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L’enseignement du fait religieux

Publié le 23 janvier 2021
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Par une lettre du 3 décembre 2001, le précédent ministre de l’Education Nationale, Jack Lang, avait confié à Régis Debray une mission importante.

Elle consistait à « réexaminer la place dévolue à l’enseignement du fait religieux », et ce dans le cadre laïque et républicain propre à l’Ecole de notre pays. Mission accomplie et consignée sous forme d’unRapport remis quelques mois plus tard. Le rapporteur constate l’univer- salité de la question: « A la sélection sociale près, ce qui n’est pas un mince avantage, le privé et le public ont affaire, finalement, à la même amnésie, aux mêmes carences. » Le religieux apparaît pourtant comme « transversal » dans de nombreux champs d’études et d’activités humaines. Le prendre en considération ne peut être que bénéfique pour « désamorcer les divers intégrismes » qui se manifestent aujourd’hui. Encore faut-il parvenir à surmonter « un certain scientisme naïf, mala- die infantile de la science en marche, comme un certain laïcisme ombrageux [qui] a pu être la maladie infantile du libre examen ». Le temps est venu « du passage d’une laïcité d’incompétence (le religieux, par construction, ne nous regarde pas) à une laïcité d’intelligence (il est de notre devoir de le comprendre) ». Il importe, pour ce faire, de distin- guer le religieux comme « objet de culture », en raison de son apport à l’institution symbolique de l’humanité, et le religieux comme « objet de culte », qui ressortit au travail propre des institutions religieuses elles-mêmes. Pour débloquer des situations figées et avancer dans le travail de compréhension du religieux en notre temps, il importe surtout de préciser les contenus et les contours de ce que l’on entend par fait religieux. Pour les croyants, il n’est pas question de se mouvoir dans une sphère essentialiste postulant la religion comme un fait de nature engendrant une sorte d’homo religiosus immuable selon les temps et les espaces. Au contraire, la visée actuelle consiste à découvrir l’homme dans le réseau de ses diverses relations et de ses appartenances culturelles dont la religion est forcément partie prenante. Il faut partir de l’homme dans ses rapports avec ce qu’il estime lui-même être l’Absolu. Pour mettre de la clarté dans ces approches contrastées, Etudes a demandé à Régis Debray de répondre, pour sa part, à la question litigieuse, pomme de discorde entre laïcs et croyants : « Qu’est-ce qu’un fait religieux? » (N.D.L.R.).

Ce qui va de soi est toujours source d’abus. Aussi est-il prudent, quand on a commis un rapport sur « l’enseignement du fait religieux dans l’école laïque », de se retourner un instant sur ce lieu trop commun pour n’être pas sus- pect de « fait religieux ». C’est le propre de la doxa que de donner pour réalité un a priori et d’habiller un coup de force en procès-verbal. L’approche descriptive et sereine des religions, que nous sommes nombreux à recommander, cacherait-elle, sous une apparence de rigueur, un topo idéologique? Question préjudicielle et d’autant plus légitime que de ce point d’ordre liminaire — de quoi veut-on parler, au fond ? — dépend le bien-fondé des péda- gogies à envisager. Si le projet d’une meilleure mise en transpa- rence du religieux dans l’école républicaine ne devait s’autoriser que de bienséances morales ou politiques (tolérance, ouverture, respect de l’autre), en prenant appui sur un a priori intellectuellement inconsistant, l’exercice se verrait bientôt ramené à l’inten- tion pieuse. Constater un manque (d’informations religieuses chez les élèves) ne suffit pas à faire un plein, et sur la longueur le moralisme, fût-il civique, sonne creux. Le problème n’est donc pas seulement verbal, il est de savoir si l’on peut identifier un objet d’enseignement clair et distinct dès lors qu’on s’est refusé à admettre dans le tableau des enseignements obligatoires une dis- cipline appropriée et clairement identifiable. Rien de moins.

L’interrogation, notons-le d’emblée, n’a rien d’original. Toujours, partout, les vocables les plus simples, ou les plus usités, sont les plus difficiles à définir (vieille question logique : comment fonder les fondamentaux?). A propos de la « civilisation », Fernand Braudel faisait déjà remarquer que « le vocabulaire des sciences de l’homme, hélas, n’autorise guère les définitions péremptoires ». Ce handicap ne l’a pas empêché de rédiger, à l’usage des classes terminales, une Grammaire des Civilisations et à en proposer, dans les dernières pages, sa propre définition… Les mots, il est vrai, ont autant de sens que d’usages possibles. La courpage3image22656toisie autant que la probité imposent donc en ces matières de jouer cartes sur table. Pensons à la somme de préjugés et d’illu- sions que véhiculent l’histoire de l’art ou l’administration de la culture, qui ne font pas question de termes aussi conventionnels et trompeurs que « art » et « culture ». Avec ce qu’il suggère d’éthéré et de mystérieux, « religion » sera encore plus facile à vaporiser que « civilisation », dont Seignobos rappelait narquoisement que le terme désignait, somme toute, « des routes, des ponts et des quais ». Dira-t-on, dans la foulée, que le christianisme, ce sont des chasubles, des tympans et des calvaires ?

