Changement du mode de garde, révision de la pension alimentaire, de l’autorité parentale… Dans onze villes de France, les couples séparés souhaitant obtenir une nouvelle décision du juge aux affaires familiales (JAF) doivent montrer patte blanche en effectuant au préalable une TMFPO.
Cet acronyme si facile à prononcer signifie «tentative de médiation familiale préalable obligatoire » : un essai de dialogue dans un lieu neutre, mené par un médiateur tout aussi neutre, chargé de délivrer une attestation de la bonne volonté des parties. Qui leur ouvrira les portes des tribunaux judiciaires de Cherbourg, Tours, Évry, Rennes, Pontoise, Bayonne, Bordeaux, Montpellier, Nantes, Nîmes et Saint-Denis de la Réunion. Et, d’ici à 2022, de 84 villes supplémentaires.
Testée dans ces juridictions depuis 2017, la TMFPO a eu le temps de montrer ses bénéfices et ses limites. Ses limites surtout, pointe la sociologue, professeur à l’Université Paris Nanterre Valérie Boussard dans une étude réalisée pour le compte du ministère de la Justice, remise en février, où elle reproche au processus d’être peu efficace, douloureux pour les justiciables et même attentatoire à leurs droits.
À peine 10% d’accord TMFPO complets
Des conclusions à mille lieues de sa vocation. « La TMFPO est conçue pour permettre aux personnes de renouer un dialogue, de dépassionner le débat, résume Stéphanie Clauss, présidente du tribunal de Cherbourg. Elle peut ainsi alléger la charge de l’audience du juge aux affaires familiales.» Lequel, déjà submergé de dossiers, peut perdre du temps en audience à débrouiller des malentendus.
Conflits familiaux: et si vous tentiez la médiation…
Kévin Deroubaix, médiateur à l’association Médiation et Parentalités 37, se souvient de ces parents devenus des étrangers. La mère avait demandé audience au tribunal de Tours pour modifier la garde. Comme il s’agissait d’une révision de jugement, elle fut enjointe de faire une TMFPO avec le père. «Pendant la séance, il lui a montré des photos de la petite lors de ses compétitions d’équitation. La mère ne savait même pas qu’elle en faisait. » Au tribunal, cet interlude sentimental aurait ralenti l’audience ; s’il n’avait pas eu lieu, ce qui est le plus probable, ç’aurait été dommage pour la relation de ces parents. À l’occasion de la médiation, il arrive à des femmes d’apprendre que si l’ex conjoint ne paye plus la pension c’est qu’il est au chômage : un détail dont des personnes fâchées ne s’informent pas toujours. La crevaison de ces abcès doit leur permettre d’établir un accord que le juge n’aura plus qu’à tamponner.
Sauf que, pointe l’enquête de Valérie Boussard, c’est décevant. «Seuls 15% des dossiers TMFPO aboutissent à un accord. Et quand je dis qu’il y a accord, ça peut être sur un seul point, sur la date de versement de la pension mais pas sur son montant. Ce qui fait que les parents devront tout de même se présenter devant le juge. » Dont la pile de dossiers ne baissera pas d’un pouce. L’équipe de Valérie Boussard, qui a examiné les donnés du tribunal de Pontoise -, le plus représentatif – a comptabilisé à peine 10% d’accord TMFPO complets – qui n’attendent plus que d’être signés. Quand 55% restent des contentieux, c’est-à-dire identiques à l’avant médiation.
« En tant que médiateurs, on considère que c’est déjà bien si on permet aux parents de se parler. »
– Kévin Deroubaix, médiateur
Ce reproche d’inefficacité, médiateurs et magistrats le relativisent. «Les premiers considèrent que c’est réussi dès qu’ils ont réuni les deux personnes, même si elles s’aboient dessus, a repéré Valérie Boussard. Les juges, qui ne savent pas comment ça s’est passé en médiation puisque tout est confidentiel, se persuadent que l’audience aurait été plus compliquée sans ce préalable. » «Ce que veut le ministère de la Justice, c’est des points d’accord qui seraient validés par le juge. En tant que médiateurs, on considère que c’est bien si on permet aux parents de se parler. » défend Kévin Deroubaix. Le couple dont il cite la TMFPO comme un modèle, celui dont la fille fait de l’équitation, n’a d’ailleurs pas trouvé de compromis et a poursuivi en justice.
«On ne cherche pas de résultats, assure Agathe Baumert, médiatrice à l’association Familles en Gironde, partenaire du tribunal de Bordeaux. Une médiation réussie, ce sont des personnes qui repartent satisfaites. » Comme ces anciens conjoints qui, à force de se soupçonner des pires choses, «avaient perdu confiance l’un en l’autre en tant que parents » et qui ont «repris le dialogue » grâce à la TMFPO : «ils ont déjà fait trois rendez-vous ». Combien sont-ils à en faire si bon usage ?
