Le Pr Abdelmadjid Merdaci enterré hier à Constantine :
Une icône intellectuelle s’en va
Par Nouredine Nesrouche, publié par El Watan l
Constantine vient de perdre une icône, et l’Algérie l’un de ses fils les plus engagés. La nouvelle de la disparition du Pr Abdelmadjid Merdaci est tombée en effet tel un couperet jeudi soir [17 septembre 2020]. L’universitaire est mort à l’hôpital Beni Messous à Alger des suites d’une longue maladie. Il avait 75 ans. La disparition de Abdelmadjid Merdaci ne laisse personne indifférent.
L’universitaire constantinois était aussi agitateur d’idées, très présent sur les terrains de la réflexion et de l’opinion. Touche à tout, il faisait partie des rares universitaires qui produisaient dans leur domaine et au-delà. Professeur des universités, titulaire d’un doctorat d’Etat en sociologie et d’un diplôme d’études approfondies en « Histoire des civilisations », le Pr Merdaci était enseignant à l’université de Constantine, et auteur prolifique, connu pour ses ouvrages consacrés au Mouvement national, à la politique, à la musique algérienne et à l’histoire de la ville de Constantine.
Dans son dernier essai politique, GPRA, un mandat historique, il tente de rendre justice à cette institution, toujours otage d’un imposant silence d’Etat 60 ans après sa naissance, et invite, en conclusion, à « libérer l’histoire des peurs, des mensonges et des occultations. » Elevé avec ses frères et sœurs au quartier mythique de Rebaïn Cherif, dans le Vieux Constantine, Abdelmadjid est né en 1945 à Mila où son père, Hadj Ahcene, était en poste comme magistrat musulman.
Un opposant au coup d’Etat de 1965
Il vient tôt à la politique et fait partie des opposants au coup d’Etat contre Ben Bella en 1965 dans le cadre de l’ORP et réprimés durement par le régime putschiste. Sa trajectoire universitaire sera toujours doublée de sa trajectoire politique.
Assumant l’idéal progressiste, l’universitaire a toujours fait en sorte d’intervenir dans les débats sur les questions nationales, affichant un patriotisme farouche. Pour ce faire, il signe en tant que journaliste dans de nombreuses publications, notamment depuis l’avènement du pluralisme médiatique, et produit des contributions écrites toujours remarquées dans la presse algérienne.
Féru de musique et son premier amour musical, le malouf, il publie aussi le Dictionnaire des musiques et musiciens de Constantine, un outil utile pour les jeunes chercheurs, mais aussi un ouvrage sur le chaâbi, Compagnons de Sidi Gassouma.
Contribuant largement à enrichir l’histoire culturelle de sa ville léguée à la postériorité, il écrit aussi Constantine sur scènes – Contribution à l’histoire du théâtre constantinois ; Constantine, citadelle de vertige et Tata, une femme dans la ville. La diversité et la consistance de son œuvre a fait de lui l’intellectuel qu’on regrette aujourd’hui.
Dans un communiqué de la présidence de la République, le président Abdelmadjid Tebboune a adressé hier vendredi un message de condoléances à la famille Merdaci, saluant « les contributions du défunt dans l’enrichissement de la pensée et de l’histoire ».
L’historien Benjamin Stora n’a pas manqué, de son côté, de réagir à la nouvelle en publiant un statut Facebook avec sa photo en compagnie du défunt et ce commentaire : « 1er novembre 2014 à Constantine, avec mon frère, mon ami, le grand historien Abdelmadjid Merdaci. Il est mort cette nuit, ma peine est immense. » Peine largement partagée, notamment sur les réseaux sociaux, envahis massivement par un flux d’expressions de tristesse et des messages de condoléances. Le défunt a été enterré hier à Constantine, parmi les siens.
Benjamin Stora et Abdelmadjid Merdaci en 2014 à Constanitine
Benjamin Stora, Abdelmadjid Merdaci : dialogue autour des images
Cette rencontre a eu lieu le 24 janvier 2012, dans le cadre du programme « La guerre d’Algérie : images et représentations », au Forum des images, à Paris.
Deux historiens spécialistes de la guerre d’Algérie, pour qui les films sont à la fois objets et sources de la recherche historique, dialoguent et s’interrogent ensemble sur le rôle des images dans la transmission de la mémoire et la construction des discours historiques, de part et d’autre de la Méditerranée.
Benjamin Stora, professeur des universités, qui enseignait l’histoire du Maghreb à l’université Paris 13 Nord et à l’INALCO et avait publié une trentaine d’ouvrages, dont La gangrène et l’oubli, la mémoire de la guerre d’Algérie (La Découverte, 1991).
Abdelmadjid Merdaci, sociologue et historien, maître de conférences à l’université Mentouri de Constantine, auteur de plusieurs ouvrages et coauteur, avec Benjamin Stora et Christian Boyer, d’une Bibliographie de l’Algérie depuis l’indépendance (CNRS Éd., 2011).