L’embarras que nous ressentons tous à circonscrire les constellations spirituelles n’est pas seulement dû à l’équivoque des jeux de langage dès qu’on sort des sciences exactes et natu- relles. Il se redouble ici des blocages conceptuels de la tradition rationaliste face à ce qu’il est convenu d’appeler l’univers symbolique, où peuvent se loger, selon les goûts et l’époque, les croyances, l’idéologie, la foi, les convictions, les adhésions, etc. Comment l’irréel en nous peut-il avoir au-dehors un effet de réel ? Bien pauvres nos outillages aptes à percer l’énigme la plus résis- tante des conduites humaines. Nous manquons cruellement d’une science du croire, victimes que nous sommes du postulat (hérité de Platon) selon lequel il y a une correspondance intrinsèque entre la nature de l’objet connu et la nature de son organe de connaissance. D’où se conclut, par une sorte de paresse, que la rai- son doit s’appliquer aux triangles et aux nombres — ce qui échappe à la géométrie relevant de l’imagination ou de la fantaisie. C’est l’un des préjugés qui dissuadent depuis des siècles le ratio- naliste bon teint de chercher la raison de l’irrationnel ou, si l’on préfère, le comment et le pourquoi des croyances collectives. C’est au vu de ce trou noir — aux effets proprement tragiques, soit dit en passant — qu’est né le projet d’une médiologie, transversale à l’échiquier des vieux découpages, et dont l’efficacité symboliqueconstitue l’objet premier et ultime. Les malentendus ou le refou- lement auxquels ce projet disciplinaire a à faire face, en se voyant confondu avec une banale sociologie des médias, disent à leur manière la glu des habitudes.

Un choix entre divers inconvénients

Ne le nions pas: le fait religieux est de bonne diplomatie. L’expression a de l’emploi parce qu’elle est commode, et d’une neutralité peu compromettante. Elle ne privilégie aucune confession en particulier. Chacun en a sa part et tous l’ont tout entier. Le laïque soupçonneux d’une possible contrebande spiritualiste excusera le religieux par le fait, qui force, dit-on, à s’incliner. Et le croyant réticent devant toute réduction positiviste d’une foi vivante excusera le fait parce que religieux: qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait le mystère! L’alliage des deux mots neutralise l’un par l’autre. Le positif par le mystique, et vice-versa. Aussi bien confessants et libres-penseurs y trouvent-ils leur compte, sans y regarder de près. Chacun peut faire sa part du feu…

Un mauvais compromis vaut mieux qu’une bonne guerre civile. Soit. Mais, tout respectable qu’il soit, un expédient de poli- tesse ne sera jamais l’ultima ratio du philosophe. Y a-t-il des raisons plus solides pour retenir « le fait », de préférence à l’expérience, au sentiment, à la culture, au facteur — religieux ? Il nous semble que oui.

