Passer des heures à confectionner une pâtisserie sophistiquée pour l’anniversaire d’un proche, pourquoi pas. Relire plusieurs fois un texte professionnel afin d’en corriger les fautes, rien que de très judicieux. Mais si l’on s’effondre en pleurs parce que le gâteau nous semble imparfait ou que l’on écourte systématiquement son temps de sommeil pour rendre un travail impeccable, il y a matière à s’interroger sur son niveau d’exigences. Généralement perçu comme un atout dans le monde du travail, le perfectionnisme pratiqué à l’excès et appliqué à tous les domaines de la vie possède aussi une face sombre…
Le perfectionnisme n’est évidemment pas une pathologie en soi. Sauf à constituer une des dimensions de la personnalité obsessionnelle, il est d’ailleurs absent du Manuel diagnostic et statistique des troubles mentaux, le DSM-5, publié par l’Association américaine de psychiatrie. Mais son caractère excessif est mesurable avec l’échelle Multidimensionnelle de Perfectionnisme de Frost et al. (1990) par exemple. La réponse à une batterie d’assertions telles que «L’organisation est vraiment une chose très importante pour moi», «Je me fixe des buts plus élevés que la plupart des gens» ou «Je ne me suis jamais senti(e) capable d’atteindre les attentes de mes parents» permettra de distinguer un perfectionniste consciencieux d’un perfectionniste pathologique. «Ce dernier met en place des objectifs et des standards extrêmement élevés qui sont toujours quasiment inatteignables, précise Juliette Marty, psychologue clinicienne et auteure de Et si vous étiez trop perfectionniste ? (Éd. Eyrolles). Cela va entraîner une remise en question constante, beaucoup de stress et une diminution de l’estime de soi parce que les objectifs ne sont jamais atteints.» Les comportements qui en découlent vont de la vérification réitérée à… la procrastination. Certains perfectionnistes pathologiques peuvent en effet être tentés de repousser sans cesse une tâche par peur d’échouer. «Ces attitudes peuvent sembler anodines au quotidien mais deviennent handicapantes sur le long terme», assure Juliette Marty.
« Les préoccupations perfectionnistes dites « socialement prescrites » peuvent entraîner des pathologies sévères comme une dépression grave, une phobie sociale, une tentation suicidaire ou une conjugopathie. »
Dr Frédéric Fanget, psychiatre et auteur de <i>Toujours mieux ! Psychologie du perfectionnisme</i> (Éd. Odile Jacob)
Le perfectionnisme excessif est en effet associé à divers troubles, variables selon qu’il est orienté vers soi-même, vers les autres ou inspiré par la croyance que l’entourage (collègues, amours, parents…) a des attentes irréalistes auxquelles il faut répondre. «C’est l’étude de Flett et Hewitt de 2002 qui a établi ces trois grandes dimensions, explique le Dr Frédéric Fanget, psychiatre et auteur de Toujours mieux ! Psychologie du perfectionnisme (Éd. Odile Jacob). Lorsque les exigences sont essentiellement internes, elles sont responsables de troubles anxieux. Orientées vers les autres, elles donnent lieu à des problèmes relationnels avec le conjoint et parfois les amis. Enfin, les préoccupations perfectionnistes dites «socialement prescrites» peuvent entraîner des pathologies sévères comme une dépression grave, une phobie sociale, une tentation suicidaire ou une conjugopathie (souffrances psychologiques liées à de mauvaises relations dans le couple, ndlr).»
Le perfectionnisme, un trait de caractère épuisant
Prendre conscience des effets négatifs de ces préoccupations perfectionnistes sur sa vie est un premier pas. Mais comment les réduire ? «Le piège consisterait à vouloir tout changer d’emblée et parfaitement, avertit Juliette Marty. Il faut choisir un seul domaine dans lequel on souhaite réduire ses comportements perfectionnistes et déterminer un premier objectif.» On peut par exemple, au lieu de relire un travail trois fois, s’astreindre à ne le faire que deux fois, puis une seule. Et cela à plusieurs reprises, avant de passer à un autre domaine.
« Le piège consisterait à vouloir tout changer d’emblée et parfaitement. Il faut choisir un seul domaine dans lequel on souhaite réduire ses comportements perfectionnistes et déterminer un premier objectif. »
Juliette Marty, psychologue clinicienne et auteure de <i>Et si vous étiez trop perfectionniste ?</i> (Éd. Eyrolles)
Ce qui menace la personne ultra-perfectionniste, c’est l’anxiété et la résurgence des croyances cognitives sous-jacentes à son comportement. Autrement dit: «Je dois relire plusieurs fois mon texte afin que ce soit parfait, je risque d’être licencié si ça ne l’est pas ou je suis nul(le) de ne pas avoir vu cette erreur.» Voire : «Si j’y suis parvenu(e) sans relire trois fois, c’est un coup de chance et ça risque de ne pas se reproduire.» «Dans la majorité des cas, ce qui est à l’œuvre est un schéma d’infériorité,précise Frédéric Fanget. Pour les personnes très en difficulté, il sera nécessaire de le déconstruire avant de les aider à développer l’estime de soi inconditionnel, c’est-à-dire le fait de s’aimer et de se respecter, même lorsque l’on n’est pas performant. On orientera en outre l’estime de soi sur autre chose que la performance.» De l’avis du psychiatre, il reste très difficile de transformer complètement les aspirations perfectionnistes excessives d’une personne. «Heureusement, une faible diminution de son niveau global de perfectionnisme peut suffire à entraîner de grands changements dans sa vie», rassure-t-il. Et si l’on s’astreignait à bâcler un peu le travail ?