Quand il arrive à l’Hôtel Majestic, Oliver Stone a l’air d’un taureau furieux débarqué dans l’arène et prêt au combat. À 74 printemps, le réalisateur de Platoon , Né un 4 juillet ou de The Doors fête le trentième anniversaire de la sortie du film JKF avec Kevin Costner. Plus que jamais, il se passionne pour cette tragédie, survenue le 22 novembre 1963, à Dallas. Présenté dans la section Cannes Première, son nouveau documentaire JFK Revisited : Through the Looking Glass revient sur l’affaire cinquante-huit ans après les faits à la lumière de plus de 2 millions de documents déclassifiés…
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LE FIGARO. – Qu’est-ce qui vous fascine encore autant dans l’assassinat de J.F.K. ? Oliver STONE. – Ho ! C’est plus que de la fascination, c’est de l’acharnement ! (rires) Depuis 1991 et la sortie de JFK, je me passionne pour ce drame. Cela remonte à la parution du livre du procureur Jim Garrison, joué par Kevin Costner. En 1988, il publie JFK : affaire non classée . J’ai rencontré Jim Garrison. Et j’ai également rencontré Fletcher Prouty qui m’a un peu servi de modèle pour le personnage de Mr. X dans le film. J’ai très vite été happé par cette histoire. Et les connaissances acquises auprès de Garrison et Prouty m’ont permis de mettre en relation l’assassinat avec la Guerre froide. Fletcher Prouty m’en a beaucoup parlé. Il était un officier d’approvisionnement militaire pour la CIA depuis la Seconde guerre mondiale. Il savait ce que faisait la CIA, ce qu’ils appelaient les «Black Ops» dans les pays étrangers. Il connaissait son affaire, et Allen Dulles, le patron de la CIA. Il faut réaliser l’importance de la Guerre froide dans cet assassinat. C’est la raison majeure pour laquelle Kennedy a été tué. L’important n’est pas de savoir qui l’a tué ou comment. Mais pourquoi. Tout le reste, c’est ce que Mr. X appelle «du paysage». La vraie question, c’est pourquoi.
Selon vous, qu’est-ce que Kennedy a fait pour susciter une telle violence à son encontre? Encore aujourd’hui, les gens continuent à croire que JFK a initié la guerre du Vietnam. Et cela me rend malade. C’est complètement faux. Il est crucial que les médias fassent la vérité sur cette erreur d’interprétation et de jugement. Encore aujourd’hui, beaucoup d’historiens sont paresseux et n’ont pas fait le travail. Pourtant douze fois, JFK a demandé le retrait des troupes américaines au Vietnam entre 1961 et 1963. Tout est dans les dossiers. En réalité, ce qui m’a permis, à moi et à mon équipe, de réaliser ce documentaire, c’est l’accès aux documents scellés après la troisième série d’investigation en 1976. Près de deux millions de pages ont été déclassifiées, toutes abritées aux archives nationales du Mayland. C’est grâce à ces nouvelles informations que j’ai pu faire JFK Revisited . J’ai engagé des personnes formidables capables de synthétiser toutes les données, car cela reste une affaire compliquée.
Comment expliquez-vous que cinquante-huit ans après les faits, un tel flou entoure cette affaire ? Il s’agit de maintenir un « paysage », comme un paravent sur ce qui s’est réellement passé. Qui est Lee Harvey Oswald ? Pourquoi la Mafia ? Que vient faire Jack Ruby dans cette affaire ? Ce sont de fausses pistes. Lorsque vous voulez monter une « opération spéciale », c’est toujours mieux d’entretenir la confusion. Pour moi, il est évident que la CIA a monté cette « black op ». Peut-être que le patron de la CIA Allen Dulles a lui-même fait le coup. Pour lui, de toute façon, il fallait que cela soit fait. Dulles avait les ressources nécessaires pour parvenir à ses fins. Kennedy croyait pouvoir briser l’influence qu’avait la CIA à l’époque. Mon père était un républicain et n’aimait pas Kennedy. J’avais 16-17 ans et je ne l’aimais pas non plus. Bien sûr, sa mort m’a choqué. J’étais triste. Et puis ma vie a pris d’autres directions. Cela m’a donné le temps de me « réveiller » sur le sujet…
On fête cette année les 30 ans de votre film, JFK. Comment vivez-vous cet anniversaire ? Je reste fier de JFK. Même si le procureur Jim Garrison a été traîné dans la boue après avoir sorti son livre, c’est le seul magistrat américain qui aura tenté quelque chose. Personne d’autre que lui n’a bougé le petit doigt. Dans mon film, Donald Sutherland qui joue Mr X lui dit: «Vous n’avez pas le choix, monsieur Garrison, comme vous êtes dedans, pour vous en sortir, il va vous falloir remuer la merde.» Il a créé un « effet tsunami » qui a traversé le temps, qui m’a embarqué avec lui jusqu’à aujourd’hui. JFK Revisited apporte un nouvel éclairage sur l’affaire en s’appuyant uniquement sur des faits.
Au cinéma, l’assassinat de J.F.K. a donné de nombreux films. Qu’en pensez-vous ? J’en ai vu quelques-uns. Souvent je trouve que l’angle d’attaque n’est pas le bon. Je me souviens du film de Verneuil I comme Icare . C’est une sorte de reconstitution. Mais Verneuil n’a pas voulu nommer directement les faits. J’ai aimé Yves Montand en procureur Volney. D’ailleurs, en parlant de Montand, je peux vous dire que Z de Costa-Gravas m’a beaucoup influencé. Je l’ai vu à sa sortie en 1969. J’étais étudiant. C’est le genre de films qui vous atteint directement au cœur et à la tête. Quand j’ai tourné JFK , j’ai repensé à Z et à la façon dont Gavras avait mis en scène l’assassinat en plusieurs fois pour mieux l’analyser.
