Plus que jamais, les gourous et autres démiurges de malheur prolifèrent sur le terreau des crises, et la pandémie qui tétanise notre société a servi d’accélérateur. Tel est l’un des enseignements d’un rapport inédit sur les dernières tendances des mouvements sectaires en France remis ce jeudi à Marlène Schiappa. Cet automne, la ministre déléguée chargée de la citoyenneté, qui a repris ce dossier trop longtemps laissé en jachère par Matignon, avait confié une mission commune au Service central du renseignement territorial (SCRT), aux services judiciaires spécialisés de police et de gendarmerie ainsi qu’à la Mission interministérielle ad hoc (Miviludes). «Jusqu’ici, on savait qu’il y avait des dérives mais nous ne disposions pas d’une cartographie vraiment précise », souffle-t-on au ministère de l’Intérieur.
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Pour la première fois, les experts offrent un regard croisé et assez décapant. Ainsi, sur le front de la crise sanitaire, les analystes sont sans appel : « Des groupes pseudo-religieux ou agissant sous couvert d’associations d’ordre artistique ou éducative se sont emparés de la thématique du Covid-19, mettant en avant des thérapies “parallèles”, et visant un public fragilisé par l’inquiétude et souvent la solitude. » À leurs yeux, le phénomène n’est « pas anodin » et ils mettent en alerte. «Dans ces cercles, la défiance à l’égard de la vaccination est entretenue , avertissent-ils. Cela constitue sans aucun doute un point de vigilance majeur dans le contexte actuel. »
Nous prenons la lutte contre les dérives sectaires à bras-le-corps avec des moyens concrets, inédits et forts pour protéger les gens. C’est le cœur de mon action.
Marlène Schiappa,
D’ores et déjà, la Miviludes observe une augmentation de ses saisines par rapport à 2019 et a reçu pas moins de 80 signalements en lien direct avec la crise sanitaire entre mars et juin 2020. «L’essentiel des inquiétudes exprimées porte sur des propositions en matière de santé: conseils pour se prémunir de l’infection et pseudo-remèdes souvent en lien avec des théories complotistes », prévient le rapport avant que préciser que «dans le domaine religieux, le regain d’activité des courants apocalyptiques, qui voient dans la pandémie un signe et une confirmation de l’imminence de la fin des temps, est notable ». Sans jouer les Cassandre, ces experts, très inquiets des «discours complotistes sur la pandémie présents sur internet et les réseaux sociaux », tirent la sonnette d’alarme : «La crise sanitaire sans précédent, suivie de très graves conséquences économiques, ouvre la voie à une crise existentielle et peut conduire certaines personnes à se rapprocher de groupes sectaires qui donnent l’impression d’offrir du sens aux événements, en véhiculant de fausses informations afin de proposer une interprétation erronée de la réalité et d’asseoir ainsi leur légitimité et leur pouvoir. »
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Depuis mai 2020, note le rapport, sur les six gros dossiers «Covid» ayant fait l’objet de signalements de la Miviludes auprès des parquets, la cellule spécialisée de l’Office central pour la répression des violences aux personnes (OCRVP) a été saisie de trois affaires. Dans le même temps, les gendarmes travaillent sur douze autres procédures dans le cadre d’enquêtes préliminaires et d’une information judiciaire.
Les départements ruraux particulièrement touchés
Au-delà des dossiers liés à la pandémie, les services d’investigation, en particulier ceux de la Direction centrale de la police judiciaire, ciblent des thérapeutes d’opérette ou des coachs plus que douteux «visant en apparence le bien-être des clients et en réalité l’enrichissement personnel démesuré des auteurs ». L’exploitation de la crédulité, érigée à un certain niveau, peut devenir très lucrative. Ainsi, le rapport cite en exemple l’interpellation d’un «ostéopathe déviant » prodiguant des «soins énergétique à distances », qui avait permis une «saisie d’avoirs criminels de plusieurs millions d’euros ». Car, au-delà de la simple exploration des sectes comme «fait social », de leur contenu doctrinal et du «criblage » du gourou et de la sujétion de ses adeptes, la nouvelle stratégie de la Place Beauvau est de travailler le fléau sur le plan de «l’ordre public ». Objectif ? «Isoler la dangerosité des pratiques et, bien entendu, pour ce qui est de la police judiciaire, l’existence d’infractions pénales caractérisées. » Sur le plan géographique, policiers et gendarmes en charge du renseignement territorial sont formels: « Les départements ruraux sont particulièrement touchés par le phénomène sectaire en raison, d’une part, de la désertification médicale et d’autre part, de la plus grande facilité à créer des communautés en marge de la société, dans un projet de “retour à la terre”. » Par ailleurs, le rapport pointe aussi une «banalisation des pratiques d’exorcisme qui peuvent être pour certaines extrêmement traumatisantes et dangereuse ».
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«Santé, bien-être, mouvements religieux ou apocalyptiques… La crise sanitaire a eu un impact sur les dérives sectaires, des personnes mal intentionnées profitent du moment de flou et de peur dans lequel nous sommes pour manipuler et tirer avantage de personnes vulnérables , confie au Figaro Marlène Schiappa. Mais je tiens à alerter le grand public: cela peut tomber sur n’importe qui, vous, moi… Nous prenons la lutte contre les dérives sectaires à bras-le-corps avec des moyens concrets, inédits et forts pour protéger les gens. C’est le cœur de mon action. »
Dès le 1er mars prochain, la Miviludes, désormais rattachée au ministère de l’Intérieur et à tous ses services d’investigations, va monter en puissance via l’installation d’un conseil d’orientation (composé d’experts, de parlementaires et d’associations) et la nomination à sa tête d’une magistrate, Hanène Romdhane, qui travaillait jusqu’alors auprès du contrôleur général des lieux de privation de liberté et qui dispose déjà d’une fine connaissance de la matière.
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Dans les prochains jours, Marlène Schiappa va en outre adresser une circulaire pour inciter les préfets et les services répressifs à faire des «signalements aux autorités judiciaires » et «mettre en œuvre des dissolutions administratives ». Cela faisait trois ans qu’aucune instruction de la sorte n’avait été adressée.
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