Depuis 2018, l’Hexagone a expulsé plus de la moitié des islamistes radicalisés fichés et en situation de séjour irrégulier en France. Et selon la volonté du ministre de l’Intérieur, le nombre d’expulsions devrait encore augmenter. C’est un des axes du contre-terrorisme français, rapporte la Deutsche Welle.
Agir plus vite et plus durement avec les immigrés condamnés pour des crimes graves, telle est la consigne donnée aux préfets de France par le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, en juin. Les titres de séjour sont à réexaminer, et des expulsions à prévoir pour les coupables de crimes graves : homicide, viol, trafic de drogue, violences conjugales ou contre des dépositaires de l’autorité publique. Voilà le dernier cap fixé par la France pour améliorer la sécurité sur le territoire, rapporte la Deutsche Welle, qui fait un point sur la stratégie antiterroriste de la France.
“En parallèle de cette mesure, le gouvernement a également publié de nouveaux chiffres sur les expulsions”, écrit le site de la radio internationale allemande : sur 23 000 personnes fichées, car soupçonnées de radicalisation, dans le FSPRT – le Fichier de signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste –, 1 115 seraient en situation irrégulière sur le territoire. Parmi elles, environ la moitié – 601 – a été expulsée ces trois dernières années. L’autre moitié serait en passe de l’être ou se trouve actuellement en prison, a précisé le gouvernement.
Le gouvernement Macron n’est pas le seul à opérer de la sorte. Les exécutifs successifs du pays, où plus de 250 personnes ont été victimes d’attentats terroristes ces dernières années, ont répondu en durcissant les lois d’immigration. Dans ce contexte, le sujet des expulsions “est devenu plus explosif”, explique le journaliste allemand, qui s’est entretenu avec un expert en contre-terrorisme français.
Tensions dans les pays du Maghreb
“Le profil des terroristes actifs en France a changé”, a ainsi expliqué Marc Hecker, chercheur à l’Institut français des relations internationales, à la radio allemande. Selon lui, ceux qui ont perpétré les dernières attaques étaient souvent des immigrés, des demandeurs d’asile ou des personnes entrées clandestinement dans le pays.
Le chercheur pointe deux évolutions qui en découlent. Premièrement, la France a modifié sa pratique d’expulsion :
Même si la France n’expulse pas d’individus vers les zones de guerre, la liste des pays vers lesquels aucune expulsion n’est réalisée s’est réduite au fil des années.”
Les capacités limitées des services de renseignements
Deuxièmement, dans les pays en question, la situation sécuritaire se trouve sous tension. Cela concerne avant tout les pays du Maghreb, qui ont vu les expulsions de France se multiplier. “Envoyer les personnes radicalisées vers des pays qui ne disposent pas des mêmes capacités de surveillance que la France ne fait qu’accentuer le problème pour ces pays”, explique Hecker.
“Impossible pour le moment de savoir si les expulsions permettront d’améliorer durablement la situation sécuritaire tendue de la France, mais cela devrait au moins décharger temporairement les autorités”, estime la Deutsche Welle. Un des problèmes centraux reste qu’un fichier comptant 23 000 noms représente un défi de taille constant pour les services de renseignements. De plus, le fichage de toutes les personnes qui sont passées sous les radars, comme le meurtrier de Samuel Paty ou l’attaquant de Notre-Dame de l’Assomption, à Nice, demande des moyens supplémentaires.
Quant au changement de profil des attaquants, il est impossible d’évaluer s’il est passager ou définitif.
Gérald Darmanin demande aux préfets d’expulser en priorité les clandestins auteurs d’infractions
Le ministre de l’intérieur a demandé aux préfets d’établir un meilleur suivi des étrangers en situation irrégulière auteurs de « graves troubles à l’ordre public », afin de les expulser en priorité.
Gérald Darmanin a demandé aux préfets un meilleur suivi des étrangers en situation irrégulière auteurs de « graves troubles à l’ordre public », afin de les expulser en priorité, a appris dimanche l’Agence France-Presse auprès de son entourage, confirmant une information du « Journal du Dimanche ».
