La France devrait-elle recourir davantage aux statistiques ethnique s ? C’est ce que suggère le haut-commissariat aux droits de l’homme de l’ONU afin de lutter contre «le racisme systémique». Un rapport publié le 28 juin indique que les États «devraient recueillir et publier des données complètes ventilées selon la race ou l’origine» et analyser «les effets cumulés des lois, des politiques et des pratiques sur certains groupes raciaux et ethniques en particulier ». Le rapport va encore plus loin, considérant que «le fait de reconnaître expressément les personnes d’ascendance africaine dans les statistiques est également un pas vers la reconnaissance de leur identité et de leur héritage, qui va de pair avec leur droit à la dignité».
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En France, ces statistiques marquent globalement une ligne rouge qui transcende le clivage gauche droite. Si certaines personnalités politiques comme Nicolas Sarkozy ont pu s’y déclarer favorables, la plupart des politiques sont contre. Emmanuel Macron avait balayé la question en 2020, assurant préférer la mise en place concrète de dispositifs anti-discrimination plutôt que de recourir à des statistiques. Un rapport parlementaire du mois de mars 2020 enterrait la question. «L’instauration de statistiques ethniques plus poussées pourrait sembler utile pour mieux mesurer certaines discriminations, mais cela pourrait aussi bien fragiliser la cohésion sociale en donnant une reconnaissance à l’existence de certaines ‘communautés’ et en figeant certains groupes en fonction de critères ethniques parfois artificiels», indique le député LR Robin Reda, président de la mission.
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Des études déjà existantes
Par ailleurs, des formes de recensement ethniques existent déjà, au-delà de la loi Informatiques et libertés du 6 janvier 1978. Ce texte interdit «de collecter ou de traiter des données à caractère personnel qui font apparaître, directement ou indirectement, les origines raciales ou ethniques, les opinions politiques, philosophiques ou religieuses ou l’appartenance syndicale des personnes, ou qui sont relatives à la santé ou à la vie sexuelle de celles-ci.» Mais en 2007, le Conseil constitutionnel a autorisé les traitements nécessaires à la conduite d’études sur la mesure de la diversité des origines à partir de données objectives et subjectives. Ainsi, l’enquête Inseed-Ined Trajectoires et origines (TeO) de 2008 interrogeait sur la nationalité et le lieu de naissance des parents. Le deuxième volet, prévu pour 2022, interrogera 26.500 personnes sur leurs grands-parents afin d’étudier comment les origines ethniques peuvent impacter les trajectoires des troisièmes générations. D’autres études de cas permettent d’évaluer le contrôle au faciès ou la discrimination à l’embauche à un lieu ou un moment ciblé.
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Des études bien maigres, selon le démographe Patrick Simon, comparées aux statistiques ethno-raciales mis en place par certains pays. «On observe les origines nationales, mais pas l’appartenance ethno-raciale», affirme le démographe. L’enquête TéO nous apprend des choses sur les parcours des descendants d’immigrés mais ne permet pas d’avoir un levier d’action pour évaluer et agir contre les discriminations dans les entreprises, dans l’accès au logement, dans l’éducation ou dans l’accès à la santé» , assure-t-il. Au Royaume-Uni par exemple, le recensement ethnique permet des statistiques standardisées qui sont utilisés dans les entreprises ou dans les hôpitaux, par exemple pour évaluer par exemple la mortalité liées au Covid selon les origines. «Le principe politique qui prévaut en France est que l’égalité s’obtient par l’invisibilité des origines ethniques. On considère en France qu’il y a plus de coûts à poser des questions sur les origines que d’avantages à en retirer.»
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Risque de communautarisme
Un calcul bénéfice-risque qui prévaut dans le débat, à en croire le démographe à l’Ined Hervé Le Bras. « L’argument le plus développé est le risque de communautarisme. À partir du moment où vous êtes obligés d’appartenir à une catégorie ethnique, vous vous y identifiez de plus en plus, ce qui va à l’encontre de toute idée de citoyenneté française» , analyse-t-il. Deuxième problème, selon le démographe, l’ethnicité n’est pas structurante de la société française, sans nier les discriminations existantes. «Dans des pays comme les États-Unis ou l’Afrique du Sud, le recensement ethnique permet d’identifier les descendants de l’esclavagisme. La racine de ces pays est l’esclavage ou l’apartheid» , avance-t-il. «Ce qui n’est pas du tout le cas de la France, où les arrivées sont relativement récentes et bien plus mélangées. » Les statistiques ethniques ne s’inscriraient donc pas dans la tradition française, basée sur une citoyenneté indivisible.