Abdelmajid Merdaci n’écrira plus ou « Madjid, l’impossible oubli » par Hamid Bellagha, publié par Reporters (Quotidien Algérie), le 19 septembre 2020.
A quoi reconnait-on un membre de la fratrie des Merdaci ? C’est très simple. C’est quelqu’un qui porte des lunettes, un cartable ou un livre, qui parle beaucoup et qui cherche, cherche… Cette fratrie si distinguée a sans doute perdu en Abdelmadjid, Madjid pour les intimes et tous les autres, le plus doué, le plus éclectique, le plus connu et le plus controversé aussi. Tout cela à cause, ou grâce à son talent de… chercheur dans pratiquement tous les domaines.
Une foule de proches, d’amis, de responsables et de citoyens l’a accompagné à sa dernière demeure au cimetière central de Constantine.
Né il y a 75 ans, le plus âgé de la fratrie a grandi et ouvert les yeux sur les exactions des militaires français pendant la guerre de libération. C’est sans doute pour ça que Madjid avait une prédilection particulière pour relater les hauts-faits d’armes de nos moudjahidine et les excès des tenants du colonialisme. Son sens de la justice, il le tiendra, en partie du métier de son père, un bach’adel, un suppléant du cadi dans les années 40 et 50 du siècle passé. Le président de la République n’a pas manqué, dès l’annonce du décès de notre ami et confrère de déclarer dans un communiqué dans lequel il « a salué les contributions de l’éminent professeur universitaire dans l’enrichissement de la pensée et de l’histoire, priant Dieu Tout-Puissant de l’accueillir en Son vaste paradis et d’assister les siens en cette épreuve ».
Le Premier ministre aussi a présenté ses hommages au disparu en tweetant : « C’est avec une immense tristesse que j’ai appris le décès du professeur, chercheur et historien Abdelmadjid Merdaci, que Dieu lui fasse miséricorde. En cette douloureuse circonstance, je présente mes sincères condoléances à la famille du défunt, priant Dieu Tout-Puissant de l’accueillir en Son vaste Paradis et d’assister les siens dans cette épreuve ».
Madjid le cérébral
Abdelmadjid Merdaci passera sa jeunesse et sa scolarité entre Constantine et Alger, pour se consacrer à la sociologie, spécialité qui le verra devenir docteur. Mais c’est l’histoire qui le mettra sous les feux de la rampe, une histoire qui guidera ses pas d’intellectuel « indécrottable » et commencera avec celle de Constantine, continuera avec le malouf et le théâtre, et suivra à la trace les repères de la guerre d’Algérie. Pour tout et tous, Madjid y consacrera un ou plusieurs ouvrages et/ou des articles de presse sur différents journaux ou des émissions à la Télévision. Il était aussi enseignant à l’université de Constantine où il essayait de dispenser le savoir à des étudiants « qui avaient la tête ailleurs », quand il nous racontait ses cours. « Je ne comprends pas, disait-il souvent, comment un étudiant n’est pas intéressé par sa spécialité ».
Son dernier livre, publié chez Topoïs Simoun en avril 2004, s’intitule La Fonction présidentielle en Algérie.
Mais Merdaci, c’est aussi le Dictionnaire des musiques et des musiciens de Constantine, Constantine sur scènes – Contribution à l’histoire du théâtre constantinois, Tata, une femme dans la ville , Constantine, citadelle des vertiges, Constantine, les mille et un noms, Les Clés retrouvées, mais pas seulement. Et en 2018, un ouvrage sur le GPRA, GPRA, un Mandat historique. Abdelmadjid Merdaci, un « fan » de la guerre d’Algérie et de ses acteurs s’illustrera dans cet ouvrage par le fait qu’il a été le seul à dédier au Gouvernement provisoire de la République algérienne un livre complet. Car, en effet, le GPRA, malgré son rôle incontournable dans le recouvrement de la souveraineté nationale n’a jamais bénéficié que de quelques paragraphes sur les nombreux essais et ouvrages consacrés aux « évènements d’Algérie ». Il ne ratait jamais aussi une occasion pour vanter les mérites de « ceux qui se sont sacrifiés pour que nous soyons aujourd’hui libres », nous répétait-il souvent. Il avait surtout une admiration sans bornes pour Zighoud Youcef, l’artisan des évènements du Constantinois, le 20 août 1955. « L’ironie de l’histoire de la guerre d’Algérie, si riches en combattants par les armes et par la plume, et qu’il a fallu la perspicacité et l’intelligence d’un forgeron du condé Smendou, (aujourd’hui daïra éponyme, ndlr), pour que la guerre d’Algérie soit relancée. Si ce n’était Zighoud Youcef, il aurait fallu plusieurs années encore, et un autre premier novembre pour qu’une autre guerre de libération puisse être enclenchée ».