Le manque d’envie
«Les juges ont tendance à penser que la médiation va pacifier les relations. Dans le rapport, on s’est permis de douter de ce sentiment, explique Valérie Boussard, car les personnes qui se sont réellement parlé en TMFPO sont très peu nombreuses. » Et celles qui l’ont fait n’ont pas toutes apprécié l’exercice. Au Figaro , Nathalie G., 44 ans, fonctionnaire, séparée de son compagnon avec lequel elle avait passé 18 ans – pas tous roses – raconte pourquoi elle s’est sentie flouée par le processus. «Ça se passait dans un petit local avec trois chaises. Moralement, c’était très compliqué. Chacun estimait qu’il avait raison. Je n’avais pas envie de l’écouter raconter des mensonges. Je n’arrivais pas à me battre sur le dossier… Résultat, Monsieur m’a fait les yeux doux et… » Et l’accord hâtivement établi l’a desservi elle. «Il n’y a pas eu de pension, j’ai dû lui donner 145 000 euros parce que j’ai gardé le logement. Sauf que j’avais mis 200 000 euros au départ et lui 50 000. C’est la Justice qui aurait dû trancher… »
Dans leur livre Au tribunal des couples (Odile Jacob, 2013), les sociologues du Collectif Onze font observer que les JAF ont tendance à s’en remettre «aux accords entre ex-conjoints alors qu’ils doivent en théorie veiller systématiquement à la conformité de ces accords dans le cadre légal, notamment dans le respect de ”l’intérêt de l’enfant” ».
Au sujet des rapports de force, l’ancien juge Daniel Pical rappelle qu’il y a «des cas de dispense de TMFPO. Si le mari est un violent, le juge ne proposera même pas la médiation. » Sauf que le juge n’examine pas le dossier avant d’ordonner la TMFPO, la procédure est mécanique. Vous contactez le tribunal d’une des onze juridictions citées plus haut ? Vous avez déjà eu un jugement ? À vous la médiation !
« Monsieur dit que je me suis foutue de sa gueule la première fois, à faire comme si j’étais d’accord. »
– Nathalie G.
Au sujet des médiations douloureuses, hors cadre des exceptions, Daniel Pical ajoute que «tentative dans ”tentative de médiation obligatoire” signifie que la partie qui a saisi le juge doit simplement prouver qu’il y a eu essai. » Lequel peut se limiter à l’entretien individuel d’information. Dans certaines structures. Ainsi Agathe Baumert peut remettre l’attestation à l’issue de la session d’information individuelle car «début 2017, on convoquait les personnes ensemble et ça a été la cata, certaines ne s’étaient plus revues depuis des mois à cause de violences conjugales » quand Kévin Deroubaix considère, lui, qu’il a eu lieu «après un entretien commun. »
Le responsable TMFPO d’un tribunal où s’est rendue Valérie Boussard exige que les deux personnes se soient au moins vues une fois. «Même dans des cas où ce n’est pas possible. À cause de violences psychologiques passées. » Pour obtenir un nouveau jugement, Nathalie G. est sommée de retourner s’asseoir sur une des trois chaises du petit local. «Mais Monsieur dit que je me suis foutue de sa gueule la première fois, à faire comme si j’étais d’accord. » Alors, c’est non. Et le refus de Monsieur ralentit le schmilblick. S’il acceptait, il avancerait à peine plus vite. Car même effectuée avec la meilleure volonté, la médiation entrave la marche du justiciable vers le juge.
Lenteur et dangers de la lenteur
Ce reproche du ralentissement est le plus fréquemment cité. Par les justiciables, les magistrats, les avocats, les médiateurs. Il y a le délai pour obtenir le rendez-vous d’information – environ trois semaines, un mois. Puis il y a la médiation en elle-même, qui peut durer plusieurs mois à raison d’un rendez-vous tous les quinze jours. Puis l’attente, toujours longue, de l’audience. «La TMFPO peut rallonger le délai de plus de six mois. » avoue Agathe Baumert. Ce qui fait courir des procédures sur un an, parfois plus. «Chez nous, ça n’a pas eu d’impact sur les délais d’audiencement, explique la présidente du tribunal de Cherbourg, mais je comprends que cela puisse ne pas être le cas dans des tribunaux plus grands, et que la TMFPO puisse alors s’apparenter à une perte de temps du point de vue des justiciables. »
Pour Valérie Boussard, le problème n’est pas qu’affaire d’impatience. Mais d’usure, de découragement. Elle a remarqué que 30% des dossiers TMFPO s’évaporent, ne débouchent ni sur une médiation ni sur une démarche judiciaire. «Des dossiers qui se sont arrêtés à la demande de médiation. Ou bien des dossiers où seul le rendez-vous d’information a eu lieu. Je voudrais croire qu’il s’agit de personnes qui ont décidé de régler leur opposition hors du cadre judiciaire. » Mais elle y flaire plutôt de la résignation. La complexité du parcours TMFPO pourrait «provoquer des sorties du circuit judiciaire », un renoncement à faire valoir ses droits. «Si c’est avéré, c’est très grave », conclut la chercheuse. Dans une note, l’Union nationale des associations familiales (UNAF) se dit opposée au déploiement à venir et suggère de proposer la médiation aux justiciables, jamais de l’imposer.
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