Le Point : Vous avez décidé de parler de votre situation et de l’emprise communautariste à Trappes. Vos propos ont provoqué beaucoup de réactions. Est-ce devenu problématique de dire la vérité sur la montée de l’islamisme, du communautarisme et du séparatisme ?
Didier Lemaire : Dire la vérité ne va jamais de soi. D’abord, parce qu’on peut se tromper. Ensuite, parce que celui qui reçoit votre parole peut mal vous comprendre ou ne pas supporter la vérité. Quelle dose de vérité un homme peut-il supporter ? Autre problème : la vérité et l’exactitude sont deux choses différentes. Je peux dire quelque chose d’exact qui est faux et dire quelque chose d’inexact qui est vrai. Par exemple, je peux dire quelque chose d’exact dans l’intention de tromper. Ma femme me demande où j’étais hier soir après 20 heures et je lui dis que j’étais au bureau. Ce peut être exact, mais je n’étais pas forcément en train de travailler. De même, je peux dire quelque chose de factuellement inexact, mais qui exprime une vérité. C’est le cas lorsque j’ai dit qu’il n’y a plus de coiffeurs mixtes à Trappes. Je me suis trompé. C’est inexact. Mais le sens de cette affirmation en revanche coïncide avec la réalité : les coiffeurs mixtes et, de façon générale, la mixité dans l’espace disparaissent de la ville. Il ne resterait plus que 4 coiffeurs mixtes sur une vingtaine, ce qui prouve que l’ordre républicain est bafoué sur ce territoire. Peu de gens comprennent qu’il faut interpréter le sens d’un discours pour évaluer son degré de vérité.
Pour ce qui est de l’islamisme, nous vivons dans le déni depuis des années. Cette vérité exigerait d’affronter notre peur et de changer notre positionnement. Pour ma part, j’ai vécu un moment socratique où je me suis aperçu de ma propre ignorance et où j’ai voulu me confronter à un réel que j’ignorais et que je n’avais pas non plus tellement envie de regarder en face. Mon modèle de philosophe, c’est Schopenhauer. Non que j’adhère définitivement à sa doctrine du vouloir-vivre, mais parce que c’est un des philosophes qui a eu le plus de courage face à l’absurdité de l’existence. J’ai commencé à penser à 13 ans avec Camus et Le Mythe de Sisyphe. C’est ce courage-là que j’admire chez mes maîtres, Sénèque, Pascal, Jankélévitch. Une partie de la presse est aujourd’hui en réalité une courroie de transmission des écuries présidentielles. L’idéologie se mêle ou se substitue ainsi au travail d’enquête journalistique. Certains articles deviennent même des opérations de communication, voire des coups politiques. Il s’agit d’une perversion grave du rapport à la vérité.
Vous êtes un professeur de philosophie sous la lumière des projecteurs. Comment, dans ces conditions, envisagez-vous votre retour en classe avec vos élèves ?
Mon retour est impossible. Il y a, et c’est bien normal, trop d’émotion, de passion, pour que je puisse exercer sereinement ma mission. Mon retour pourrait nuire aux élèves, à mes collègues. Pour l’instant, mon chef d’établissement a décidé de me décharger de cours et nous allons avec le rectorat et le ministère bientôt formaliser mon départ. Un temps de réflexion pour trouver la meilleure manière de poursuivre ce combat pour la défense des principes républicains m’est nécessaire. Je ne doute aucunement de la volonté de l’Éducation nationale pour m’accompagner dans cette démarche.
Quelles réactions votre prise de parole a-t-elle suscitées chez vos collègues ?
D’abord, quelques collègues m’ont manifesté un soutien très chaleureux, et les jours passant, j’ai senti un soutien de plus en plus fort. Jeudi soir, j’ai découvert leur message collectif, à travers le communiqué des enseignants du lycée de la Plaine-de-Neauphle, qui porte avec moi l’engagement des enseignants dans l’émancipation des plus jeunes et de nos élèves. Je suis heureux que nous portions ce combat tous ensemble.
Le maire de la ville de Trappes et le préfet des Yvelines se sont exprimés pour dire que vos propos stigmatisent les habitants de la ville de Trappes. Comment réagissez-vous à cela ?
Avant eux, d’autres ont fait les mêmes reproches à Georges Bensoussan, Jean-Pierre Obin, Gilles Kepel, Bernard Rougier et d’autres. Donc, je vous dirais que je ne suis pas très surpris. Que diraient ces personnes des caricatures de Charlie Hebdo ? Qu’elles sont stigmatisantes ? On voit bien qu’en m’accusant de stigmatiser les habitants de Trappes, ces gens tentent de me discréditer, voire de faire souffler un vent de haine contre moi. Le préfet des Yvelines a dû d’ailleurs publier un communiqué de presse ce matin pour revenir sur ces propos. Tant mieux !
Qu’on me juge sur pièces : j’ai servi mes élèves avec passion pendant vingt ans et, aujourd’hui, je me bats pour les libérer de l’emprise qu’ils subissent parce que la République les a abandonnés à « la communauté » et qu’ils ne peuvent plus devenir des individus autonomes et singuliers. Et c’est moi qui « stigmatise » ? Quelle farce ! La première chose que je dis à mes élèves en classe lorsque j’entends « un Noir » ou « un Blanc », c’est : « Ne dites jamais cela, dites une personne noire, une personne blanche, car un être humain n’est jamais un exemplaire d’un groupe. » Je me bats parce que je voudrais justement que les élèves de Trappes puissent devenir des élèves comme les autres, membres de la seule communauté que nous reconnaissons, la communauté nationale, celle dans laquelle les hommes sont libres de leur corps et de leur esprit et égaux en droits, en dignité.