Autre demande faite aux préfets : envoyer un courrier et convoquer les personnes concernées par une « dégradation » de titre de séjour, qui peut par exemple passer de dix à un an. Comme le prévoit la loi, « tout étranger dont la présence en France constitue une menace pour l’ordre public » peut se voir retirer son titre de séjour.
« Il ressort des éléments de votre dossier que vous vous êtes affranchi du respect des lois et que, ce faisant, vous avez dérogé aux obligations qui vous lient à la République. (…) En conséquence, votre titre de séjour vous a été retiré et [a été] remplacé par une carte de séjour temporaire, valable un an », est-il écrit dans ce courrier. « Tout autre acte de délinquance conduira à un nouvel examen de votre situation qui pourrait aller jusqu’à vous contraindre au départ du sol national », peut-on aussi lire dans ce même courrier.
Emmanuel Macron veut accélérer les retours d’étrangers en situation irrégulière
Ces demandes de M. Darmanin aux préfets interviennent après une réunion, mercredi, avec Emmanuel Macron qui a réclamé à plusieurs ministres une meilleure efficacité des expulsions d’étrangers en situation irrégulière. Le chef de l’Etat a demandé aux ministres d’« activer de manière volontariste les dispositifs en vigueur » et d’intensifier les négociations avec les pays d’origine pour qu’ils acceptent le retour d’un plus grand nombre de leurs ressortissants.
Sur environ 120 000 demandeurs d’asile par an, 20 000 obtiennent le statut de réfugiés, 20 000 repartent et 80 000 se maintiennent illégalement sur le territoire.
Au début de mai, le ministre de l’intérieur avait déjà affirmé avoir demandé aux autorités compétentes de retirer le statut de réfugié aux étrangers connus pour des faits de radicalisation ou de troubles à l’ordre public – 147 retraits de protection avaient été décidés en trois mois, d’après le ministre.
Le solde des clandestins reste toujours positif, et la solution passe par un contrôle plus stricte des frontières, et l’abrogation des accords de l’espace Schengen.
Qu’est-ce que l’espace Schengen ?
L’espace Schengen désigne un espace de libre circulation des personnes. Ce principe implique le libre franchissement des frontières par tout individu entré sur le territoire d’un des États membres de l’espace Schengen. Un État membre de l’espace Schengen ne peut rétablir les contrôles que dans des cas très précis.
Que désigne l’espace Schengen ?
En 2021, l’espace Schengen regroupe 26 États :
- 22 des 27 membres de l’Union européenne (UE). La Bulgarie, la Roumanie, Chypre et la Croatie n’y participent pas encore. L’Irlande, quant à elles, bénéficie d’un statut particulier et ne participe qu’à une partie des dispositions Schengen ;
- quatre États associés, non-membres de l’UE : Norvège, Islande, Suisse et Liechtenstein.
Qu’est-ce que le principe de libre circulation des personnes ?
Le principe de la liberté de circulation des personnes (art. 3 TUE) implique que tout individu (ressortissant de l’UE ou d’un pays tiers), une fois entré sur le territoire de l’un des pays membres, peut franchir les frontières des autres pays sans subir de contrôles. Les vols aériens entre villes de l’espace Schengen sont considérés comme des vols intérieurs.
Un État de l’espace Schengen peut-il rétablir les contrôles à ses frontières ?
Un État ne peut rétablir les contrôles qu’en cas d’atteinte à l’ordre public ou à la sécurité nationale (pour six mois maximum), et après consultation des autres États du groupe Schengen.
En 2013, ce délai a été étendu à 24 mois en cas de “manquement grave d’un État membre à ses obligations de contrôle aux frontières extérieures”.
Cette possibilité de réintroduction temporaire de la vérification des passeports aux frontières nationales a été utilisée, par exemple, en Pologne pour l’Euro 2012, par plusieurs pays (Autriche, Danemark…) pour faire face à la crise migratoire en 2015, par la France après les attentats de novembre 2015, ou encore en 2020 par plusieurs pays pour faire face à la crise sanitaire due au Covid-19.
En revanche, les contrôles aux frontières extérieures de l’espace Schengen sont renforcés, sous réserve que les pays s’en donnent les moyens, ce qui n’est pas le cas de la France.