La Québécoise Édith Blais et son compagnon italien Luca Tacchetto se trouvaient au Burkina Faso, sur la route vers le Bénin voisin, lorsqu’ils ont été enlevés par un groupe djihadiste en décembre 2018. Les deux otages sont restés aux mains du GSIM (Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, affilié à al-Qaida) jusqu’en mars 2020, avant de parvenir à s’échapper. Dans un livre témoignage, Le Sablier (éditions de l’Homme), Édith raconte ses mois interminables de détention, et adresse un message d’espoir à Olivier Dubois, enlevé au nord Mali le 8 avril 2021 .
LE FIGARO. – Vous avez passé 450 jours dans le désert aux mains des djihadistes, dans les mêmes conditions que le journaliste Olivier Dubois. À quel régime étiez-vous assignée ?
Édith BLAIS. – Notre période de détention ne s’est pas déroulée de la même manière au fil des mois. Après notre capture, nous sommes restés trois mois ensemble avec mon compagnon, avant que l’on nous sépare dans des lieux différents. J’ai ainsi changé quatre ou cinq fois de campement par la suite. On me transportait dans des pick-up remplis de marchandises, avec des hommes armés installés à l’arrière, et moi à l’intérieur de l’habitacle, solidement gardée, quelquefois les yeux bandés.
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Les conditions étaient variables. Chez les Arabes du Mali, nous étions abrités sous une tente, mais avec les Touaregs, nous avions seulement les arbres pour nous protéger, la nuit comme le jour. Sous une température de 45°C, c’était parfois très dur ! Dans les zones plus exposées, on nous confectionnait des abris d’herbes et de branches pour nous tenir cachés des drones qui passaient au-dessus de nos têtes.
De manière générale, nous n’étions pas trop mal traités. Les premières semaines, nous avons tenté une grève de la faim avec Luca, et avons tenu 25 jours sans manger. Mais ils étaient furieux, nous menaçaient avec leurs kalachnikovs, et ont fini par nous priver d’eau. C’est là que nous avons craqué.
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Vous racontez dans votre livre : « J’étais leur otage, c’est-à-dire à la fois un trésor et une moins-que-rien ». Comment se comportaient vos ravisseurs ?
Nous n’échangions presque jamais, déjà parce que peu de mes geôliers parlaient français, et que de mon côté, je ne comprenais ni l’arabe ni le tamachek; d’autre part parce que j’étais une femme entourée d’hommes, et que les islamistes ne s’adressent pas à nous. Pour eux, je n’étais qu’une mécréante. Par exemple, les Touaregs m’avaient placée sous un arbre, tandis qu’eux s’abritaient sous un autre arbre à plusieurs mètres de là. Ils refusaient tout contact avec moi.
Par ailleurs, nos gardiens changeaient souvent. Ce fut seulement pendant mes semaines en solitaire chez les Touaregs que, le roulement ayant changé, j’ai pu retrouver les mêmes geôliers à plusieurs reprises. Cela m’a donné le temps de les connaître davantage. Il y avait un groupe assez drôle, qui me charriait en m’apportant à manger. Ils me faisaient même rire ! En réalité, je n’avais pas la force de les détester. Et puis, je savais qu’ils n’étaient que des exécutants. Certains étaient extrêmement jeunes, 15, 14 voire même 13 ans, avec la kalachnikov en bandoulière…
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Comment se déroule le temps dans le désert ?
C’est terriblement long. Les journées sont souvent interminables. En cela, la période passée avec trois autres captives, dont Sophie Pétronin (otage française libérée en décembre 2020, NDLR ) a été salvatrice. Sophie était géniale, elle se conduisait avec moi comme une mère ! Et, à mon plus grand bonheur, elle portait un stylo avec elle. Sur des bouts de cartons trouvés çà et là, j’ai pu griffonner quelques poèmes, et cela m’a aidée de mettre des mots sur ce que je vivais.
Je garde aussi un souvenir incroyable du jour où, après plusieurs mois de séparation, j’ai retrouvé mon compagnon Luca. Je n’avais aucune nouvelle, et l’avoir à mes côtés m’a aidée à tenir les dernières semaines, jusqu’à notre fuite.
Le retour a-t-il été difficile ?
Aujourd’hui tout va pour le mieux, même si je suis passée par une période de cauchemars, notamment en écrivant mon livre. Mon cerveau n’avait pas encore compris que j’étais bel et bien rentrée (rires ).
Désormais je suis tout à fait sereine. Je pense que toute expérience est bonne à prendre, j’ai pu explorer mes limites, tester ma survie, tant physique qu’affective. Désormais, je vois la vie différemment et profite davantage de chaque instant. Quand tu as tout perdu, tu réalises à quel point les petites choses, comme un bon café le matin, sont tout aussi importantes que les grandes.
Cela fait trois mois aujourd’hui que le journaliste Olivier Dubois est retenu en otage. Avez-vous un message pour lui ?
Qu’il tienne bon, qu’il garde espoir. Sinon, la captivité devient insupportable. Et parce que tout est possible ! Bientôt il sera comme moi, de nouveau avec ses proches, et tout cela ne sera plus qu’un vieux souvenir.