Mezri Haddad est philosophe et président du Centre international de géopolitique et de prospective analytique CIGPA.
C’est à la Sorbonne que l’hommage national a été rendu Samuel Paty, mort par décapitation, non point à Kaboul, ou à Islamabad, ou à Idlib, ou à Mossoul, là où le droit divin prime et le sabre sévit, mais en France, où rayonnaient jadis et naguère la philosophie des Lumières et régnait le droit positif. Est-ce toujours le cas? A chaque attentat barbare, nous réalisons que l’islamo-terrorisme est un présent qui refuse de devenir un passé. Des moines de Tibhirine au professeur Paty, que de chemin parcouru dans la barbarie à visage islamique, que de crimes commis au nom d’Allah et pour la gloire de son prophète. Pourtant, des attentats du 11 septembre 2001 à l’abomination de Conflans-Sainte-Honorine, nul n’a autant dégradé Dieu, offensé le prophète et souillé l’islam que ses prétendus zélotes.
Pour avoir passé près de quinze ans dans ce haut lieu de la connaissance, du rationalisme, de l’universalisme et de l’humanisme, je suis fier que la Sorbonne ait été choisie pour rendre au crucifié de la République l’hommage qu’il mérite. Mais cette fierté qui est la mienne ne saurait dissiper l’affliction et le déshonneur que je ressens, comme beaucoup d’autres musulmans de ce pays, d’appartenir à une religion qui a fait de son Dieu un Moloch, de son Livre sacré un manuel pour terroriste, de son prophète un guide sanguinaire, de sa cité terrestre un Léviathan, de sa doctrine politique une théocratie totalitaire, de sa liturgie un appel au meurtre, et de ses ouailles, des assassins et des barbares.
Jérôme Fourquet: «Comprendre la pyramide de l’islamisme radical»
Assurément, le terroriste tchétchène ne vient pas de nulle part, mais il émane de cet islam nécrosé, qui n’a pas évolué depuis des siècles et qui se transmet de génération en génération perpétuant ainsi le fanatisme et l’intolérance. Des plus monothéistes aux plus polythéistes, toutes les religions n’ont pas résisté au «désenchantement du monde » cher à Max Weber. Toutes les croyances, y compris les plus «primitives », ont évoluées, mais pas l’islam, qui échappe au temps et envahit l’espace. Pis, l’islam des Abbassides à Baghdâd, celui des Sassanides au Khorassan, celui des Séfévides à Ispahan, ou encore des Omeyyades à Damas et à Cordoue était bien plus ouvert à la science et à la philosophie que l’islam en France aujourd’hui.
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Et pourtant, ni la volonté, ni la témérité, ni le savoir, ni l’opiniâtreté, ni même la foi ne nous faisaient défaut pour contribuer à l’émergence d’un «islam de paix » (titre d’un essai que j’ai cosigné et publié chez Albin Michel en 2001), d’un islam quiétiste, sécularisé et soluble dans la laïcité. Notre seul Talon d’Achille était l’abdication de la République, la compromission des gouvernants et la complicité active des élites dites progressistes. Sachant très bien que l’islamisme n’a jamais été la religion de l’immense majorité des musulmans, mais une «religion séculière » -concept de Raymond Aron pour qualifier les totalitarismes hitlérien et stalinien-, les islamo-gauchiste devaient se dire dans le secret de leur conscience, qu’importe le flacon idéologique pourvu qu’on ait l’ivresse électorale.
L’islam obscurantiste, des Frères musulmans à Daech, a triomphé de cet islam des Lumières, mort dans les premiers balbutiements de sa naissance
«Bâtir un islam des Lumières », comme l’a souligné le président Macron dans son discours programmatique du 2 octobre, nous en avons, en effet, tous rêvé. De Jacques Berque à Arkoun, nous y avions tous laborieusement travaillé…en vain. Notre échec collectif est cuisant: l’islam obscurantiste, des Frères musulmans à Daech, a triomphé de cet islam des Lumières, mort dans les premiers balbutiements de sa naissance, comme si la lumière de la science lui était mortelle et que le seul islam qui devait vivre et se perpétuer était l’islam des ténèbres et des égorgeurs. Il y eut pourtant une époque où la philosophie et la science parlaient arabe (Averroès) et l’Inquisition parlait latin (Torquemada). C’est pour dire que chez nous autres musulmans contemporains, l’islam des Lumières n’était pas une chimère, mais une vague réminiscence aspirant à l’existence.
Cet islam des Lumières a échoué parce qu’il a manqué de temps et d’audace. On n’expurge pas en quatre décennies des apories sédimentées sur quatorze siècles. Il a aussi manqué d’audace, car il n’a jamais osé franchir le Rubicon: profaner le sacré et sacraliser le profane. En d’autres termes, contextualiser le Coran et historiciser la Sunna, pour libérer ces deux corpus fondateurs de cette sacralité sclérosante et affranchir les esprits, en hissant la Raison au-dessus de la foi, en sanctifiant la liberté humaine. Profaner le sacré, sacraliser le profane, telle est la ligne de démarcation qui sépare l’Orient musulman de l’Occident chrétien et qui constitue l’épicentre même du choc des civilisations, qui n’est plus une vision de l’esprit mais un reflet du réel.
Marion Maréchal: «Ce ne sont pas les valeurs de la République qui sont attaquées mais bien les valeurs françaises»
L’islam des Lumières a perdu la bataille contre l’obscurantisme lorsque les Lumières françaises ont elles-mêmes cessé de briller de mille éclats. À l’école, à l’université, dans certains médias et partis politiques… Les quelques rares philosophes musulmans se sont tus lorsqu’on a ouvert la société à ses ennemis et que la République s’est mise à l’écoute des imams ; lorsqu’on a supprimé de la Sorbonne l’illustre Chaire d’études islamiques pour lui substituer beaucoup plus tard le CFCM ; lorsque l’islamo-gauchisme a rejoint l’islamo-fascisme, sous le prétexte fallacieux d’un droit-de-l’hommisme tout aussi dévoyé.
