Entretien avec Gilles Cosson, qui publie Vers une espérance commune(1)
Observant que le relativisme et le matérialisme se sont emparés de nos sociétés occidentales largement déchristianisées, l’essayiste Gilles Cosson pose quelques jalons pour une nouvelle espérance commune… Constatant le changement radical du monde, décrivant les nouveaux périls qui s’annoncent pour les hommes (conflits armés, radicalisation de l’islam, changement climatique etc.), ce voyageur estime que les grands textes fondateurs devraient être réexaminés dans une optique impitoyablement critique. Curieuse et ambitieuse entreprise, même si Cosson n’entend pas rejeter les religions!
Son essai rappelle en tout cas que la soif de l’humanité pour une explication globale du monde est telle qu’elle ne sera jamais prête à y renoncer. Entretien.
Gilles Cosson. D.R.
Causeur. Votre ouvrage entend proposer un cadre permettant de faire advenir une espérance adaptée à notre temps… Comment ne pas tomber dans l’écueil de l’ésotérisme dans ce genre d’entreprise?
Gilles Cosson. Oui, cet écueil est évident. Mais, comme je le souligne chemin faisant, je ne demande à personne de renier sa foi. Je présente une philosophie d’espérance commune aux hommes d’aujourd’hui et de demain. Car notre environnement change si vite que le désespoir guette ceux qui se replient sur des doctrines souvent dépassées. Il faut ouvrir les pages et non les fermer.
Quelle éducation religieuse avez-vous reçue?
Ma mère était catholique, mon père agnostique, ma sœur ainée est protestante. Mes origines religieuses sont donc variées. J’ai beaucoup d’estime pour les religions judéo-chrétiennes qui ont tant apporté au monde, mais aussi pour les philosophies religieuses orientales, tel le taoïsme ou le bouddhisme. Bref l’admiration et la sympathie pour ces diverses croyances sont pour moi fondamentales avec une préférence marquée pour les convictions laissant à chacun sa liberté de choix. Les mérites correspondants n’en sont que plus grands. Au contraire, les certitudes, trop souvent abusives, constituent pour moi le piège à éviter.
Même s’il ne revêt aucun caractère prescriptif, votre essai ne risque-t-il pas d’être mal compris avec ces conseils sur la pratique spirituelle ou la méditation en fin d’ouvrage?
J’ai simplement souhaité fournir un guide de comportement parmi bien d’autres à ceux qui n’en ont plus aucun. Et ils sont nombreux. Mon expérience de la vie pratique comme de la vie intellectuelle m’a montré l’oubli progressif de la plupart des rites ou des recherches spirituelles par l’homme contemporain, balloté entre le relativisme et le matérialisme. Cela est d’autant plus regrettable que la science moderne nous offre l’image d’une puissance mystérieuse qui gouverne le monde depuis l’origine, idée admirable, stupéfiante et pourtant possible. Il nous appartient de contribuer à la beauté de cette force qui est de nous et par nous en témoignant au travers de nos pensées et de nos actes de la grande idée que nous nous en faisons.
L’homme athée contemporain ne peut-il pas sereinement mener sa vie?
Je crois que le besoin de croire, de donner un sens à son existence est si fort qu’il est très difficile de rejeter toute idée de transcendance. Cette revendication-là, formulée ou non, est éternelle et je ne crois guère au mythe de « l’homme fort », menant sa vie sans lien aucun avec l’univers. La vision dionysiaque du monde et le Gai Savoir n’ont pas empêché Nietzsche de sombrer finalement dans la folie. À trop tendre la corde, elle se rompt. L’exigence d’éternité qui git en chacun de nous peut être combattue, elle ne peut être ni niée ni oubliée.
Vous vous opposez à toute doctrine ou tout clergé. Sans rejeter les religions établies, vous dites que la religion de demain devra rester éternellement ouverte. Mais une spiritualité n’est-elle pas indissociable de toute mystique (d’une histoire, d’un héritage)?
Vous avez raison, ma pensée est de proposer, comme déjà exprimé, un horizon spirituel qui ne rejette pas pour autant les religions actuelles, ce qui serait prétentieux et abusif. La richesse des « fois » du passé ne doit pas être ignorée, tout au plus relativisée. La grandeur et la beauté des doctrines issues de notre héritage constituent une source d’inspiration et de richesse inestimables. Que serions-nous sans Yahvé, Jésus-Christ, Lao-Tseu, Bouddha ou Mahomet?
Les principales difficultés que notre époque pose aux religions et que j’ai identifiées dans votre livre sont le défi de la conquête spatiale, la violence de l’islam et l’intelligence artificielle. Alors que vous appelez à franchir le Rubicon sur ces questions, les religions sont plus frileuses, plus prudentes. Pourquoi?
Parce que toute affirmation qui dérange les habitudes a toujours fait peur aux gens installés. Cela dit, je rejette fermement l’absolutisme de l’islam parce qu’il interdit toute évolution doctrinale et qu’il aboutit à un monde figé. S’agissant des évolutions tant matérielles que spirituelles à venir, cela se traduit dans la pratique par un complexe d’infériorité parfois meurtrier. Or la conquête spatiale et l’intelligence artificielle vont demander une souplesse d’adaptation difficile, mais nécessaire à la survie de l’humanité.
Oui, il faut franchir le Rubicon le plus vite possible sur les questions essentielles que vous évoquez, sinon notre espèce même peut être menacée. La surpopulation, l’exploitation dangereuse des ressources de la planète, les risques écologiques, épidémiologiques et idéologiques peuvent mener à des conflits sans rémission. Et, ce jour-là, il sera trop tard.
Quels rapports entreteniez-vous avec l’éditeur Pierre-Guillaume de Roux disparu récemment?
Des rapports d’estime et d’affection, je l’espère, mutuels. Son intelligence, son exigence personnelle, sa droiture étaient pour moi des exemples rares. Il a cherché à créer un espace littéraire neuf au sein duquel la pensée unique n’avait pas sa place. Toujours d’une rectitude parfaite, il laisse à ceux qui l’ont connu un souvenir ému, souvenir que sa fragilité physique rendait encore plus poignante.