Si la laïcité s’est imposée à partir de la loi du 9 décembre 1905 relative à la Séparation des Églises et de l’État, elle est l’aboutissement d’une démarche de liberté initiée par l’esprit des Lumières. Cette loi a établi l’étendue et les limites de la laïcité. Nous en constatons aujourd’hui toute la modernité et la pertinence tant les attaques dont elle est la cible sont violentes. Cette loi formule deux principes fondateurs indissociables :
Art 1 : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes dans les limites de l’intérêt de l’ordre public.
Art 2 : La République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte.
A chacune et chacun sa liberté de conscience, à l’État de veiller à la neutralité de la loi commune, et à l’égalité des droits entre croyants et non-croyants. C’est une loi de liberté et une loi de rassemblement, celle des citoyennes et des citoyens attachés au libre exercice de la pensée et de son expression.
La mission de transmission des valeurs de la République française est la première des compétences communes que doivent maîtriser pour l’exercice de leur métier tous les professeurs, professeurs documentalistes et conseillers principaux d’éducation, acteurs du service public d’éducation. Concrètement, il s’agit d’expliciter le long chemin qui a conduit à notre République démocratique et laïque mais aussi de former les élèves au décryptage du réel et à la construction, progressive, d’un esprit éclairé, autonome, et critique.
Un héritage en partage issu des Lumières
Faire partager les valeurs de la République consiste à faire comprendre que notre modèle républicain est garant des libertés et du respect de chacun et chacune. A ce stade, l’éclairage historique est nécessaire pour saisir les luttes qui ont permis d’aboutir à notre société actuelle.
Voltaire, par Nicolas de Largillière. Musée Carnavalet
La France a connu des siècles de royauté « de droit divin » au cours desquels l’Église régissait toute la vie civile, imposant ses dogmes et ses interdits. À partir de Rabelais et de la Renaissance un processus de laïcisation s’est initié et s’est exprimé, dans les combats des Lumières, les écrits des philosophes pour la liberté de conscience et d’expression. Voltaire dans son Traité de la tolérance publié en 1763 soutient que l’ordre public n’a nul besoin d’une contrainte religieuse :
« On sait assez ce qu’il en a coûté depuis que les chrétiens disputent sur le dogme : le sang a coulé, soit sur les échafauds, soit dans les batailles, dès le IVe siècle jusqu’à nos jours. Bornons-nous ici aux guerres et aux horreurs que les querelles de la Réforme ont excitées ».
La Révolution française est la première expérience historique d’une société décidée à s’émanciper de l’autorité de la religion. Rappelons que la séparation des Églises et de l’État fut votée pour la première fois en 1795. Le combat va se poursuivre au XIXe siècle par une longue série de luttes acharnées entre les Églises et l’État, avec des avancées et des reculs. Les enjeux de la laïcité sont politiques et deux courants s’opposent : une partie refuse la Révolution, le libéralisme philosophique et les idées nouvelles. Cette France conservatrice s’appuie sur l’Église romaine. L’autre, libérale et progressiste s’appuie sur les idées des Lumières.
Il faut attendre le 28 juin 1833, pour qu’une véritable loi scolaire soit votée. C’est la loi Guizot sur l’instruction primaire qui comprend nécessairement l’instruction morale et religieuse. Dans sa Lettre aux instituteurs , Guizot s’adresse à eux en ces termes :
« D’abord le libre exercice de leur profession dans tout le royaume leur est garanti, et le droit d’enseigner ne peut être ni refusé, ni retiré à celui qui se montre capable et digne d’une telle mission. […] Il doit s’élever au-dessus des querelles passagères qui agitent la société, pour s’appliquer sans cesse à propager, à affermir ces principes impérissables de morale et de raison sans lesquels l’ordre universel est en péril, et à jeter profondément dans de jeunes cœurs ces semences de vertu et d’honneur que l’âge et les passions n’étoufferont pas »
Contre la loi Falloux, votée par les catholiques le 15 mars 1850 sous la IIe République, qui constitue une reprise en main de l’Église, une voix s’est élevée. Celle de Victor Hugo, homme politique et intellectuel engagé. Le 15 janvier 1850 à l’Assemblée législative, il déclare :
« Je veux que l’échelle de la science soit fermement dressée par les mains de l’État, posée dans l’ombre des masses les plus sombres et les plus obscures, et aboutisse à la lumière (…). Je veux, je déclare, la liberté de l’enseignement ; mais je veux la surveillance de l’État ; et comme je veux cette surveillance effective, je veux l’État laïque, purement laïque, exclusivement laïque. (…) En un mot, je veux, je le répète, ce que voulaient nos pères, l’Église chez elle et l’État chez lui ».
