Georges Clemenceau avait le sens de la formule. Comparant un jour Poincaré à Briand, qu’il détestait également, il dit: «Poincaré sait tout mais ne comprend rien ; Briand ne sait rien mais comprend tout .» Une fois refermé le (bref) ouvrage de Patrick Weil sur la laïcité, on se dit que notre directeur de recherche au CNRS admire Briand mais ressemble à Poincaré: il sait tout mais ne comprend rien. Son livre est aussi froid qu’un recueil de jurisprudence. Il lui manque de la chair et de l’âme. Il sait tout sur la laïcité, ses débats, ses articles, son esprit. Sa science n’est pas vaine. Patrick Weil rappelle l’optique «libérale» de la loi de 1905, qui protège la liberté de tous les cultes ; une liberté qui s’étend aux actes extérieurs, et donc à des manifestations religieuses dans l’espace public.
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À l’époque, deux sujets concernent l’espace public: les processions religieuses et les cloches. Mais Weil nous apprend que le maire peut interdire les processions (au nom de l’ordre public) et encadrer strictement les sonneries des cloches des Églises. L’État n’a pas la main qui tremble: Briand prévoit la déchéance de nationalité française pour les évêques qui refusent d’instituer des associations cultuelles. Notre juriste nous convainc que c’est la jurisprudence qui a permis d’enraciner la loi de 1905: celle du Conseil d’État pour protéger la liberté des croyants ; celle de la Cour de cassation pour punir les prêtres et les évêques qui appelaient à la rébellion contre la loi et la République. On voit venir notre juriste avec ses gros codes: on doit traiter aujourd’hui l’islam comme on a traité il y a un siècle le catholicisme. Protéger la liberté des fidèles et punir ses mauvais bergers.
C’est le retour de la distinction entre islam et islamisme , derrière laquelle se cachent la plupart de nos politiques (y compris Marine Le Pen) pour ne pas voir la réalité en face: l’islam n’est pas un simple catholicisme des Arabes. L’islam n’a jamais reconnu une quelconque séparation entre spirituel et temporel. L’islam est avant tout un code juridico-politique qui enserre de manière totale la vie des fidèles. Il n’y a pas d’Église en islam. Chacun des fidèles doit appliquer le Coran sacré et les hadiths (propos de Mahomet, «le bel exemple».) L’Islam ressemble davantage au protestantisme des origines. Et on sait comment la monarchie française a traité le protestantisme: siège de La Rochelle, place forte protestante, par Richelieu et révocation de l’édit de Nantes par Louis XIV.
Ce n’est que dans les dernières pages de l’ouvrage que l’auteur abandonne enfin son ton roide de prof de droit. Mais il troque alors sa toge de juriste pour sa veste d’ancien militant socialiste
Aujourd’hui, les nombreuses banlieues sont des enclaves étrangères où la loi de l’État ne s’applique plus , où les mœurs islamiques ont supplanté les mœurs françaises, et où les caïds armés font régner leur loi et celle de l’islam. La monarchie française a combattu violemment le protestantisme car il défiait non seulement l’Église mais s’alliait également avec les puissances huguenotes (Angleterre et Pays-Bas) qui étaient des adversaires de la France. Weil voit juste quand il nous dit que la laïcité est aussi une loi qui lutte pour «la souveraineté de l’État français face aux ingérences de l’Église de Rome» . On sait aujourd’hui que de nombreuses puissances étrangères, Turquie, mais aussi Algérie, voire Maroc ou Arabie saoudite ou Qatar utilisent les diasporas musulmanes en France pour empiéter sur la souveraineté de l’État en France.
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Ce n’est que dans les dernières pages de l’ouvrage que Weil abandonne enfin son ton roide de prof de droit. Il reconnaît que «tous les Français ont en héritage un catholicisme national (…) le déséquilibre ainsi créé dans le principe d’égalité (…) doit être distingué des discriminations réelles» . Il corrige pertinemment le slogan qui trône dans toutes les écoles: «La laïcité permet la citoyenneté, proclame la charte affichée sur les murs de nos établissements scolaires. Eh bien non, c’est l’inverse. Seule la citoyenneté, pleinement reconnue à chacune et à chacun, permet la laïcité.» Encore un effort Patrick Weil! Seule l’assimilation permet la citoyenneté qui permet la laïcité. Seule l’assimilation à la culture et aux mœurs et à l’histoire françaises, imprégnées de catholicisme et de culture gréco-romaine, permet de comprendre, d’approuver et d’appliquer les règles de la laïcité. Seule l’assimilation impose, dans l’esprit sinon dans la lettre de la loi de 1905, ce «devoir de discrétion» dans l’espace public qui permet la coexistence pacifique et la discussion politique rationnelle entre citoyens. Les enfants de l’immigration arabo-africaine refusent dans leur majorité la laïcité car ils ne sont pas assimilés.
«De la laïcité en France», Patrick Weil, Grasset, 127 p., 14 €. Grasset
Mais Patrick Weil troque alors sa toge de juriste pour sa veste d’ancien militant socialiste. Il nous explique qu’en 1945, de Gaulle a refusé la venue de travailleurs allemands – nos anciens ennemis – mais qu’il a accepté les Algériens en 1962 «nos anciens compatriotes» . C’est tout le contraire: en 1945, de Gaulle souhaite privilégier une immigration du nord de l’Europe, car il trouve que la population française fait déjà une trop grande place aux «Méditerranéens»! C’est le Conseil d’État, réuni en majesté sous la présidence de René Cassin, qui aura raison de la volonté gaullienne. En 1962, de Gaulle confie à Peyrefitte qu’il accorde l’indépendance aux Algériens car il ne veut pas que «son village devienne Colombey-les-Deux-Mosquées» . L’immigration algérienne lui est imposée par le patronat. Enfin, Patrick Weil rappelle un ultime épisode qui le concerne directement. En 1978, Giscard et Barre décident de suspendre le regroupement familial et négocient un accord avec le gouvernement algérien de retour de plusieurs centaines de milliers de travailleurs algériens. Comme le note Weil, «la gauche et les églises se mobilisèrent contre ce projet de même que les gaullistes et les chrétiens-démocrates, et ils le firent échouer» . À la même époque, le Conseil d’État (encore lui) rejeta par le célèbre arrêt Gisti, la suspension du regroupement familial.
Patrick Weil fut à la pointe de ce combat contre la volonté du pouvoir politique. Il est donc un des responsables de cette situation tragique avec laquelle il ouvre son ouvrage, quarante ans plus tard: la décapitation de Samuel Paty. Il se lamente. «Qui pouvait l’imaginer?» Tous ceux qui avaient tiré les leçons de 1789: les révolutions commencent par le droit ; puis les bourreaux prennent le relais.
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