Selon vous, est-ce que l’affaire J.F.K. est finie après la déclassification de ces documents ? Je ne sais pas. Tous les protagonistes sont morts, c’est sûr. Mais mon ambition avec ce documentaire est de montrer l’affaire sous un jour nouveau, pour obtenir une vue d’ensemble de l’assassinat de J.F.K.. Je veux que les spectateurs puissent avoir en main toutes les pièces du puzzle.
Quelles sont les nouvelles données qui vous sont apparues intéressantes, vous qui connaissez tout ça par cœur? Par exemple, nous avons retrouvé 50 ans plus tard le médecin personnel de JFK, George Berkley. Je n’avais jamais entendu parler de lui avant la déclassification des dossiers. Il était présent à l’hôpital Parkland. Il a assisté à l’autopsie de Kennedy. Il a tout vu. Il explique simplement qu’il est impossible que Kennedy ait été atteint à la tête par-derrière. Le film d’Abraham Zapruder dévoilé à la télévision douze ans après l’attentat, le montre également clairement. Le tir provient de devant et atteint JFK au front. La déclassification a montré que près de 40 personnes ont vu que la blessure de Kennedy venait par-devant et pas par-derrière.
Vous souvenez-vous de l’accueil critique et public de votre film en France à sa sortie?
Oh ! Oui. Je m’en souviens très bien. Lorsque le film est sorti en France, «l’establishment français» m’a attaqué de toute part. Certains quotidiens m’ont sérieusement attaqué. Mais c’est typique. Certains grands médias français ressemblent à leurs confrères américains, comme le New York Times. Ils ne veulent pas que l’on secoue le cocotier. Ils ont donc détesté le film et je me suis retrouvé avec des critiques au chalumeau! Mais ils sont comme ça en France. Pourtant, je me souviens que c’est un journaliste français avec qui je discutais qui m’a raconté que Charles de Gaulle avait été victime de 7 tentatives d’assassinat entre 1961 et 1962. Et notamment celle du Petit-Clamart, effectuée en plein jour à la mitrailleuse! Alors s’il vous plaît ne me racontez pas de blague… Imaginez-vous un peu si De Gaulle avait été assassiné. Que se serait-il passé en France?
Dans le documentaire, vous expurgez des documents où la CIA projette de faire assassiner de Gaulle. C’est assez surréaliste, non?
J’étais sûr que vous me poseriez la question! (Rires). Il faut bien comprendre qu’à l’époque, Charles de Gaulle était un ennemi des États-Unis. De Gaulle savait ce qu’il se passait. Il voulait sortir la France de l’Otan. Et il l’a fait! C’est la meilleure chose qu’il ait faite d’ailleurs. Il a ainsi permis à la France de conserver son indépendance…
À propos de la France, vous faites également allusion dans le documentaire à une conversation entre le président Giscard d’Estaing et Gerald Ford concernant l’assassinat de Kennedy dans les années 70…
En effet! Ce qui est amusant dans cette séquence, c’est qu’en règle générale, Gerald Ford était un président toujours très prudent et sur la défensive. C’est d’ailleurs lui qui s’est arrangé pour que la version officielle de l’assassinat de JFK mentionne que le coup de feu mortel fut tiré par-derrière, alors que le film d’Abraham Zapruder montre que la tête de Kennedy part en arrière, donc qu’il est touché en plein front. Ford était un homme étrange. C’était un informateur du FBI quand il a commencé dans la politique. Mais il semble qu’il ait fini par culpabiliser. C’est sans doute pour cela qu’il a dit à VGE : «Nous étions sûrs qu’il s’agissait d’un coup monté. Mais nous n’avons pas découvert qui l’avait monté.» C’est pour cela que dans le film, je dis que la théorie du complot est devenue un «complot accompli». Cet aveu de Gerald Ford à Valéry Giscard d’Estaing, a été dévoilé en 2013, à la fois dans la presse écrite et à la radio.
Pensez-vous que le coup de projecteur cannois aidera votre documentaire à exister ? Bien sûr ! L’Atelier d’images l’a acheté pour la France. Il sortira à l’automne. Il a été refusé par Netflix et National Geographic pour cause de « vérification des faits non approuvée ». Je trouve ça comique. Cannes va lui servir de rampe de lancement. Cette histoire ne va pas disparaître comme ça. Des chaînes de télévision européennes l’ont déjà acquis. Vous me demandiez précédemment si tout était fini. Non ! Je ne pense pas. Le tsunami se poursuit… Tout l’enjeu de mon film consiste à faire passer ce que certains considèrent encore aujourd’hui comme une conspiration pour de l’histoire. D’ailleurs, je ne comprends pas pourquoi les gens sont si méfiants à propos des conspirations. À travers l’histoire, il y a eu énormément de conspirations. Pourquoi lorsque l’on découvre que pour la première fois une conspiration a eu lieu sur le sol américain, on se cache la tête dans le sable. C’est la chose la plus stupide qui soit.
Avez-vous peur des conséquences liées à la sortie de ce documentaire ? Vous savez, on m’attaque depuis si longtemps que je m’en fiche. Je suis vieux maintenant. Pour eux, après tous les films que j’ai réalisés, je suis un cinéaste antiaméricain. S’ils savaient comme ils se trompent ! Je suis un patriote.