Malgré son opposition, la loi est passée. Jules Ferry réalisera quelques années plus tard une œuvre scolaire majeure. Sa loi du 28 mars 1882 institue une école gratuite, obligatoire et laïque pour tous. On doit à l’école laïque d’avoir fondé une morale, reposant sur les droits de l’homme, la liberté de conscience et les principes de liberté et d’égalité.
Si la laïcité trouve sa source dans l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, c’est la loi du 9 décembre 1905, dite loi de Séparation des Églises et de l’État, qui transformera en « principe » cette idée. Elle a été une loi d’apaisement car elle a permis la paix religieuse. Ferdinand Buisson président de la mission parlementaire avait insisté sur le fait « qu’il s’agissait de faire de l’œuvre de laïcité de l’État non un acte de combat ou un instrument de vengeance, mais au contraire un acte de pacification sociale ».
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Aujourd’hui, la nation française est constitutionnellement et institutionnellement installée dans le principe de laïcité, qui consiste en un espace public neutre et une liberté de conscience universelle. A l’école, aux termes du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 confirmé par celui de la Constitution du 4 octobre 1958, l’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’État.
Promouvoir et défendre la laïcité
La laïcité est un principe de l’école car elle instaure l’égalité de tous au regard de la loi commune permettant de croire ou pas, d’exercer librement un culte ou non, et d’exprimer son attachement aux principes de la République.
Vivre dans une République laïque est précieux et nous conforte, en toutes circonstances, dans l’espoir d’une humanité meilleure. La laïcité s’appuie sur la raison et libère l’élève, futur citoyen ou future citoyenne, de toute sujétion, y compris par rapport à sa communauté d’origine . La laïcité qui s’exprime par l’universalité de la loi commune rassemble la communauté des citoyens. C’est pourquoi elle est un des piliers de la République et doit être transmise et partagée à l’école car elle permet la cohabitation harmonieuse entre tous.
C’est quoi, la laïcité ? (Un jour, une question/France Télévisions, Milan Presse/2015).
Si depuis 2015, les enseignants sont mobilisés pour expliquer et transmettre les valeurs de la République, la formation initiale et continue doit les préparer à faire face aux situations de terrain. La laïcité est une question vive qui nécessite d’être armé intellectuellement et pédagogiquement compte tenu des contestations du principe par certains élèves ou parents d’élèves.
Faire partager les valeurs de la République consiste à développer l’esprit critique des élèves dès l’école primaire. Le but de l’école est l’acquisition de connaissances, de compétences, le développement de l’esprit critique et l’apprentissage de la citoyenneté, indispensables dans un État démocratique où la montée de l’intolérance et le rejet des valeurs républicaines par une partie de la population sont observées.
La construction de l’esprit critique dans le domaine de la laïcité ne relève pas d’un champ particulier du savoir mais se travaille au quotidien dans la classe dans toutes les disciplines comme l’illustre le site Esprit scientifique, Esprit critique de la Fondation La main à la pâte. Deux champs de savoirs sont particulièrement concernés :
l’éducation aux médias et à l’information (EMI), qui vise une lecture critique et distanciée des contenus et des formes médiatiques, cruciale avec le développement des usages du numérique
l’enseignement moral et civique (EMC), qui s’appuie sur des méthodes et des pratiques pédagogiques spécifiques : débat réglé, discussion à visée philosophique, dilemme moral…
Liberté d’expression et droit au blasphème
Partager les valeurs de la République, c’est éduquer à la liberté d’expression dont le droit au blasphème. La France voit resurgir cette notion dans des circonstances dramatiques puisqu’en son nom, des attentats et maintenant un assassinat d’un professeur d’histoire ont été perpétrés.