Facteur postulerait une causalité, une efficace, disons un pré-jugement de nature épistémologique auquel une certaine rigueur, ou pudibonderie, scientifique pourrait objecter. Et il est vrai que la dominance effective du facteur varie considérablement selon les lieux et les époques. Sentiment et expérience implique- raient une incursion dans le for intérieur que la laïcité s’interdit à bon droit de violer, tout en exposant, par son caractère invérifiable et fluide, aux facilités de l’incantatoire et du suggestif. La République tient à honneur de ne pas confondre l’instruction des esprits avec l’entraînement des âmes. Et que répondre à ceux qui se déclarent indemnes de toute inquiétude religieuse? Alors, pour- quoi pas la culture religieuse à l’Ecole ? Parce que le mot est norma- tif, grevé d’un jugement de valeur en pointillé propre à faire accroire qu’un sans-religion ou un athée est un inculte (ce qu’à Dieu ne plaise, et que le commerce des humains dément for- mellement). Plus sérieusement, culture renvoie à une réduction esthético-langagière de la réalité religieuse, où l’approche hermé- neutique, dont il faudra un jour interroger la vogue, occulterait la portée géopolitique et, plus largement, anthropologique. Evénement sacrifierait le continu au discontinu, en négligeant que, si événement religieux il y a, il se passe dans les têtes avant de gagner les chroniques ou les annales. La montée au Sinaï, le sacrifice de Jésus, le ravissement du Prophète peuvent même se qualifier, en rigueur, de non-événements. Même si l’on peut l’assigner à une chronologie, la Crucifixion n’appartient pas au temps court de l’événementiel. Ne versons pas l’épine dorsale des civilisations au chapitre « faits divers et anecdotes ». Le fait, résidu ou moindre mal ? Considérons ses avantages. Il embrasse large, plus que la ou même les religions, systèmes sym- boliques formalisés. Il est à prendre au premier degré et ne désigne pas, dans ce cadre, une sorte de religion première, une latence ou essence universelle dont telle ou telle confession serait l’expression exotérique, ici ou là (le catholicisme en France, par exemple). Il est observable, contrairement à la structure ou aux dispositions intérieures, et le géographe peut lui assigner des aires précises. Il est évolutif, non réductible, mais sujet à une datation, pris dans un avant et un après, et l’historien peut le périodiser, par ères et calen- drier. Le fait est assez insistant ou récurrent, tout au long de l’aventure humaine, pour qu’on en fasse un objet de pensée en soi, invitant le professeur de philosophie à le problématiser dans un cadre conceptuel. Bref, le fait est un point de départ irréfutable. Le bouddhisme est arrivé au Japon au VIIIe siècle, c’est un fait. Les musulmans tiennent que Mohammed a été l’envoyé de Dieu et que le Coran est incréé, c’est aussi un fait. Il y a des vaches sacrées sur les routes en Inde, des danses de possession dans les bidonvilles en Afrique noire, et des centaines de milliers de pèlerins, esprits évolués sachant lire et écrire, à Lourdes et à Saint-Jacques- de-Compostelle en plein XXIe siècle, c’est un autre fait (dans « factualité », il y a « actualité »). Quoi qu’on en pense, das ist. C’est ainsi. En France, on trouve normal d’expliquer aux enfants pourquoi ils ne vont pas à l’école le 8 mai et le 11 novembre. Le fait qu’ils aient des vacances à Noël et à Pâques doit-il être relégué dans la contingence ou dans l’ineffable? Interdit d’explication? Les cadres sociaux de la mémoire, les rythmes imprimés à l’espace et au temps par les différentes traditions religieuses, dans chaque société, ne relèvent pas de l’option spirituelle ni de la vie intérieure, ils s’imposent à nous, volens nolens; ou plutôt, ils ont été déposés dans notre présent, douce coercition, par une très longue séquence d’emprises irrécusables qu’on appelle une histoire. Son dévoilement est en deçà du Bien et du Mal. Das ist.

Un fait total d’un genre particulier

Des faits, il en est de plusieurs natures. A quel genre de faits ressortit un phénomène religieux? C’est là que la difficulté commence. Car, aussi éloigné qu’on se veuille d’une perspective idéaliste, incantatoire ou ésotérique, aussi résolu qu’on puisse être, avec cette limitation délibérée à l’empirique, de s’en tenir à l’attesté et au vérifiable, il n’en reste pas moins qu’on ne peut réduire l’étude du religieux à celle de ses manifestations matérielles, fussent-elles artistiques. Si l’on a pu, avec quelque raison, reprocher à Braudel et à sa « civilisation matérielle » d’en minimi- ser la dimension idéelle en survalorisant l’économique et la géo- graphique (voire en excluant l’homme de la géographie), a fortiorile reproche vaudra-t-il pour une approche des mouvements de croyance qui se bornerait au descriptible, au mesurable et au quantifiable. C’est qu’avec « la composante religieuse de l’histoire » nous sommes confrontés à un fait social total, multidimensionnel, à cheval sur le psychisme individuel (la croyance) et l’environnement collectif (les croyances), et ce, à partir d’une géo- graphie déterminée. Un fait religieux est à la fois un fait de mentalité et un fait de société, « de ceux où la nature sociale rejoint très directement la nature biologique de l’homme », comme disait Marcel Mauss à propos du Rire et des larmes. L’auteur de L’Essai sur le don fit se rejoindre ethnologues, psychologues et sociologues en définissant la vie sociale comme « un monde de rapports symboliques » relevant, à ce titre, d’une anthropologie susceptible de rendre simultanément compte des aspects physique, physio- logique, psychique et sociologique des cultures humaines. Sortir des classifications et utiliser tous les documents: le conseil est à retenir.

