Comme le notait Darwin, «l’aptitude à produire des notes musicales, la jouissance qu’elles procurent n’étant d’aucune utilité directe dans les habitudes ordinaires de la vie, nous pouvons ranger ces facultés parmi les plus mystérieuses dont l’homme soit doué». Fait plus étrange encore, toutes les sociétés humaines présentent une culture musicale, sans exception, alors que cette pratique dans le monde animal semble relativement rare (le chant des oiseaux ou de certains mammifères marins constituant peut-être une pratique musicale à part entière).
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Sur le plan strictement biologique, la musique ne serait pas aussi inutile que Darwin le pensait. Les progrès des neurosciences ces trente dernières années ont permis de préciser ses effets sur le cerveau. Grâce à l’émergence de l’imagerie par résonance magnétique, les chercheurs ont pu mettre en évidence les modifications induites par une pratique intensive de la musique.
«Lorsque vous pratiquez une activité, que ce soit jongler ou jouer d’un instrument de musique, cela modifie certaines zones du cerveau. Chez un musicien, les milliers d’heures d’entraînement vont avoir un impact sur les aires auditives ou encore celles qui permettent la maîtrise de l’instrument. Les modifications sont structurales. C’est-à-dire une transformation du cerveau en tant qu’organe, avec une augmentation de neurones et d’épaisseur corticale et une augmentation des fibres de connectivité (la substance blanche)», explique le Pr Hervé Platel, neuropsychologue à l’université de Caen, l’un des premiers chercheurs en France à avoir utilisé les techniques de neuro-imagerie pour étudier les effets de la musique sur le cerveau.
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Parallèlement, des travaux comportementaux se sont intéressés aux effets de l’apprentissage musical sur les performances intellectuelles et scolaires. La plupart des études menées observent une amélioration de la mémoire de travail ou encore de l’attention, ce qu’on appelle les fonctions exécutives. «Des bénéfices qui sont intéressants pour les apprentissages scolaires de manière générale», souligne Hervé Platel. Une toute récente étude, publiée sur le site Frontiers in Neuroscience, a confirmé cet effet positif. Et, grâce à l’IRM fonctionnelle, ils ont pu mettre en évidence une activation plus importante de certaines aires cérébrales connues pour être associées à la lecture ou encore à la créativité chez les enfants pratiquant la musique. Plus les enfants avaient commencé tôt leur apprentissage de la musique, plus les effets étaient prononcés tant au niveau comportemental qu’au niveau neuronal.
La plasticité neuronale favorisée
«Cette étude confirme qu’il y a une corrélation positive entre le fait de pratiquer de la musique et des performances cognitives ou académiques. Maintenant, la question est de savoir si c’est un lien causal ou corrélationnel», analyse le Pr Emmanuel Bigand, professeur de psychologie cognitive à Dijon et coauteur avec Barbara Tillman de La Symphonie neuronale . En clair, est-ce que la musique «sculpte» le cerveau pour le rendre plus performant ou est-ce qu’elle va seulement révéler les prédispositions de ce cerveau? «C’est sans doute un mélange des deux. L’enfant qui a une petite prédisposition va voir ses compétences amplifiées par la pratique de la musique. C’est ce que nous appelons un cercle vertueux», poursuit Emmanuel Bigand, qui précise qu’il est cependant complètement faux de penser que pratiquer un instrument de musique rend plus intelligent. Certes, apprendre le solfège, maîtriser un instrument, se synchroniser avec d’autres musiciens va stimuler de nombreuses parties du cerveau mais pas forcément de manière définitive. «D’ailleurs, les jeunes adultes musiciens n’ont pas un QI supérieur à celui des autres jeunes adultes», insiste Hervé Platel.
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Si la musique ne rend pas plus intelligent, ses effets bénéfiques sont incontestables. Et notamment pour le cerveau malade. La musique va en effet favoriser la plasticité neuronale car son écoute engage la quasi-totalité du cerveau. Les régions qui s’activent couvrent les zones de décodage auditif, les zones motrices qui donnent envie de taper du pied ou de danser, les zones cérébrales de l’émotion et du circuit de la récompense, ou encore des zones proches de celles du langage. «Les orthophonistes utilisent depuis longtemps la mélodie des rythmes pour les patients ayant des troubles du langage à la suite d’un AVC ou d’un trauma crânien. La musique permet en effet de prendre des chemins détournés dans le cerveau pour stimuler des régions du langage endommagées», explique Hervé Platel. De la même façon, grâce à ses liens avec la motricité, la musique peut être utilisée pour rééduquer des troubles moteurs.
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Un autre avantage de la musique est qu’elle active le circuit de la «motivation-récompense». «La musique se révèle un formidable outil pour faire entrer dans un processus de rééducation des patients ayant fait un AVC et aphasiques ou atteints de la maladie d’Alzheimer et apathiques. Bien sûr, elle ne va pas guérir mais peut aider à améliorer les symptômes, et c’est déjà beaucoup», conclut Emmanuel Bigand. Les Anciens déjà l’avaient bien compris: la musique adoucit les mœurs.
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MusiCare, une application musicale pour lutter contre la douleur et le stress dans les hôpitaux
De nombreux travaux scientifiques se sont intéressés à l’action de la musique sur le stress et l’anxiété. «L’écoute musicale réduit les évaluations subjectives de sensation de stress et, en diminuant la concentration de cortisol, la pression artérielle et le rythme cardiaque », note Emmanuel Bigand, professeur de psychologie cognitive à Dijon, dans son ouvrage La Symphonie neuronale. Certaines études ont ainsi montré que la musique s’avérait aussi efficace qu’un anxiolytique.
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De la même façon, l’écoute de la musique a montré son efficacité comme antalgique. Un pouvoir qui s’expliquerait par un effet de distraction qui détournerait l’attention de la douleur. «On peut également souligner que la musique plaisante active les structures neuronales du système limbique et du mésencéphale, aussi impliquées dans les sensations de douleur. Cette activation pourrait en quelque sorte court-circuiter les réseaux de la douleur », explique encore Emmanuel Bigand.
État hypnotique
Ces différentes propriétés sont exploitées par l’application MusiCare, une méthode non médicamenteuse utilisée par les services d’une centaine d’hôpitaux et cliniques. Les séances durent une vingtaine de minutes pendant lesquelles les patients écoutent un morceau de musique dans un style qui leur plaît mais spécialement conçu pour l’application.
«Nous avons opté pour des créations originales pour éviter les souvenirs liés à des morceaux connus », explique le Pr Jacques Touchon, président du conseil scientifique de la société qui a développé l’application. Généralement, la séance musicale suit une courbe en trois phases. Elle se base sur le principe de l’hypnoanalgésie: après une phase d’induction, elle va progressivement amener à un état hypnotique modifié de conscience par les variations des composantes musicales comme le rythme, les fréquences, la formation orchestrale et le volume.
Les premières études réalisées avec cette application concernaient des douleurs chroniques comme la lombalgie chronique ou la fibromyalgie. «Elles ont démontré une diminution de la douleur et surtout une réduction de plus de 30 % de la consommation d’antalgiques », affirme le Pr Jacques Touchon.