« Madjid, l’impossible oubli »
Merdaci trouvera en un natif de Constantine, l’écrivain Benjamin Stora, un complice, un frère et… un collègue pour chercher encore des poux dans la tête de l’histoire de la guerre d’Algérie. Ils s’associeront à plusieurs reprises pour démêler les écheveaux d’une période commune entre l’Algérie et la France qui peine encore à être écrite. Benjamin Stora revenait souvent sur les ponts de sa ville natale, mais il était toujours « escorté » par Madjid. Incrédule, il a posté, à chaud, sur sa page Facebook, « mon frère, mon ami, le grand historien Abdelmajid Merdaci. Il est mort cette nuit. Ma peine est immense ». Plus tard dans la journée, il rendra à son frère un émouvant hommage : « Madjid restera pour toujours dans mon cœur, dans ma tête. Homme d’une culture prodigieuse, il m’a fait découvrir à la fois la complexité du nationalisme algérien et la musique malouf constantinoise ; les vers de poésie arabe, et les biographies les plus intimes des grands acteurs du nationalisme. Il était admiré et redouté, jalousé et respecté, bref, un homme formidable, plein d’humour, un monument d’érudition à la mémoire prodigieuse connaissant parfaitement les arcanes de la politique algérienne… et française (et africaine…). Il me manque déjà, avec sa gentillesse, son amitié, sa loyauté. C’est lui qui m’a fait revenir en Algérie, et m’a fait aimer ce pays, cette ville de Constantine que nous avions connu… enfant… Madjid, un impossible oubli ».
Ils ont été complices pendant des années, et Stora, en 2018, qui devait présenter son ouvrage sur son enfance à Constantine, peinait à commencer à converser devant un auditoire intéressé. Et pour cause, Madjid qui avait pris le micro ne s’arrêtait plus de parler, de la Révolution, de l’Algérie et, bien sûr, du livre de son « ami Benjamin ». Ce dernier, souriant, finira par lui arracher le micro avec un plaisant « mais tu me laisses parler bon sang ! »
Madjid, c’était aussi la culture en général, et celle de Constantine, en particulier. Le malouf, les rituels des « beldiya », les familles originaires de Constantine, les musiciens, « el aladjia », tous, subiront l’œil scrutateur de Merdaci, émerveillé par « sa » ville. Amoureux, il répétait à qui voulait l’entendre qu’« on ne nait pas Constantinois, on le devient ». En fréquentant et questionnant à foison tous les grands noms de la musique andalouse, de Fergani à Toumi, en passant par Darsouni et Bentobbal, il fera le tour des « têtes » du malouf et deviendra même un passage obligé de tous ceux qui voudront se frotter aux notes langoureuses de la musique originaire d’Andalousie. Ses ouvrages devenus références, le deviendront sûrement un peu plus suite à sa brusque disparition.
Zighoud Youcef, son héros
Madjid, c’était aussi le boute-en-train aux yeux clairs qui aimait charrier son monde. Il avait toujours une blague en réserve ou une boutade à destination d’un de ses amis ou connaissances. Au café « Le Royal », il passait souvent pour siroter un thé avec ses connaissances, discutant de tout et de rien, mais surtout du MOC, l’équipe à laquelle il était dévoué cœur et âme. Il était d‘ailleurs membre de l’AG des Bleus et Blancs, et ne ratait jamais une assemblée du club.
Madjid était quelqu’un qui aimait noircir les pages. Quand ce n’était pas sur les pages d’un de ses ouvrages, c’était sur les colonnes d’un journal ; l’essentiel et qu’il écrive, qu’il cherche, qu’il communique, qu’il transmette. Et à chaque fois qu’il pondait un livre, et il l’a souvent fait, il s’empressait de m’appeler pour me l’annoncer et « commander » une fiche de lecture. C’est qu’il a été le premier à me prédire une carrière « longue et riche », depuis mes débuts au défunt El Hadef en 1986.
Madijd, c’était de longues discussions, de palabres, de polémiques et de controverse qui n’en finissaient pas. Les postillons s’en donnaient à cœur joie et l’on finissait toujours par tomber d’accord sur le… MOC.
Madjid n’est plus. Mais il est toujours là. Sur une étagère de ma maigre bibliothèque. Dans une vitrine des librairies algériennes et françaises. Sur les travées du stade Benabdelmalek, où il venait vociférer quand le MOC se produisait. Sur les rues de la cité du 5-Juillet où il résidait et était considéré comme « un voisin exemplaire ». Dans les archives de la Télévision algérienne, plus particulièrement Canal Algérie, où il officiait souvent. Sur les fauteuils d’orchestre de l’opéra Mohamed-Tahar-Fergani où il venait en famille pour apprécier une pièce de théâtre ou un concert de malouf. Il avait 75 ans ? Bof, il avait un talent qui l’a rendu immortel. Madjid n’est pas parti. Il aura toujours 75 ans.