Lieux communs? Peut-être, mais qui dessinent déjà, par soustraction, un territoire d’observation. Ne font pas, à notre sens, partie du fait religieux — enseignable en tant que tel — les expériences ésotériques, les sortilèges du paranormal, les méditations transcendantales, les thérapies de l’âme et du corps individuel ; le Temple solaire et le suicide collectif de Guyana non plus; ni même, plus grave, les sagesses philosophiques. Elucubrations ou initiations, nous dirons simplement que ces doctrines et ces magies ne sont pas cadres et acteurs de la vie des sociétés. Nous définirons, en revanche, le « fait religieux » comme un fait de psy- chologie collective, d’ordre mental, mais ayant acquis en chemin une dimension totalisante, en affectant réellement un espace social, des comportements individuels et des formes d’organisa- tion collective. Tant que la religiosité propre à l’animal pieux n’a pas atteint ce niveau de consistance ou de cristallisation géo-historique, elle n’offre pas de prise à un enseignement laïque, qui doit neutraliser les affects et les valorisations personnelles. Trois critères pour accéder à une incontestable factualité : le volume, la longue durée, l’existence d’empreintes. Dimensions communau- taire, historique et culturelle*. C’est le croisement des trois qui permet de passer de l’abstrait au concret, si c’est le complet qui fait le concret. Par où l’on voit que les diverses éthiques et morales appli- quées ne répondent pas à la définition. D’admirables sagesses permettent de répondre au qui suis-je ? mais sont dépourvues d’emprise au sol, et n’ont pas formé de nous stabilisés. On ne connaît pas d’empire stoïcien (l’empereur Marc Aurèle intitula à bon escient pros émauton, « Pour moi-même », son examen de conscience), de royaume cynique ni d’architecture épicurienne — ni de musique aristotélicienne. Nul n’est stoïcien (plus que stoïque) s’il n’a lu les bons auteurs: cette philosophie, aujourd’hui, ne se rencontre qu’en bibliothèque. L’islam comme le bouddhisme se croisent dans les campagnes et dans la rue d’une moitié de la planète, et il n’est pas besoin de savoir interpréter les hadith ni le Sermon de Bénarès pour rencontrer le fait musulman ou bouddhiste. Le religieux se distingue du philosophe par ceci qu’il prend aux tripes et au groupe. Le mythos nous saisit par les oreilles, les pieds, le diaphragme et l’odorat : c’est à chaque fois un mode de vie, non moins que de pensée, qui marque les corps, la table, l’hygiène et l’habitat ; alors que le logos nous est transmis de tête, sans commander un régime alimentaire ou un système pileux. La montée des ego en Occident met au pinacle les diverses disciplines du bien-être individuel que sont, chez nous, les « spiritualités orientales », dont les artistes, danseurs, acteurs, musiciens et scientifiques sont les vecteurs tout désignés. Le fait religieux, lui, ne concerne pas les élites, mais les grands nombres. Changement d’échelle, et donc de nature. On peut simuler une tour de cin- quante étages dans sa chambre, sous forme d’une maquette en car- ton, mais pour loger en vrai une population croyante, il faut construire en dur — soit: une orthodoxie, un magistère, un droit et des rites. La « grandeur » quantitative a ses servitudes qualitatives.

Le fait et son sens

« Dissection impossible, se récrieront croyants et pratiquants. Comment couper le fait unanime de son interprétation vécue, le texte de son sens, le froid du chaud ? Votre morphologie religieuse s’attaque à des cadavres spirituels. Restituer la physio- logie du sacré, retrouver la syntaxe derrière des formes mortes,

* N’importe quelle histoire, pour sûr, est un feuilleté de temporalités différentes, et l’histoire religieuse plus qu’aucune autre. Un historien du catholicisme, par exemple, manie à cet égard une poupée russe : il y a le temps biographique ou individuel, celui d’un pontificat ; il y a le temps institutionnel, celui de l’Eglise et des Conciles; et il y a le temps civilisateur, celui du monde chrétien. C’est retrouver la chaleur humaine qui émane de la prière, du pèlerinage, de la communion — bref, du sacré en exercice tel qu’il se donne en plénitude dans les actes de foi, et non dans les laboratoires. »

