Un kérosène enfin taxé, une interdiction de vendre des véhicules essence et diesel à partir de 2035, une hausse des énergies renouvelables à 40 % du mix énergétique et une multiplication par six de l’éolien… La Commission européenne a dévoilé mercredi 14 juillet les grandes lignes du « Pacte vert » (ou Green Deal ), la grande mission politique qu’elle s’est fixée au début de son mandat, à l’automne 2019 .
Cet ensemble d’une douzaine de directives – certaines entièrement nouvelles, d’autres consistant en des révisions de textes existants – touche à plusieurs domaines : transports, énergies, marché carbone européen, taxe carbone aux frontières, forêts… L’objectif est, en actionnant tous ces leviers, de faire baisser les émissions de gaz à effet de serre du continent européen d’au moins 55 % d’ici à 2030, par rapport aux niveaux de 1990. C’est-à-dire dans moins de neuf ans. L’ambition, in fine , est d’atteindre la neutralité carbone en 2050.
Un défi colossal quand on sait qu’aujourd’hui, le virage vers la transition écologique de l’Union européenne a à peine été engagé : pour ne donner qu’un chiffre, entre 2004 et 2019, les émissions cumulées des secteurs des transports, du bâtiment, des déchets et de l’agriculture n’ont baissé que de 0,4 % par an, selon Réseau Action Climat . Or il faudrait que cette baisse soit au minimum de 2,9 % par an pour atteindre l’objectif européen de 2030.
Pour y arriver, la Commission européenne a décidé de miser en premier lieu sur l’extension du marché des émissions carbone, ce système qui contraint les industriels à s’acquitter d’un droit à polluer et doit les inciter à diminuer leurs émissions. « Nous avons choisi le prix du CO2 comme instrument clair pour nous guider sur le marché , a ainsi expliqué la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen. Le principe est simple : toute émission de CO2 doit avoir un prix. » Nouveauté : ce système va être étendu à l’aviation et au secteur maritime, jusqu’à présent exemptés de cette obligation. Or « un seul navire de croisière consomme chaque jour autant que 80 000 voitures » , a rappelé la cheffe de l’exécutif européen.
Pour l’eurodéputée Place publique Aurore Lalucq, engagée depuis le début de son mandat dans les rangs du groupe socio-démocrate en faveur d’un Pacte vert ambitieux , la Commission reste, avec cette proposition, dans une idéologie de marché. « On croit que le prix du carbone va permettre de changer les comportements. Mais le marché du carbone ne peut constituer l’alpha et l’oméga d’une politique climat. Le marché est aveugle en matière environnementale. Pour la transition écologique, il faut de l’investissement, de la planification, et donc du dialogue social. »
Du côté des élus verts du Parlement européen – qui défendaient, l’an dernier, une réduction des gaz à effet de serre à hauteur de 65 % –, le scepticisme est également de mise. S’ils se réjouissent de voir la question climat arriver enfin à l’agenda, ils trouvent la copie trop timorée et regrettent une absence d’objectifs contraignants pour les États membres. « Ces objectifs contraignants nous permettraient d’avoir des chiffres et de pouvoir mener des actions en justice, comme l’a fait la ville de Grande-Synthe » , plaide l’eurodéputé Damien Carême, qui précise : « Il aurait fallu un objectif de 50 % d’énergies renouvelables dans le mix énergétique en 2030, au lieu des 40 % annoncés [la part actuelle est de 20 % – ndlr]. Sachant qu’on peut, techniquement, atteindre un objectif de 100 % en 2040. »
Aux Pays-Bas, en Allemagne, en Belgique et en Irlande également, des actions en justice ont été menées ces derniers temps pour obliger les États à respecter leurs obligations en terme de lutte contre le dérèglement climatique.
Ce sont les émissions des 10 % les plus riches qu’il faut diminuer.
