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De la Grèce antique à la Syrie d’aujourd’hui, Guillaume Barrera, dans
“La Guerre civile”, étudie cette sanglante manie des peuples : s’étriper en famille.
«ON NE CHERCHE plus le compromis avec l’ennemi, on vise à l’anéantir. » Cette « hostilité absolue » définit la guerre civile : « Qui perd perd tout (…). Malheur au vaincu. » Plus qu’un panorama historique de la « pire des guerres », ce livre parcourt la pensée politique, d’Aristote à Tocqueville en passant par Machiavel et Marx.
Ce dernier sort du lot : féru de stratégie militaire (comme son ami Engels), véritable « apôtre de la guerre ci- vile », Marx procède à une simplification efficace sur le plan littéraire mais dévastatrice.
Gallimard, 328 p., 22 €.
Dans « Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte » et dans « La Lutte des classes en France », on voit le Capital écraser le Travail.
Exploiteurs contre esclaves, tel est le scénario pour comprendre et faire l’Histoire. Ainsi, la nouvelle société ne peut naître qu’au forceps, et la haine de classe est une passion positive, capable d’accoucher du meilleur. Au service de ces thèses tranchantes, la plume agile de l’auteur du « Capital » fait merveille dans la veine satirique et polémique. Guillaume Barrera n’hésite pas à qualifier Marx d’« auteur comique de tout premier plan », « l’un des plus grands rejetons de Voltaire en langue allemande ». Quand se dressent les barricades, mettre les rieurs de son côté améliore le rapport de force !
Si Marx aime tant la Commune de Paris, c’est qu’elle représente le « sommet de la violence politique depuis la fin de la Terreur ». En une semaine, du 21 au 28 mai 1871, les massacres ordonnés par Thiers auraient fait autour de 6 000 victimes (nombre toujours discuté par les historiens), « le plus souvent exécutées sommairement ». Le Paris populaire est nettoyé (« Haussmann avait démoli l’Ouest parisien, les [fusils] chassepots de Galliffet se chargèrent de l’Est »). La haine sociale serait-elle une spécialité tricolore ? « Comment expliquer la violence et la longueur de la guerre civile française ? » s’interroge l’auteur, qui note le goût des Français pour les « sauveurs » militaires et leurs pleins pouvoirs. C’est la solution « césariste », illustrée en France par Bonaparte, qui siffle la fin de la Révolution.
Les Anglais, eux, ont inventé une autre voie : après la décapitation de Charles I , ils ont estimé que le meilleur moyen d’en finir avec une série de guerres civiles (1642-1651) était de créer une société marchande qui s’appuyait sur le commerce et la prospérité : pendant qu’on cherche à s’enrichir, on oublie de s’égorger. Vérification : aucune guerre civile dans le Royaume-Uni au XIXe siècle. Contre-exemple : la sanglante guerre de Sécession (1861-1865), qui déchira des Etats-Unis pourtant fondés sur les principes protestants du libéralisme. Tous propriétaires, et la guerre ne sera plus qu’un mauvais souvenir !
On retrouve ces principes optimistes à la base de l’Union européenne, dont les partisans ne manquent pas de souligner aujourd’hui que sa principale qualité est d’avoir préservé le Vieux Continent des guerres civiles. A propos de l’islam et de « l’Orient compliqué », l’auteur remarque que « la plus jeune des religions est entrée en lutte contre elle-même autant qu’avec les autres ».
De quoi regretter Marx et ses talents simplificateurs ?
Frédéric Pagès