Blasphémer se référait jadis au fait d’injurier ou calomnier quelqu’un, mais au cours des siècles, sa signification a revêtu un caractère religieux dans l’ensemble des religions monothéistes. Rire de la religion, la critiquer ou simplement avouer qu’on ne croit pas en Dieu, sans risquer la mort ou la prison, est loin d’être universel.
Si le droit au blasphème est possible en France, il n’en est pas de même dans de nombreux pays : l’Allemagne, l’Autriche, le Danemark, la Finlande, la Grèce, l’Italie, la Suède ou la Norvège sanctionnent les « blasphémateurs ». Et, dans le monde, un pays sur deux possède des lois anti-blasphème. Les plus répressifs sont le Pakistan, l’Arabie saoudite ou l’Iran.
La laïcité garantit la liberté de croyance ou d’incroyance, elle protège ainsi toutes les religions comme elle garantit le droit de n’en avoir aucune et de les critiquer toutes. Cependant, il ne peut y avoir de liberté d’opinion sans liberté d’expression. Dans la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, il est dit :
« La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme, tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ».
En France, chacun et chacune est donc libre de s’exprimer, y compris sur des sujets religieux. La loi interdit l’apologie du terrorisme, l’incitation à la haine en raison du « sexe, de l’orientation sexuelle, de la religion ou de l’origine, vraie ou supposée », ou les discours haineux, tels ceux niant la Shoah.
Le blasphème a été abrogé dans le Code Pénal en 1791. Il a longtemps été un délit en Alsace-Moselle, comme partie intégrante du Concordat. Cependant, un texte publié le 22 décembre 2015 dans le Journal officiel estime que, bien que les dispositions n’aient jamais « été expressément abrogées par le législateur, le blasphème n’est plus aujourd’hui applicable dans les départements sous Concordat. »
Liberté d’expression et liberté pédagogique (France Culture, 20/10/2020).
Chaque professeur a sa liberté pédagogique pour choisir ses supports en cours. L’excès de certaines caricatures est un test pour toutes nos libertés, notre capacité à vivre ensemble. Ce droit au blasphème doit être défendu sans faillir. Le « oui mais » ouvre la voie à une société où le sacré redevient tabou, où les croyants sont privilégiés par rapport aux non-croyants, où les religions majoritaires passent avant les religions minoritaires, où être agnostique ou athée est inadmissible, où l’intimidation et la violence ont gagné.
Véritable rempart contre l’obscurantisme, le blasphème est là pour transgresser, réveiller, secouer les consciences, émanciper. C’est un droit s’il n’engendre pas la volonté de nuire ou d’inciter à la haine. C’est l’esprit du droit français, celui de la laïcité.
En conclusion, la loi de 1905 permet à la République française d’affirmer ses valeurs et de se développer dans un monde fondé, non sur la transcendance ou la révélation, mais sur le citoyen doué de raison. Elle est la condition nécessaire pour que chacune et chacun se reconnaisse à égalité dans la République. Cette progression de l’idée de laïcité a ouvert, par la suppression de toute sujétion, la marche vers l’émancipation et l’accès à la citoyenneté. Elle est à ce titre un fondement de l’école républicaine.
L’ignorance, l’oubli et le mépris de la laïcité sont souvent cause de violences. Chaque professeur dans l’exercice de ses missions défend et promeut avec conviction et courage les principes qui fondent notre République laïque et sociale, garante pour toutes et tous de vivre une communauté de destin dans un pays en paix. Samuel Paty n’a fait qu’exercer son devoir de professeur d’une école républicaine et laïque. Il nous incombe de la défendre quand elle est menacée.