Marie Toussaint, eurodéputée EELV
Autre crainte du groupe écologiste : dans ce paquet climat figure un nouveau marché carbone européen, pour les émissions liées aux carburants et au chauffage des ménages. Ce dispositif, qui vise les fournisseurs d’énergie, aura in fine un impact sur le prix à la pompe comme sur le fioul et le gaz domestiques. « C’est une réforme qui touchera it directement les plus vulnérables , souligne l’élue Marie Toussaint. Elle entraînerait un coût d’environ 400 euros par an dans les dépenses des ménages. C’est inacceptable en termes de justice sociale, surtout en France après le mouvement des Gilets jaunes. »
La députée européenne rappelle les chiffres mis en évidence par les travaux de l’économiste Lucas Chancel : en France, la moitié de la population la plus pauvre émet 5,2 tonnes de CO2 par an… tandis que le décile le plus riche émet 21 tonnes chaque années. « Il faut penser une taxe carbone socialement juste , dit-elle. Ce sont les émissions des 10 % les plus riches qu’il faut diminuer. »
Frans Timmermans, le vice-président de la Commission européenne en charge du Pacte vert a cependant précisé ce mercredi : « 25 % des recettes d u système de quotas d’émissions rentreront dans un fonds social pour le climat. Ce fonds permettra de compenser le surcoût des facture s de chauffage et de mobilité. […] Il vise à éviter la pauvreté énergétique. »
Inquiétudes
L’intégration des dépenses de chauffage et de carburant dans un nouveau marché carbone soulève pourtant bien des inquiétudes, au-delà du groupe des Verts européens. À part l’Allemagne, de nombreux États membres ont déjà exprimé des réticences. Même l’élu macroniste Pascal Canfin, à la tête de la commission environnement du Parlement, a fait savoir publiquement son désaccord (retrouver ses propos dans le journal Sud-Ouest ). Aurore Lalucq dénonce quant à elle le côté « antisocial » de la mesure, tandis que l’eurodéputée Manon Aubry, pour La France insoumise, regrette « l’absence de justice sociale dans ce paquet climat » .
Pour cette dernière, l’objectif même de la Commission, à savoir la réduction d’au moins 55 % des gaz à effet de serre à horizon 2030, est insuffisant. « Le chiffre tombe en réalité à 52,8 % si l’on déduit les puits de carbone. Or pour se conformer à l’Accord de Paris, il aurait fallu se fixer pour objectif 65 %. » Manon Aubry dénonce une approche sectorielle, qui conserve, inchangés, les fondamentaux européens : « Tant qu’on ne remet pas en cause les accords de libre-échange et la PAC (Politique agricole commune), les objectifs climatiques de la Commission restent relativement creux et difficilement atteignables. Nous sommes toujours dans une logique commerciale et dans la croyance dans la bonne volonté des entreprises. Il aurait fallu mettre ces dernières sur une trajectoire obligatoire de réduction des gaz à effet de serre. »
Derrière les annonces de la Commission se cachent en outre plusieurs questions irrésolues. Quand l’UE mettra-t-elle fin aux quotas gratuits d’émissions carbone ? Entre 2013 et 2018, ce sont 67 milliards d’euros qui ont ainsi été perdus dans des permis à polluer distribués gratuitement aux industries lourdes, d ’après WWF . Quand le régime des émissions carbone sera-t-il intégralement étendu aux produits importés, sachant que les importations en Europe à elles seules pèsent 20 % des émissions de gaz à effet de serre ?
La mise en place d’un « mécanisme d’ajustement carbone aux frontières » (CBAM) pour les secteurs industriels les plus polluants comme le ciment, l’acier ou encore l’aluminium, annoncé ce mercredi, est censé répondre à ces questions. Mais au sein de l’exécutif européen, certains commissaires tiraillent dans le sens inverse et les échéances sont encore floues. Les mots « graduel » , « adaptation » , et « pas à pas » , apparus dans la bouche de Frans Timmermans au cours de sa présentation, montrent que rien n’est acquis.
Du côté du calendrier législatif, le rythme ne sera sans doute pas non plus à la hauteur de l’urgence climatique. Ce n’est qu’à partir de l’automne que ces directives seront passées à la moulinette de la co-législation européenne : Parlement et Conseil des États membres commenceront alors les négociations. Ce long processus devrait s’achever, si le calendrier institutionnel est tenu, le 1er janvier 2023. Il ne restera alors que sept années aux Vingt-Sept pour se conformer à la nouvelle réglementation.
En parallèle, et malgré le consensus scientifique sur le réchauffement planétaire, la pression continuera de s’exercer pour maintenir le statu quo . D’après le récent rapport du think tank européen InfluenceMap, qui a étudié les positions de 216 associations industrielles au regard des ambitions européennes de réduction des gaz à effet de serre, une majorité d’entre elles refusent encore de prendre rapidement des mesures pour les atteindre.