Des parachutistes dans les montagnes près de Palestro, en mai 1956, pendant la guerre d’Algérie. – / AFP
« L’historien et les mémoires de la guerre d’Algérie. » Ce sujet est tombé en 2016 et en 2018 au bac, dans les séries ES et L. Preuve que ces événements n’ont rien d’un tabou dans les programmes scolaires. Néanmoins, cette question tirée du chapitre traitant du « rapport des sociétés à leur passé » était alors optionnelle. Les enseignants avaient le choix d’étudier les mémoires de la seconde guerre mondiale ou celles de la guerre d’Algérie. La plupart d’entre eux ont préféré se consacrer à la guerre de 1939-1945, qui leur était plus familière.
Professeure d’histoire-géographie dans un lycée en périphérie de Lille (Nord), Nejwa Mimouni était ainsi la seule de son établissement, parmi une dizaine d’enseignants de la discipline, à traiter de la décolonisation algérienne. « Peut-être que sur la seconde guerre mondiale, le travail d’historien a été fait et digéré, alors que sur la guerre d’Algérie, personne n’est vraiment à l’aise », suggère-t-elle.
La réforme du lycée, qui prendra pleinement effet avec le bac 2021, est venue une nouvelle fois rebattre les cartes des programmes d’histoire. Dans le tronc commun de première générale, « le cas particulier de l’Algérie » fait partie d’un chapitre sur la colonisation. En terminale générale, « la crise algérienne de la République française et la naissance d’un nouveau régime » sont intégrées dans un chapitre sur la France dans le monde après 1945, avec l’évocation de « la guerre d’Algérie et ses mémoires » .
Une question « diluée »
C’est en spécialité « histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques », choisie par un quart des élèves, que la question est abordée de manière plus approfondie. En filière technologique, « vivre à Alger au début du XXe siècle » et la guerre d’Algérie font partie des sujets d’étude laissés au choix des enseignants. La question franco-algérienne est aujourd’hui « diluée dans des thèmes plus vastes », estime ainsi Laurence De Cock, historienne et autrice de Dans la classe de l’homme blanc. L’enseignement du fait colonial des années 1980 à nos jours (Presses universitaires de Lyon, 2018).
Au collège, l’Algérie peut être mentionnée comme exemple pour illustrer la colonisation, en classe de quatrième, ou la décolonisation, en classe de troisième, sans se voir attribuer un chapitre à part entière. Ce qui fait dire à Kamel Chabane, professeur d’histoire dans un collège parisien, que « le temps imparti à la colonisation et à la décolonisation, singulièrement en Algérie, n’est pas à la hauteur des traces qu’elles ont laissées dans nos sociétés ».
La place de ces sujets dans les programmes scolaires et la manière dont ils sont traités font d’ailleurs l’objet de débats récurrents. Benoît Falaize, chercheur spécialisé dans l’enseignement de l’histoire, distingue plusieurs phases dans le« déploiement de ce récit scolaire » : jusqu’en 1982, la « crise algérienne » est inscrite dans l’histoire politique française de la IVe République. Il faut attendre 1983 pour parler de « guerre d’Algérie » dans les programmes scolaires qui « ouvrent peu à peu une place plus grande aux Algériens eux-mêmes » . Mais « la mutation majeure de l’écriture scolaire de la guerre d’Algérie se produit à partir de 2005 [et les débats sur la loi sur la reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés]. La place du FLN, ses motivations, son organisation et ses valeurs, y est beaucoup plus massive qu’auparavant », note Benoît Falaize dans un de ses articles de recherche sur le sujet.
« La mémoire de la guerre d’Algérie devient en fait un sujet brûlant à partir des années 2000. Les polémiques vont s’enchaîner. Les concepteurs des programmes scolaires vont alors refroidir les contenus pour être le plus neutre possible, quitte à les aseptiser », estime pour sa part Laurence De Cock. Philippe Raynaud, vice-président du Conseil supérieur des programmes, rétorque que « les programmes d’histoire doivent donner aux élèves des éléments de culture qui leur permettent de s’orienter dans le monde. Ils ne sont pas une chambre d’enregistrement des passions de la société ».
Liberté pédagogique
Si la guerre d’Algérie est aujourd’hui enseignée, peu ou prou, la place de la colonisation dans les programmes pose davantage question. Car « comment comprendre la guerre d’Algérie si on n’explique pas les cent trente ans de colonisation et de conquête féroce ? », s’interroge Fabrice Riceputi, enseignant dans un collège de Besançon (Doubs) et l’un des animateurs du site Histoirecoloniale.net. « La mise en récit d’une République qui bafoue ses propres règles en terre coloniale reste l’angle mort de la narration scolaire » , abonde Benoît Falaize dans son article.
« Les élèves sont pourtant en demande, même s’ils ne sont pas issus de l’immigration. Ils peuvent avoir un grand-père qui a fait la guerre », estime Nejwa Mimouni. Elle passe notamment par le rap, et des morceaux comme Alger pleure, de Médine, pour amener la question des mémoires. Kamel Chabane, lui, a décidé de proposer aux élèves de son collège un projet mémoriel hors du temps scolaire. Après avoir réalisé des fresques sur l’esclavage ou la Shoah sur les murs du collège, le projet est cette année consacré à la colonisation. « On doit tenir compte des différentes mémoires pour se forger une histoire commune. Car sans passé commun, pas d’avenir commun », souligne l’enseignant.
La liberté pédagogique des professeurs permet cette ouverture. Encore faut-il qu’ils y soient sensibilisés. Marc Charbonnier, secrétaire général de l’APHG (Association des professeurs d’histoire et de géographie), en est convaincu : « A l’image de ce qu’ont fait la France et l’Allemagne autour d’un manuel d’histoire commun, il faudrait initier la même chose entre la France et l’Algérie. »