Il se prénomme Hannibal, en mémoire du général carthaginois venu défier Rome avec ses éléphants. Hannibal Kadhafi, le cinquième fils du dictateur libyen, croupit depuis 2015 dans une prison libanaise. Du temps de sa splendeur, ce noceur invétéré et violent remontait les Champs-Élysées à contresens à 140 km/h. À chaque frasque, à Londres, Genève, Rome ou Paris, son passeport diplomatique lui évitait les ennuis. Mais ce temps-là est révolu. Voilà aujourd’hui ce fils Kadhafi au milieu d’une étrange affaire, mêlant un curieux personnage, Noël Dubus, la reine des people, Mimi Marchand, aujourd’hui incarcérée, et… l’ancien président Nicolas Sarkozy. Un scénario de polar abracadabrantesque.
Les juges en charge de l’enquête sur la fausse rétractation de Ziad Takieddine – publiée en novembre 2020 dans les colonnes de Paris Match – concernant le financement libyen de la campagne Sarkozy de 2007 ont ainsi découvert que l’équipe Marchand-Dubus travaillait aussi à une opération jumelle, la libération de Hannibal Kadhafi. Avec l’espoir d’un hypothétique coup double : gagner une forte récompense de la famille de l’ancien dictateur, réputée encore riche à millions. Mais aussi obtenir des documents du camp Kadhafi susceptibles de mettre hors de cause Nicolas Sarkozy dans l’enquête libyenne portant sur le financement de sa campagne présidentielle de 2007. Deux objectifs a priori antagonistes, comme l’a d’abord admis Dubus en garde à vue : « La famille Kadhafi, s’ils voient Sarkozy, ils le tuent. » Mais rien ne semble pouvoir dérouter ce sulfureux Dubus au parcours édifiant (il a fait huit ans de prison pour escroquerie) et au culot à toute épreuve… Lui qui ne parle pas un mot d’anglais ni un mot d’arabe ne se fait-il pas passer pour un ancien agent infiltré du PKK (parti kurde antiturc) ?
INNOCENTER ZÉBULON
Devant les juges Vincent Lemonier et Noémie Nathan, Dubus, 53 ans, est intarissable sur l’opération « Hannibal » : « Je l’ai vu trois fois. Vous avez mes permis de visite dans mon téléphone. Je suis la seule personne à avoir réussi à le voir… » Jusque-là, pas vraiment le sujet des magistrats. Mais Noël Dubus affirme que, comme pour la « rétractation » Takieddine, il rendait « compte à Mimi Marchand ». « Mimi était persuadée que, si je réussissais à faire sortir Hannibal Kadhafi, j’allais pouvoir également faire sortir Saadi, un autre frère détenu à Tripoli, et que ça me donnerait accès aux archives de la famille… Mimi espérait avoir le disque dur concernant tous les éléments des Libyens en lien avec la France » soutient Noël Dubus.
Mais pourquoi « Mimi », la reine des paparazzi, amie des couples Macron et Sarkozy, se serait-elle informée de ces tractations secrètes avec le camp Kadhafi ? Devant les enquêteurs, Mimi Marchand nie en bloc. Certes, elle était au courant que Dubus, qu’elle appelle « Nono »avait eu trois parloirs avec Hannibal Kadhafi, dont « il espérait la libération ». « Mais “Nono”, en me racontant cela, a l’impression de briller à mes yeux. Il m’a même demandé si cela m’intéressait de couvrir la libération de Hannibal en photos. Je lui ai répondu que non, cela ne m’intéressait pas, et que ça n’intéresserait personne » soutient Mimi Marchand.
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Pourtant, dans la messagerie WhatsApp de la papesse de la presse people, les enquêteurs ont découvert un curieux message : « Il a pour la première fois, le Z, été moyen aimable me faisant entendre que ça ne marchera pas… qu’ils ne payeront pas, les K, et que c’est trop long là… je l’ai vu trente minutes. Agacé ! » écrit-elle à Dubus. Décodage de « Nono » devant les juges : « Le Z, c’est Zébulon explique-t-il, c’est-à-dire Sarkozy. » « Il ne croit pas » que les « K » c’est-à-dire les Kadhafi, « payeront ». Dubus poursuit : « [Hannibal] Kadhafi devait me payer une fois sorti et la famille Kadhafi devait payer le Liban pour sa libération (caution, sécurité résidence surveillée). Mimi était persuadée que, si je sortais Hannibal, j’aurais accès au disque dur et qu’elle y aurait accès par mon intermédiaire. À ce moment-là, soit elle trouve des documents compromettants et elle les efface. Soit elle ne trouve rien et c’est favorable à Sarkozy. Elle voulait que la libération intervienne dans le cadre du procès Bygmalion pour bénéficier à Sarkozy » échafaude Dubus.
