La pandémie avait fait passer la migration au second plan. Mais les arrivées massives des derniers jours – en Italie puis en Espagne – ont brutalement relancé la question. Comme elle le faisait avant la crise sanitaire, la Commission s’est à nouveau mobilisée pour tenter de relocaliser ces personnes dans d’autres États membres, répondant ainsi à l’appel à la solidarité européenne lancé la semaine dernière par le premier ministre italien, Mario Draghi .
Les dirigeants de l’UE ont, également, réagi aux 8000 arrivées enregistrées dans l’enclave espagnole de Ceuta , pointant à la fois la responsabilité des autorités marocaines – elles instrumentalisent la migration pour manifester leur désapprobation à l’hospitalisation, en Espagne et sous une fausse identité, du chef du Front Polisario, Brahim Ghali – et la nécessité pour les États membres de faire front commun dès lors qu’il est question des frontières extérieures de l’Union. Si beaucoup de migrants ont été renvoyés par l’Espagne, ce pays doit gérer les 1500 mineurs restés sur place. « Ces arrivées concernent toute l’UE », prévient Margaritis Schinas, le vice-président de la Commission en charge des migrations et de la promotion du mode de vie européen (voir ci-dessous) .
Selon un spécialiste des questions migratoires, ces arrivées ne sont qu’un avant-goût de ce qui attend l’UE dans les semaines et mois à venir, à mesure que les frontières rouvriront et que les moyens de transport seront remis en service. «La reprise des voyages légaux facilite l’immigration irrégulière vers certains pays de transit. La pandémie a également créé des difficultés économiques importantes. C’est le cas au Maghreb où le nombre de chômeurs et la pauvreté ont explosé du fait du coup d’arrêt qu’a connu l’industrie du tourisme », analyse-t-il.
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Certaines routes migratoires inquiètent plus que d’autres. Celles de la Méditerranée centrale où de nombreux bateaux prennent actuellement la mer depuis la Libye pour rejoindre l’Italie. Celle de l’Afrique de l’Ouest également, qui ne passe plus par le détroit de Gibraltar mais par les Îles Canaries. Selon Frontex, près de 4500 migrants irréguliers sont arrivés sur ces îles entre janvier et avril, plus du double de 2020 sur la même période. Ce n’est pas fini. «Les autorités locales s’attendent à vivre des crises comme celles qu’elles avaient connues il y a 15 ans », s’inquiète une source européenne.
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Relocalisation déguisée
Le pacte pour la migration et l’asile, présenté fin septembre 2020 par la Commission, serait bien sûr d’une grande utilité. Il garantit – sur le papier – l’enregistrement de tous les migrants à leur arrivée aux frontières de l’UE, le renvoi effectif des personnes ne pouvant prétendre au droit d’asile et la répartition des personnes éligibles entre les États membres. Il est question aussi de muscler les partenariats avec les pays d’origine et de transit pour contenir les flux. Bref, ce plan a été conçu pour donner des gages à tous les États membres, qu’ils soient des pays premières arrivées – Italie, Espagne, Grèce, Malte, Chypre -, exposés aux mouvements secondaires – France, Allemagne, Belgique, Pays-Bas, etc. – ou qu’ils refusent de se voir confier des demandeurs d’asile comme c’est le cas des pays de Visegrad – Pologne, Hongrie, Slovaquie et République tchèque. À ces derniers, il est proposé, selon la formule officielle, de «sponsoriser» les retours. Objectif: leur permettre d’exercer leur solidarité d’une manière alternative.
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Mais les discussions entre les États membres patinent sur ce pavé de plus de 1000 pages, extrêmement technique. Nul ne sait à quel moment elles pourraient aboutir. Pas avant de longs mois sans doute. Au premier semestre 2022, lorsque la France exercera la présidence du Conseil de l’UE? Sauf à être certain d’obtenir un accord politique des Vingt-Sept, ce serait prendre un gros risque pour Emmanuel Macron face à la présidente du RN, Marine Le Pen.
Quoi qu’il en soit, le sujet n’a pas encore été suffisamment exploré au plan technique pour remonter au niveau des chefs d’État et de gouvernement. «C’est un nœud composé de fils qui correspondent à autant d’intérêts particuliers pour les États. Il faut défaire avec précaution tous ces fils et surtout ne pas tendre le nœud », explique un diplomate européen proche des discussions.
Le problème, c’est que si ces retours ne sont pas réalisés dans un délai de huit semaines, ces pays auront l’obligation de reprendre les demandeurs d’asile chez eux.
Un diplomate.
La liste des points de friction est longue. Les pays exposés aux mouvements secondaires – France en tête – aimeraient que les migrants soient maintenus en rétention dans les pays de première arrivée le temps de mener à bien les procédures aux frontières: «screening» et enregistrement des migrants.
Mais, les pays de première arrivée veulent éviter de se transformer en camps de réfugiés. «Ils ne veulent pas de procédures aux frontières. Ils veulent qu’il y ait une solidarité d’emblée », souligne une source européenne. Les Visegrad sont peu allants sur le «sponsoring des retours», alors que celui-ci a été imaginé pour leur offrir une option acceptable. C’est oublier à quel point les éloignements sont difficiles. «Le problème, c’est que si ces retours ne sont pas réalisés dans un délai de huit mois, ces pays auront l’obligation de reprendre les demandeurs d’asile chez eux. Les Hongrois jugent qu’il s’agit là d’une relocalisation déguisée », raconte un diplomate.
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L’Europe n’a-t-elle donc pas progressé? Même si le réveil a été tardif, de nombreux outils se mettent en place. À commencer par le levier des «visas réadmission». «Dans l’hypothèse où un pays tiers refuserait de jouer le jeu sur la réadmission de ressortissants sur son territoire, les États membres ont la possibilité de prendre des mesures restrictives en matière de visas », détaille un diplomate.
Quatre pays -dont les noms sont tenus secrets- sont dans le collimateur. La Commission mène des discussions pour les amener à coopérer davantage avec l’UE. En 2022, l’UE disposera également d’un nouveau système d’information qui permettra de détecter les dépassements de durée des visas. C’était impossible jusqu’à maintenant. En plus des fonds supplémentaires alloués à Frontex , 6 milliards d’euros ont été débloqués pour permettre aux États membres la protection de leurs frontières.