrise, je suis préoccupé par le fait que la franc-maçonnerie doive aller toujours plus à contre-courant. Avons-nous été suffisamment pugnaces? Je me réjouis de la visibilité que le Grand Orient de France a retrouvée. Mais elle doit servir à donner aux réflexions des francs-maçons la portée qu’elles méritent. Enfin, la cohésion retrouvée de l’obédience est essentielle à son rayonnement futur.