Rome et le Vatican en particulier ne sont jamais des lieux tranquilles. Comme dans tous les endroits où cohabitent pouvoir spirituel et pouvoir temporel, les forces humaines et spirituelles semblent ne jamais en repos . On le ressent presque physiquement une fois passé l’émerveillement de la façade des choses. Elles sont si majestueuses ces apparences dans la Ville Éternelle. Mais souvent en trompe-l’œil…
J’ai pu enfin retrouver cette ville après une trop longue absence liée aux contraintes que nous avons tous connues. Je n’avais pas d’idées précises tant les sujets de reportage et d’enquêtes étaient nombreux mais je désirais faire « un point sur la situation » sur la papauté, l’Église, le Vatican.
La Ville Éternelle pyty / stock.adobe.com
Mon expérience journalistique de dix années passées là-bas sous le pontificat de Jean-Paul II et avec d’innombrables allers et retours depuis, m’a donné de bien connaître ce monde du Vatican, de l’intérieur. Et grâce aux contacts, amitiés, inimitiés que procure ce métier, de saisir – un peu – la culture profonde de ce milieu.
Ce qui aide à reconnaître que plus on avance dans ce monde subtil, complexe, infini, plus «on sait» et … moins «on sait» , tant cette réalité de l’Église catholique vous dépasse toujours. Cette réalité est mondiale, jamais réductible à une approche nationale. Elle est mystique aussi, autant dire insaisissable et toujours source de surprises.
Je me méfie toujours du regard « habitué », blasé, pour ne pas passer à côté des choses. Je me méfie aussi de la sensibilité en éveil qui capte mais qui peut aussi se tromper. Mais j’ai été très frappé cette fois – et comme jamais – du désarroi profond qui enveloppe, en ce moment, le petit monde du Vatican .
Vous me direz que ce sentiment est l’un des plus partagés en cette période. Je ne parle pas de la mine des « baristas », ces dieux de l’expresso, barman qui ont le génie de vous surprendre à chaque tasse de café italien ! À l’image du monde entier ils n’ont plus la bonne humeur romaine habituelle qui va toujours bien quand tout va mal.
Je parle du monde de ceux qui font profession d’Espérance chrétienne et dont le « métier » – et la vocation – est de travailler au cœur de la plus puissante Église chrétienne mondiale, l’Église catholique.
Clercs ou laïcs, les hommes et les femmes du Saint-Siège sont en crise.
Des crises en ce lieu j’en ai connues deux, et de très près : celle de la fin du pontificat de Jean-Paul II qui était lente comme la longue vie de ce pape aujourd’hui canonisé. Derrière l’immense stature de ce personnage historique se jouaient des jeux de pouvoirs : par dérogation ou par procuration puisque la tête était affaiblie.
En 2014 lors de l’audience suivant la canonisation de Jean-Paul II Alessandro Bianchi / REUTERS
Sous Benoît XVI ce fut la crise de VatiLeaks. Du nom des fuites de documents secrets passant du bureau du pape aux journaux imprimés, le lendemain, dans certains médias italiens. Curieusement toujours les mêmes… Comme si le canal des fuites était parfaitement huilé, et pensé selon un but précis, dont on aura peut-être un jour la clé.
Je ne parlerai pas ici de la crise de la pédophilie qui est générale à l’Église désormais et sur laquelle nous reviendrons largement à la rentrée.
Mais c’est le propos de cette lettre, le Vatican, et donc l’Église, même s’il ne faut pas réduire l’une à l’autre, traversent une crise profonde qui ne dit pas son nom parce qu’elle n’en a pas mais qui est pourtant bien réel. C’est une sorte de marasme général, fluide, difficile à saisir parfois glaçant.
J’ai tenté d’en donner un aperçu dans un long article que j’ai eu la chance – et la liberté – de publier qui relate ce malaise, ces clivages, ces divisions dans la maison Vatican. Même les soutiens du pape François ont du mal à suivre .
La nouveauté de cette crise, si je puis dire, n’est pas dans les débats que l’Église, année après année, ne cesse de susciter en elle et autour d’elle mais dans le fait que c’est la méthode utilisée par le pape qui n’est pas lisible.
On pouvait aimer ou rejeter Jean-Paul II. Apprécier ou douter de Benoît XVI. Les camps, pour ou contre, existaient et étaient très actifs. Ces camps se retrouvent d’ailleurs aujourd’hui exactement à l’inverse ! J’ai vu des plumes attaquer à longueur d’années les papes polonais et allemand, devenues plus papistes que François pour le défendre bec et ongles…
Sous ces deux papes, il y avait une direction claire qui variait peu et surtout une méthode connue parce que le charisme du pape était soutenu par la constance d’une administration vaticane qui l’assistai t.
La Curie romaine avait de gros défauts mais il avait peu de pas de côté, ni de pas en arrière. Ces pontificats, chacun dans leur genre, n’en étaient pas moins prophétiques.
Mais il y avait comme dans un pays, un «président» et un «gouvernement». François a tout réuni dans sa seule personne. Ce qui lui donne une grande liberté mais qui risque aussi de le fragilise r car il est exposé en permanence.
Ce qui trouble les troupes chez ce pape, ce n’est pas tant ses options très claires mais sa méthode de gouvernement, très personnelle, autoritaire et variable. Comme une météo instable avec ses orages, ses froideurs, ses canicules et… jamais d’accalmies, il ne prend jamais de vacances.
Comme observateur puisque c’est notre métier de regarder, écouter, sentir, pour ensuite synthétiser et écrire, je n’ai jamais constaté dans les rangs du Vatican un tel épuisement, de tels clivages, une telle peur surtout . Comme si la liberté de penser ou d’être ce que l’on est dans une Église pourtant plurielle, était mise sous coupe réglée avec une forme de terreur fine qui stérilise les élans.
Et puis il n’y a plus la joie que j’ai tellement connue dans les couloirs du Vatican, une sorte de bonhomie, mêlant la fierté de servir et le goût d’être là.
Prière de l’angélus le 4 juillet présidée par François juste avant son hospitalisation VATICAN MEDIA / REUTERS
Ce malaise passera et quelque chose de plus grand en sortira. C’est la force des grandes institutions. Mais les temps sont ainsi, moroses et contraints, sans liberté.
Je note aussi que les grands ou petits réformateurs en tout domaine, impriment des avancées en provoquant des dégâts. Un des problèmes récurrents du réformisme aigu est celui des petits sergents qui se croient plus autorisés que le patron dont ils n’ont pas le génie. Il y a aussi les hussards toujours prompts à tacler. Mais ces entourages clivent, désignent des « ennemis », durcissent et polarisent . Le problème est que la culture chrétienne des relations n’a rien à voir avec cette petite politique.
Vous me trouverez peut-être un peu sombre pour un début d’été que je vous souhaite toutefois léger et heureux ! L’essentiel est ailleurs mais cela «Dieu seul le sait», n’est-ce pas ?
Je vous présente une nouvelle fois des excuses de ne pas tenir suffisamment la régularité de cette lettre car je suis très pris par le service de nombreux sujets d’actualité religieuse.
Je vais tâcher de faire mieux à la rentrée, en adoptant un ton plus personnel et plus court pour notre rendez-vous. N’hésitez pas à me formuler vos remarques ou questions ou demandes. Ne pas y répondre tout de suite ne signifie pas que je ne les ai pas lues.