Prélude à l’ère des égorgeurs et des tueurs: feu Arkoun s’éclipsait au moment même où Tariq Ramadan émergeait. En peu de temps, il n’était plus seulement la voix de son maître Qaradaoui, mais la coqueluche des médias français. Avant sa disgrâce pour vice, le professeur de vertu islamique débattait avec Nicolas Sarkozy, Bernard-Henri Lévy, Edwy Plenel et le pauvre Edgar Morin!
Son péché originel est dans la sacralisation hyperbolique et oppressante du texte coranique
La problématique majeure de l’islam est sans doute dans sa confusion du temporel et du spirituel. Mais son péché originel est dans la sacralisation hyperbolique et oppressante du texte coranique. Facteur aggravant, la divination de l’histoire profane du prophète, qui n’est pas seulement une offense à la Raison mais constitue une hérésie du point de vue islamique même. Si Mohamed n’était pas le messager divinisé par l’orthodoxie déviante, s’il n’était qu’un homme parmi les hommes, comme il se définissait lui-même, le tchétchène n’aurait pas été pris par cette furie démentielle de venger son idole pour accéder au statut gratifiant de martyr.
Ces criminels n’ont jamais appris, de la bouche même de leur prophète, que «l’encre du savant (et Samuel Paty en était un) est plus précieuse que le sang du martyr ». Comme on n’a jamais appris à ces zélotes de l’islam cette Sourate: «C’est Nous (Allah) qui avons fait descendre la révélation et c’est Nous seul qui en sommes le protecteur exclusif ».
«Face au terrorisme islamiste, nous devons mener une politique intégrale»
Comment ces barbares pouvaient-ils le savoir lorsque les plus hautes autorités de l’islam sunnite, en l’occurrence le grand imam d’Al-Azhar, – qui n’ose pas afficher son statut de «pape » parce qu’il ne faut pas ressembler aux «mécréants » chrétiens – est lui-même dans la défense hystérique de l’islam névrotique? Avec ce pharisaïsme dont les enturbannés cultivent l’art, cheikh Ahmed al-Tayab a déclaré qu’«insulter des religions et attaquer leurs symboles sacrés au nom de la liberté d’expression est un double standard intellectuel et un appel à la haine ». En d’autres termes, la haine du tchétchène était islamiquement justifiée puisqu’elle répond à la «haine » injustement attribuée au professeur décapité.
S’ajoute à cet hymne à la haine, la note concordante (tweet) de Sefrioui, l’intégriste intégré qui a galvanisé le terroriste tchétchène et qui a préfacé en 2006 la traduction d’un torchon de Qaradaoui vendu en France pour égarer les âmes et dévoyer les esprits de la «diversité ». Ainsi, le cheikh d’Al-Azhar, le sultan turc, l’imam des banlieues et le bourreau tchétchène, se reconnaissent-ils dans ce hadith attribué au prophète: «Soutiens ton frère en islam, qu’il soit victime ou coupable ». Voilà comment les têtes pensantes, comme les têtes couronnées, comme les têtes enturbannées, rejoignent les têtes robotisées dans cette défense impulsive et compulsive de l’islam holistique.
La déchristianisation de ce pays a ouvert la voie à toutes les sectes islamistes
Plus aucune divergence politique ou controverse théologique donc entre le «savant » des sunnites et le théocrate des Turcs. Ils sont frères en islamisme et solidaires contre les «ennemis » d’Allah et pour la conquête d’une Europe débaptisée et d’une France déchristianisée. Comme la politique, la religion a horreur du vide. La déchristianisation de ce pays a ouvert la voie à toutes les sectes islamistes. Veuve abandonnée, la fille aînée de l’Eglise devait rejoindre l’un des harems. Elle a choisi celui des Frères musulmans, cheval de Troie du Qatar et de la Turquie.
«Qui est-tu pour parler de structurer l’Islam? C’est de l’insolence et c’est dépasser les bornes », vociférait Erdogan contre Macron. Colère symptomatique d’un illuminé qui contrôle déjà l’islam allemand, belge et strasbourgeois et qui considère que la réforme et la restructuration de l’islam en France ne relèvent pas des prérogatives du président français mais des attributs du calife néo-ottoman. Ce dernier s’est abstenu d’envoyer un message de condoléance à la France, pas même à la famille du défunt Paty. Ajoutant à l’inhumanité de l’intégriste la crapulerie de l’autocrate, Erdogan mène la campagne de boycott des produits français, qui est relayée en boucle par Al-Jazeera.
«En France, nous consommons des viandes halal sans en avoir conscience»
«En France, professeur, les Lumières ne s’éteignent jamais », affirme au mort et promet aux vivants Macron. C’est l’expression d’une espérance, certainement d’une urgence, peut-être même d’une exigence, mais non guère d’une existence. Monsieur le président, aux Mureaux le 2 octobre et récemment à la Sorbonne, dans votre verbe et jusque dans vos yeux, j’ai vu les lueurs des Lumières scintiller. Ne fermez plus les yeux comme vos prédécesseurs et veillez à ce que ces Lumières ne s’éteignent plus jamais, en effet. A nous penseurs musulmans de déconstruire la casuistique islamique, à vous Monsieur le président de décapiter l’hydre islamiste.
Faut-il s’inquiéter du boycott des produits français par les pays du Moyen-Orient?