Le 22 janvier dernier, l’ex-général Sakib Mahmuljin a été condamné à dix ans de prison par un tribunal de Sarajevo après avoir été reconnu coupable de crimes de guerre commis dans les années 1990 contre des prisonniers de guerre serbes par des jihadistes étrangers de l’unité « El Moujahid », laquelle relevait à l’époque du 3e corps de l’armée bosniaque.
Après les accords de Dayton, qui mirent fin au conflit, en 1995, beaucoup des combattants de cette unité « El Moujahid » quittèrent la Bosnie Herzégovine pour continuer le jihad sous d’autres cieux. Mais ils furent également relativement nombreux à rester sur place. Et même si la nationalité bosnienne leur fut retirée en 2007, ils eurent le temps de faire leur nid…
Et, en juin 2017, Europol fit ce constat : « Le conflit en Syrie a eu une résonance énorme en Albanie, en Bosnie-Herzégovine, au Kosovo, dans l’ex-République yougoslave de Macédoine et en Serbie. Plus de 800 combattants s’y sont rendus jusqu’à présent » pour y rejoindre les groupes jihadistes. » Et d’ajouter : « Dans certaines parties des Balkans occidentaux, l’idéologie islamiste radicale, promue par des prédicateurs radicaux et/ou des dirigeants de certains groupes salafistes qui remettent en cause la domination traditionnelle de l’islam modéré dans cette région, a pris une place considérable. »
Dans un entretien donné au quotidien Le Figaro, ce 11 mars, le coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme, Laurent Nunez, a expliqué que, après avoir subi de « lourdes défaites », l’État islamique [EI ou Daesh] est en train de se « reconstituer dans la clandestinité » et que, même affaibli, il dispose encore de « structures de propagande et d’opération », avec une « volonté de reconquête territoriale manifeste », en particulier dans la Badiya syrienne et le nord de l’Irak.
« Nous suivons cela de très près dans le but de prévenir une attaque projetée, ce qui reste une préoccupation majeure », a dit M. Nunez. Mais ce n’est pas la seule. Après la fin du califat, nombreux ont été les combattants de Daesh à se disséminer ailleurs… notamment dans « les Balkans mais aussi au Maghreb ». Or, tous n’ont pas été judiciarisés .
« Ainsi, l’auteur de l’attentat de Vienne [le 2 novembre 2020, ndlr], un Macédonien du Nord, était en contact avec un certain nombre de membres de l’État islamique réfugiés dans les Balkans », a relevé M. Nunez. « Nous éprouvons le même souci avec al-Qaida, qui entretient des foyers à travers le monde et qui partage avec l’EI la même volonté de mener des attaques en Europe », a-t-il ajouté.
En 2017, la Revue stratégique avait déjà identifié les Balkans comme une zone à risque.
« Les Balkans représentent un enjeu majeur pour l’Europe et pour la sécurité de l’ensemble du continent. La région reste divisée par son histoire et par des trajectoires économiques très contrastées. Ainsi, cette zone souffre de faiblesses qui peuvent être utilisées à des fins de déstabilisation par des mouvements radicaux [notamment jihadistes], des groupes criminels ou des États tiers », était-il affirmé dans le document. Une estimation qui ne figure pas dans sa version récemment actualisée, cette dernière parlant de « défis persistants » sans les préciser.
Une autre préoccupation concerne évidemment les ressortissants ou résidents français partis en Syrie et en Irak pour rejoindre les rangs jihadistes. Selon M. Nunez, il y a eu plus de 1.450 départs vers la zone irako-syrienne depuis 2012-13. « Parmi ces personnes, un peu plus de 300 adultes et près de 130 enfants sont depuis revenus », a-t-il dit. Et 250 adultes sont actuellement « détenus sur zone et quelques dizaines sont relocalisés notamment au Maghreb ou en Turquie », a-t-il continué. »
« Enfin, quelque 400 sont de façon quasi certaine décédés sur zone et près de 300 sont présumés morts. Reste donc 160 adultes français qui évoluent, pour la plupart dans le nord-ouest syrien » et qui se répartissent entre Daesh, le Hayat Tahrir al-Cham, la katiba Diaby et le groupe Tanzim Hurras ad-Din [lié à al-Qaïda, ndlr], a détaillé M. Nunez.
« Ils sont identifiés et suivis pour la plupart grâce à une remarquable collaboration entre la DGSE, la DGSI et la DRM [Direction du renseignement militaire, ndlr] et les forts liens tissés avec nos partenaires étrangers », a-t-il souligné.
Reste la question de ces 300 jihadistes « présumés morts »… En clair, on a aucune certitude à leur sujet et ils peuvent bien se trouver en France sans avoir été judiciarisés ou avoir rejoint d’autres zones de combats.
Un autre défi que doivent relever les services anti-terroristes concerne les jihadistes emprisonnés en France. « On compte un peu moins de 500 condamnés pour des faits de terrorisme dans les prisons. 58 doivent être libérés en 2021 et un peu plus de 100 l’ont été en 2020 », a indiqué M. Nunez. « Ceux qui sont libérés aujourd’hui sont des individus qui sont restés. très peu de temps sur zone ou qui avaient des velléités de départ ou qui ont aidé les filières d’acheminement. Les profils les plus aguerris ne seront pas libérés avant plusieurs années. Mais nous sommes bien sûr vigilants et le suivi des sortants de prison est une priorité », a-t-il assuré.