« Écoutez, j’ai 77 ans, je fais ce que je veux et j’ai les amis que je veux », lance Loïk Le Floch-Prigent à Marianne jeudi 8 juillet au soir. Dans la matinée, le célèbre industriel s’est retrouvé dans une enquête de Paris Match exposant la galaxie d’Éric Zemmour, candidat supposé à l’élection présidentielle. Il y assume de rencontrer régulièrement le polémiste d’extrême droite et y est décrit comme l’un des inspirateurs économiques d’Éric Zemmour. L’objectif annoncé : faire de la pédagogie auprès du futur candidat, à l’aise sur les questions identitaires mais moins solide sur les questions économiques.
« Il apprend bien », se félicite Loïk Le Floch-Prigent auprès de Paris Match. Contacté par Marianne, l’industriel ne renie rien de ce qui a été écrit mais tient à préciser : « Je ne suis pas dans la galaxie d’Éric Zemmour. Je suis un homme libre, très libre même. Éric Zemmour est un ami, une relation personnelle, un homme que j’aime bien en tant qu’individu. » Il ajoute : « J’ai dit à la journaliste de Paris Matchque si elle ne précisait pas qu’on était amis, elle me trahirait. Voilà, elle m’a trahi, c’est son droit. Vous aussi, vous avez le droit de me trahir. » Dont acte.
DE MITTERRAND AU SCANDALE ELF
Un « homme très libre », Loïk Le Floch-Prigent ne l’a pas toujours été. Ce fidèle de François Mitterrand,qui l’a propulsé patron de Rhône-Poulenc à 38 ans, a été l’un des généraux de la stratégie industrielle du président socialiste. Il est également l’un de ceux qui tomberont, une fois le gourou de la gauche en terre, pour les affaires de la Françafrique. Loïk Le Floch-Prigent a été condamné à cinq ans de prison ferme et à une amende de 375 000 euros pour « abus de biens sociaux et de crédits » et « abus de pouvoir » dans le scandale Elf. Une affaire à tiroirs, où se sont mêlés financements politiques occultes, emplois fictifs et barbouzeries africaines, qui reste à ce jour l’un des plus importants scandales de la Ve République auquel Loïk Le Floch-Prigent voudrait ne plus voir associé son nom. Car il a payé sa dette : deux ans et demi derrière les barreaux, dont il a profité pour écrire.
Que faire lorsqu’on a dirigé six grands groupes, connu les ors de la République et l’opprobre de la justice ? Loïk Le Floch-Prigent se présente aujourd’hui comme « un patron d’industrie, un écrivain, chroniqueur à Atlantico et parfois à Marianne ». Il a notamment publié un ouvrage sur l’affaire Elf, paru dès 2001, des essais sur la pêche à pied, une de ses passions, et sur l’organisation des prisons, avec Une incarcération ordinaire.
« QUAND L’INDUSTRIE DISPARAÎT, C’EST LA FRANCE PROFONDE QUI SOUFFRE »
Mais son véritable sujet, qu’il déroule dans La Bataille de l’industrie, publié aux éditions Jacques-Marie Laffont en 2015, c’est bien la réindustrialisation de la France. Celui qui fut P.-D.G. d’Elf, de Gaz de France et de la SNCF plaide pour un retour des industries, notamment des manufactures, en France. « Pendant des années, on a délibérément considéré que l’industrie manufacturière devait se délocaliser. On continue aujourd’hui à le faire puisque la “loi climat” va dans le même sens. Tout ce qui est perçu comme sale doit se tenir hors de France. Or, c’est comme ça qu’on voit l’industrie : quelque chose de sale », regrette-t-il auprès de Marianne.
