Correspondante à Istanbul
Plus rien ne semble arrêter Recep Tayyip Erdogan. Grisé par ses interventions militaires en Syrie, en Libye et dans le Caucase, le président turc regarde désormais en direction de l’Irak pour ce début d’année 2021. Les raids turcs dans le Nord irakien, à majorité kurde, ne sont pas nouveaux. Ils remontent aux années 80, à l’époque où le PKK déclencha sa guérilla séparatiste sur le territoire et où Saddam Hussein concéda à Ankara un droit d’intervention sur une profondeur de 5 kilomètres en territoire irakien. Mais ils se sont de nouveau intensifiés en 2020, augurant une opération de plus grande envergure dans les mois à venir. Et par extension, l’ouverture d’un nouveau front au Moyen-Orient… L’objectif d’Ankara est de nettoyer la zone frontalière de toute présence du PKK et tenter d’aller plus loin en frappant le mont Qandil et l’état-major de la guérilla classée « terroriste ».
2023 en ligne de mire
L’offensive anti-PKK va de pair avec une politique interne de consolidation du pouvoir et d’affaiblissement du parti d’opposition laïc pro-kurde HDP. À ce jour, des centaines de ses membres ont été arrêtés, la plupart des maires élus du HDP remerciés, et son ex-leader, Selahattin Demirtas est toujours derrière les barreaux, malgré une récente contestation de la Cour européenne des droits de l’homme. L’obsession d’Erdogan est évidente : remporter coûte que coûte le scrutin présidentiel de 2023 – qu’il serait capable de convoquer plus tôt, estiment certains observateurs, pour saboter l’ascension de ses deux autres adversaires politiques, issus du principal parti d’opposition, le CHP, Ekrem Imamoglu , le maire d’Istanbul, et Mansour Yavas, celui d’Ankara, la capitale.
L’année 2021, prédisent les défenseurs des droits humains, sera donc celle d’une poursuite de la répression, amorcée au lendemain du putsch raté du 15 juillet 2016. Fin 2020, la chasse aux voix critiques s’est déjà accélérée avec la condamnation à 27 ans de prison du journaliste d’opposition en exil, Can Dündar , la fermeture d’une chaîne télévisée privée, ou encore cette nouvelle loi limitant le champ d’action des ONG. Le tout sur fond de « dictature sanitaire », comme il est désormais d’usage d’appeler toute entrave à la liberté sous couvert de lutte contre la propagation du Covid.
Récession et sanctions américaines
Mais le numéro un de la Turquie devra aussi s’atteler à un autre cheval de bataille : la récession économique, aggravée par la crise liée au coronavirus, la chute du tourisme et le net recul des investisseurs étrangers. Ces derniers ne sont pas pressés de revenir, d’autant que les récentes sanctions votées par l’Union européenne – qui visent des personnes impliquées dans les forages illégaux en Méditerranée – ont renforcé leur frilosité. À cela s’ajoutent les mesures de rétorsion américaines, infligées pour l’achat à la Russie du système antimissile S-400. L’arrivée de Joe Biden à la Maison-Blanche ne devrait pas les remettre en question. Au contraire. Le nouveau président américain pourrait ne pas avoir la même indulgence que Donald Trump envers la Turquie, membre de plus en plus turbulent de l’OTAN.