Dans le téléphone de ce dernier, les enquêteurs ont aussi découvert des photos d’une délégation libyenne reçue en mai 2021 à l’Élysée. « Mimi vous demande de “prendre une photo pour Z”. Pour quelle raison ? »interrogent les magistrats. « Pour prouver à Sarkozy que je suis vraiment proche des Libyens » réplique Dubus.
Mimi Marchand, là aussi, dément. Elle ne connaît pas non plus le général des services secrets de l’armée libanaise, « Ali S. », qui, selon Dubus, a servi d’agent dans les opérations « Takieddine » et « Kadhafi ». Pourtant, ce curieux général semble être l’auteur des photos de Takieddine devant notaire, publiées par Paris Match et facturées par son agence, Bestimage. Autre bizarrerie, dans une salve de SMS, il est question d’une sorte de comptabilité entre « Mimi » et le financier de Dubus, Arnaud Le Saige de la Villesbrunne, lui-même en contact avec le général « Ali S. ». « Moi, résume ainsi Villesbrunne à Dubus, elle m’a donné 18 et toi 20, donc il reste 2. » « De quelle Mimi on parle ? » réagit Mimi Marchand, répétant qu’elle ne connaît « pas de Ali ». A-t-elle pourtant, comme le prétend Dubus, versé des espèces qui ont atterri au Liban ? Elle nie farouchement. « Aujourd’hui, les affirmations de Dubus me paraissent ubuesques » dit-elle en garde à vue. A-t-elle pu être piégée et derrière elle, Sarkozy en personne ?
« GRANDE MANIPULATION »
Arnaud Le Saige de la Villesbrunne, devant les policiers, jure n’avoir « jamais été un barbouze de Sarkozy » mais soutient lui aussi une forme de « grande manipulation ». Cet ancien d’Agence Publics, la société de communication de la présidentielle de 2007, a néanmoins financé les deux opérations libanaises, en ayant servi de banque à un Dubus interdit de chéquier jusqu’en décembre 2020. En amont, Villesbrunne a reçu une commission de 320 000 € en provenance du marchand de biens Pierre Reynaud. Un personnage haut en couleur lui aussi. Un revolver chargé dans la table de nuit de sa chambre à coucher, une Rolls dans le garage et une Porsche devant chez lui, Reynaud prétend que cette commission n’a rien à voir avec le Liban et qu’elle est liée à la négociation d’un prêt de 1 milliard d’euros auprès d’un fonds souverain philippin. En garde à vue, Pierre Reynaud nie avoir joué le moindre rôle « dans cette équipe de clochards » et multiplie les formules audiardesques : « Je n’arrive pas à croire ce que dit Dubus, mais si c’est vrai, Sarkozy mérite d’aller au ballon… Je ne peux pas croire que Sarko ait reçu Dubus chez lui, c’est trop énorme. »
Dans le dossier, une autre personne mentionne aussi la présence de Dubus chez l’ancien président : Lisa H., 27 ans, la secrétaire-traductrice de « Nono ». Après avoir tourné autour du pot pendant sa première journée de garde à vue, elle se ravise le lendemain : « Je me sens embarquée dans quelque chose qui me dépasse… J’ai plein de choses à dire, mais j’ai peur, ce sont des gens puissants… » Devant les policiers, Lisa H. décrit assez crûment les coulisses des interviews de Takieddine et les dessous de l’opération « Hannibal ». Selon elle, dans les deux cas, le général Ali S. aurait centralisé des fonds en espèces… via une myriade de transferts Western Union (Villesbrunne admet aussi pour le général des virements Moneygram pour « 8 700 dollars » et une « facture de 70 000 dollars »). Lisa H. se souvient aussi de « 60 000 € » en liquide versés en direction d’Ali S. par le biais de son frère en Allemagne. « D’où venait cet argent ? », questionnent les enquêteurs. « L’argent venait de la région parisienne, parce que Noël n’a pas bougé de la région parisienne », soutient la jeune femme. Dans l’appartement parisien de Dubus, les policiers ont découvert d’abord 2 000 €, puis 7 000 € en espèces. Mais, à ce jour, rien n’indique d’où vient tout ce liquide. Et qui aurait intérêt, « en région parisienne » à la libération du cinquième fils de Kadhafi…
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