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Loïk Le Floch-Prigent n’aurait donc aucune velléité politique et souhaiterait uniquement faire bénéficier le pays, les entreprises qu’il dirige encore et celles qu’il conseille, de son expérience. « Ce que je dis aux gens, c’est que je suis dans l’industrie depuis que j’ai 22 ans, j’en ai 77. Je connais ce milieu car je l’ai fait tourner. J’ai été l’inspirateur de beaucoup de ce qui a été fait sous la présidence de François Mitterrand. » Son constat est un plaidoyer pour le retour d’une véritable souveraineté industrielle : « Quand l’industrie disparaît, c’est la France profonde qui souffre », lance-t-il à Marianne. « Une industrie qui disparaît, c’est un village, une ville, qui se désertifie. C’est pour ça que l’industrie est fondamentale. »
PLUS PROCHE DE ZEMMOUR QUE DE PANNIER-RUNACHER
Sont-ce ces idées-là qu’il tient à transmettre à Éric Zemmour, son « ami » candidat non déclaré ? « En réalité, je considère qu’Éric Zemmour partage davantage mes positions que Mme Pannier-Runacher (la ministre déléguée chargée de l’Industrie) qui pense qu’on doit aller chercher l’argent avec des industriels en Chine, aux Amérique ou au Qatar. Moi non et Éric Zemmour non plus », explique-t-il à Marianne. Et tant pis si le chroniqueur de CNews consulte d’autres grands patrons, moins sulfureux et bien éloignés des positions défendues par Le Floch-Prigent, comme l’ancien patron d’Axa Henri de Castries, président du think tank libéral Institut Montaigne, ou le millionnaire catholique Charles Gave. Bien loin, donc, du souverainisme industriel prôné par l’ancien mitterrandien. « Mon sujet, c’est l’industrie, c’est là que je suis un expert. S’il s’agit de parler de l’euro ou de la dette, j’ai mon avis mais je laisse ça à d’autres. Je suis industriel, aujourd’hui comme hier », balaie-t-il.
Loïk Le Floch-Prigent se défend d’ailleurs de rédiger quelque programme économique : « Les gens qui lisent mon blog m’envoient des questions. Dans ces gens-là, il se trouve qu’il y a mes amis, dont Éric Zemmour. Je réponds à ces questions en donnant des exemples précis de situations que je connais et que je vis. » Le polémiste, pourfendeur des « technocrates de Bruxelles », est-il sensible à ses arguments ? « Eric est très loin du déni de réalité. Il veut toujours comprendre, il veut regarder honnêtement ce qui se passe dans le pays. » Et reçoit donc bien les notes, nombreuses, de l’industriel breton.
« ON M’A TRAITÉ DE FASCISTE ET DE RACISTE »
Quant aux autres candidats, il y a bien David Lisnard qui trouve grâce à ses yeux, car il dit « à peu près la même chose que moi sur les questions industrielles ». Et Arnaud Montebourg ? « Il y a une différence entre faire et dire : Arnaud Montebourg a déjà prouvé qu’il ne faisait pas ce qu’il disait. Je plaide en faveur de l’efficacité, j’ai envie de voir ce que font les gens dans la réalité. » À ce stade, c’est donc sur Éric Zemmour que semble se porter l’affection de Loïk Le Floch-Prigentun homme de « culture et d’humour, d’une grande sincérité, qui croit à ce qu’il dit et essaie de défendre mordicus ses idées. Il argumente et débat. Moi, j’adore le débat, c’est une des richesses de notre culture ».
Cette amitié ne l’empêche pourtant pas de se définir comme un homme de gauche. « Je le dis, je le revendique », insiste-t-il au téléphone. Après avoir été voué aux gémonies comme l’incarnation coupable de la Françafrique, ce ne sont pas les quelques invectives que son rapprochement avec le polémiste suscite qui pourraient l’atteindre. Pourtant, on le sent attristé, au téléphone, de la réaction de certains de ses amis. « Après l’article de Paris Match, on m’a traité de fasciste et de raciste. Je suis assez ulcéré qu’on puisse se permettre de juger mes amitiés, mais bon… Ce qui m’attriste, c’est plutôt qu’on s’en prenne à ma famille. »
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