L’Assemblée nationale examine le projet de loi du gouvernement sur le séparatisme. Est-il suffisant à vos yeux pour combattre l’islam politique?
Rachida DATI. – Le séparatisme est profondément ancré dans la société française. Il est le fruit de décennies de renoncements qui ont érigé le droit à la différence comme une valeur supérieure à l’universalisme républicain. Le texte débattu à l’Assemblée nationale regroupe des mesures techniques pouvant être utiles mais qui ne s’attaquent pas aux causes profondes du séparatisme. Ce texte tente de freiner les reculs et les renoncements, mais pas de reconquérir du terrain. Or, c’est bien de cela dont il s’agit: de reconquérir des territoires qui se sont séparés de la République, même à Paris.
Quelle politique préconisez-vous pour «reconquérir du terrain»?
L’offensive doit être de deux ordres. D’abord, il faut assumer de mettre fin à une politique de peuplement qui a favorisé le séparatisme et en particulier dans le logement social. Le logement social est devenu un ghetto où s’accumulent toutes les difficultés, de la cage d’escalier à l’école. Les critères d’attribution des logements sociaux doivent être revus pour avoir une composition qui permette une réelle mixité, ce qui n’est plus le cas depuis des décennies. Ensuite, concernant l’école, dédoubler les classes, c’est bien, mais ce n’est pas suffisant. Acceptons de donner une autonomie à certains établissements scolaires pour constituer des équipes pédagogiques adaptées aux réalités. L’échec de la République commence à l’école, c’est la leçon des travaux de l’inspecteur Obin . Ces équipes de terrain devront adapter les méthodes d’apprentissage justement pour ne pas avoir à renoncer sur les fondamentaux de notre école. Et c’est aussi grâce à l’unité de ces équipes que pourront être enseignées sans crainte certaines matières comme les sciences, la philosophie ou l’histoire dans tous ses aspects, de la colonisation à la Shoah.
Quand vous voyez qu’un enseignant à Trappes doit faire cours sous surveillance policière, n’est-on pas déjà dans le «renoncement»?
Les professeurs doivent pouvoir enseigner les programmes définis dans toutes les matières sans être inquiétés. Et dans ce cas précis, il faut une enquête pour savoir qui professe ces menaces et y mettre fin.
Lutter contre le séparatisme, c’est aussi défendre l’État de droit. Ne faut-il pas renforcer la politique pénale? On entend peu le garde des Sceaux sur ce texte…
Nous disposons déjà dans notre droit d’un arsenal pénal important. Ce qui manque c’est la volonté politique qui doit se traduire par une politique pénale assumée sur tout le territoire national.
Ce qu’il faut contrôler, ce sont les fausses scolarisations à domicile où les enfants se retrouvent dans des écoles parallèles tenues par des associations qui ne sont pas autorisées à enseigner
Rachida Dati
Fallait-il introduire dans ce projet de loi, comme le souhaitait le groupe Les Républicains à l’Assemblée nationale, une disposition pour interdire le port du voile chez les mineures?
Le voile est déjà interdit à l’école. En proposant d’interdire le voile aux mineures dans la rue, quel est l’objectif? Mettre des amendes ou protéger ces mineures contre des pressions idéologiques ou religieuses? Si c’est la protection des mineures, des instruments existent. Saisissons la justice au titre de la protection de l’enfance. C’est déjà possible et cela peut entrer dans le cadre d’une politique pénale attendue. Car rien ne serait pire que d’adopter une loi inapplicable.
Jugez-vous nécessaire de conserver l’article 21 du projet de loi «confortant les principes de la République» et qui restreint le droit à l’instruction en famille?
Tout le monde a le droit à une protection même si cela ne concerne que 0,3% des enfants. Ce n’est pas l’instruction à domicile en famille qui pose problème en soi mais ce sont les détournements qui se font aux dépens des enfants. Ce qu’il faut contrôler, ce sont les fausses scolarisations à domicile où les enfants se retrouvent dans des écoles parallèles tenues par des associations qui ne sont pas autorisées à enseigner. Ces associations – leurs dirigeants, leurs financements, leurs actions et le public qu’elles reçoivent – doivent être contrôlées et dissoutes en cas d’illégalité.
Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, aurait-il dû reprendre à son compte la disposition des élus LR visant à garantir la prééminence des lois de la République?
Ce n’est pas la première fois que M. Darmanin refuse des amendements aussi utiles soient-ils parce qu’ils émanent des Républicains. Toutefois, toutes ces questions vont être au cœur de la prochaine élection présidentielle, parce qu’elles touchent au pacte républicain, à la cohésion nationale et à notre sécurité. Elles le seront d’autant plus que cette crise sanitaire a mis au grand jour les inégalités, les fractures mais aussi les faiblesses de notre société.
Regarderez-vous le débat entre Gérald Darmanin et Marine Le Pen, jeudi soir, sur France 2?
À force d’instrumentaliser un affrontement entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron et de nier l’existence d’une réelle opposition, on va dégoûter les Français de la seule élection pour laquelle ils se mobilisent encore. Les Républicains qui sont la force politique en laquelle les Français ont le plus confiance au niveau local déjoueront ce que les commentateurs et la majorité actuelle essayent cyniquement d’installer.
Séparatisme: le voile le “grand oublié”?
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