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L’œil de Marianneke
“Défendre des positions laïques et universalistes, en Belgique, ça ne va pas de soi.” © AFP Par Nadia Geerts
“En matière d’intersectionnalité des luttes, je fais presque carton plein : de toute évidence, être une femme, affirmer des convictions et ressembler à l’idée que l’homophobe de base se fait d’une lesbienne me place au carrefour de plusieurs discriminations qui s’additionnent et se renforcent.” Notre chroniqueuse Nadia Geerts a reçu une vague de messages haineux à caractères homophobes en raison de ses prises de position concernant le port du voile dans la société belge. Elle nous explique pourquoi.
Défendre des positions laïques et universalistes, en Belgique, ça ne va pas de soi. Bon, c’est vrai, ça ne va visiblement de soi nulle part. Pourtant, je me prends souvent à rêver d’une Belgique laïque, où au moins je pourrais adosser mes combats à des principes constitutionnels dont je me bornerais à réclamer le respect. Ce n’est déjà pas facile, comme nous le montre chaque jour l’actualité française.
Mais en Belgique, c’est pire : défendre la laïcité, c’est non seulement lutter pour qu’on avance, mais aussi, et de plus en plus, pour qu’on ne recule pas. Et ces derniers temps, il faut bien le dire, on recule à grands pas.
Tous les espoirs étaient pourtant permis, en juin dernier, lorsque la Cour constitutionnelle, saisie par des étudiantes musulmanes qui s’estimaient discriminées, a rendu un avis selon lequel l’interdiction des signes « convictionnels » dans l’enseignement supérieur n’était pas illégitime, dès lors qu’elle constituait une manière de rencontrer l’objectif de neutralité proclamé par la Constitution.
“NEUTRALITÉ INCLUSIVE”
Mais cet avis, qui laissait pourtant toute latitude à chaque établissement scolaire de se déterminer, a déclenché un véritable tsunami : puisqu’il était désormais légitime d’interdire, les initiatives se sont multipliées, visant à anticiper une possible interdiction partout où la neutralité est de mise. Comment ? Tout simplement, en forçant l’autorisation.
Au Parlement bruxellois d’abord, où le ministre-président bruxellois Rudi Vervoort (PS), interpellé par le député PS Jamal Ikazban, a réaffirmé son ambition de promouvoir une « éducation inclusive » au sein de l’enseignement de la Commission Communautaire française (COCOF). Avec signes convictionnels donc.
À Molenbeek-Saint-Jean ensuite, où le règlement de travail a été revu à la rentrée 2020 afin de permettre dorénavant l’embauche de femmes portant le voile dans l’administration. Un comble, dès lors que rien ne l’interdisait. Mais il fallait bétonner les choses en indiquant noir sur blanc que l’administration pratiquerait désormais la « neutralité inclusive ».
Et à présent, c’est dans l’ensemble de l’enseignement supérieur organisé par WBE (Wallonie-Bruxelles Enseignement) que le voile sera autorisé dès la rentrée scolaire de septembre, au nom de l’inclusion par les études et l’accès à l’emploi. Y compris donc dans la filière pédagogique, qui forme de futurs enseignants, et dans laquelle j’enseigne la philosophie et l’histoire des religions et la neutralité, matières sensibles s’il en est.
RÉACTIONS HAINEUSES
Et à voir les réactions haineuses que suscitent mes positions publiques, tout particulièrement depuis l’assassinat de Samuel Paty et, plus encore, depuis l’annonce du changement prochain de règlement des études, il serait grand temps de songer à des mesures visant l’inclusion des laïques universalistes. Parce qu’il y a infiniment plus de haine dans le moindre des dizaines de commentaires et messages que j’ai reçus ces dernières quarante-huit heures que dans l’ensemble de mes écrits, où je défie qui que ce soit de trouver la moindre trace d’un propos non seulement tombant sous le coup de la loi, mais encore s’écartant de ma ligne profondément humaniste, laïque et universaliste.
Mais je ne m’inquiète pas : en matière d’intersectionnalité des luttes, je fais presque carton plein : de toute évidence, être une femme, affirmer des convictions et ressembler à l’idée que l’homophobe de base se fait d’une lesbienne me place au carrefour de plusieurs discriminations qui s’additionnent et se renforcent.
Aussi, je ne doute pas que c’est par pure distraction qu’aucune association intersectionnelle n’a jusqu’ici pris courageusement ma défense, et ne manquerai pas de vous tenir informés des nombreux comités de soutien qui, j’en suis certaine, fleuriront bientôt.