En 632, Mahomet s’éteint à Médine et Abu Bakr, son vieil ami et beau-père, est choisi pour être son successeur. Il ne régnera que deux ans, jusqu’à sa mort en 634. Mais dans quelles conditions ? Et pourquoi ces cris et ces coups échangés à quelques mètres du cadavre du Prophète lors de son élection ?
En un récit haletant, Hela Ouardi, autrice chez Albin Michel d’une trilogie consacrée à la fondation de l’islam (Derniers Jours de Muhammad , 2016, La Déchirure et À l’ombre des sabres , 2019), nous raconte ici pourquoi et comment la discorde est inscrite dans le « programme génétique » de l’islam. Elle se fonde pour cela sur des sources uniquement musulmanes. Professeure de littérature à l’université de Tunis, l’autrice s’est plongée à corps perdu dans le Coran et surtout les hadiths, ces anecdotes ou ces citations qui rapportent les faits et gestes de Mahomet et de ses plus proches compagnons. Elle a aussi étudié de près les nombreuses chroniques qui ont tenté de raconter l’islam des premiers jours et qui, même tardives, partiales et lacunaires, demeurent incontournables.
Elle ne s’est pas contentée par ailleurs des sources sunnites, celles de l’islam majoritaire, mais elle a étendu sa recherche aux chiites, pour qui Abu Bakr n’est qu’un usurpateur, s’emparant d’une fonction qui revenait de droit à Ali, le gendre du Prophète. De ces recherches de plusieurs années, que ressort-il ? Que le premier calife a bien pris le pouvoir grâce à un coup d’État, ce qui explique l’opposition farouche à laquelle il sera immédiatement confronté : pour de nombreux musulmans, il n’avait aucune légitimité. À l’origine de l’islam, un coup d’État . Comment Abu Bakr va-t-il imposer son autorité ? Par la ruse, la manipulation, la cruauté, mais aussi, semble-t-il, un grand sens politique. L’homme est énigmatique, pétri de contradictions, et l’on hésite, en entendant le récit d’Hela Ouardi, à le comparer à un Richard III, le roi monstrueux de Shakespeare , ou à Louis XI , dont il partage l’intelligence et la ruse. Dieu ? Il n’est pas très présent dans ce récit, même si on l’invoque beaucoup. Les débuts de l’islam sont très politiques… Mais laissons parler Shéhérazade.