L’objection nous semble pécher deux fois. D’abord, en oubliant que le concept de chien n’aboie pas: qui donne une leçon pleine d’effusions amoureuses sur le thème de l’amour de Jésus et un cours empreint de soupirs mystiques sur maître Eckhart, prend le risque de ne pas faire avancer d’un pas la connaissance théologique. Ensuite, en oubliant que « la caracté- ristique de l’objet des sciences sociales est d’être à la fois chose et représentation », comme le rappelle Lévi-Strauss. N’importe quelle institution sociale souffre d’un dédoublement semblable (qui fait son prix). L’Ecole publique est un ensemble de bâtiments, de règlements et d’organigrammes saisissables du dehors; et c’est aussi un ensemble immatériel de dispositions morales et de convictions propres à ses personnels et indispensables à son fonc- tionnement. De même l’Eglise, édifice à chauffer l’hiver, à réparer l’été, et aussi corps mystique du Christ. Certes, pour décrire correctement un tableau de peinture religieuse, objet de piété populaire, il faut examiner le tableau, sujet, format, couleurs, style — etcomprendre ce qu’est la dévotion et ses attentes. Combiner les deux est l’optimum, mais soyons sans illusion. L’étude du reli- gieux n’échappe pas plus que celle des Beaux-Arts à ce malheur épistémologique qui oblige le savant, tôt ou tard, à choisir entre l’appréhension détachée, objectivante, de la chose et une adhésion intuitive et mimée, mais redondante. Dilemme connu : vivre le fait comme indigène ou l’observer comme ethnographe… Il y a le reli- gieux fait chose (calendrier liturgique, sanctuaire, vitrail, mobilier, etc.) et le religieux fait âme. Privilégier le premier aspect ne revient pas nécessairement à délester l’objet de la qualité même qu’il s’agit d’étudier, pour peu qu’il soit dit clairement que le positif n’annule pas le mystique. Les élans du cœur ne sont simplement pas l’objet de la cardiologie.

Pour mieux faire voir la différence, et en forçant le trait : un enseignement de type dévot donnerait le territoire pour la carte, en présentant le discours interne qu’une institution religieuse tient sur elle-même — son origine, ses dogmes et ses finalités — pour sa vérité objective. Un enseignement de type « laïcard » pourrait être conduit à donner la carte pour le territoire, ou le relevé des faits pour l’expérience subjective du sens. (« Le christianisme ? Pas compliqué. Un bricolage de mythes et de rites récupérés de l’Antiquité orientale et gréco-romaine — l’enfant-dieu, la vierge-mère, le repas totémique, etc. Je vais vous démonter cette affaire et n’en parlons plus? ») L’exercice sobrement raisonné que nous suggérons ici s’efforcerait de présenter la carte de son mieux, en signalant qu’elle correspond aussi à un pays réel, avec ses habitants et leurs valeurs, et que ni la carte ni le territoire ne peuvent prendre la place l’un de l’autre.

Le fait est de l’ordre du on : anonyme, diffus, mais constant. La foi est de l’ordre du je. On assure en terre d’Islam que c’est Dieu qui parle en personne dans les sourates du Livre. Cela, n’importe qui doit le savoir. En revanche, le vécu du moi (faites silence, j’écoute la voix du Miséricordieux) n’est pas de notre ressort, encore moins le nous. Le on peut être superficiel, mais il est visible par tous — étant bien entendu que le on d’une société n’est que la partie émergée de l’iceberg, et sans oublier que le mobile des croyances se trouve sans doute au-dessous de la ligne de flot- taison, « dans les tréfonds de l’âme humaine ». Mais un ensei- gnement qui n’entend pas sonder les reins et les cœurs n’a pas vocation à la plongée par grand fond, dans le primal, l’archaïque et l’affect.

Cette retenue : à la fois par prudence scientifique et respect humain. Rien ne permet à un enseignant laïque de se croire supé- rieur, étranger à ces « fanatismes » et « superstitions », juché sur quelque Aventin moral. Car les dizaines de religions plus ou moins barbares ou raffinées (généralement l’une et l’autre) qui sont apparues ou subsistent sur la croûte terrestre ont été embras- sées par ses congénères ; et cette humanité partagée devrait lui — et nous — permettre, en principe, de comprendre l’incidence qu’elles ont — ou ont eu — sur des consciences, par connivence intime et spécifique. Ce que des sapiens sapiens comme moi ont pu professer ou pratiquer, un jour, en Asie, en Amérique ou en Afrique, comment oserais-je, participant de la même phylogénèse, vivant sur la même planète, le juger totalement incompré- hensible et incroyable ?

Où s’arrêter?

Si ceux qui s’assignent au factuel ne sont pas tenus d’explo- rer en scaphandres les ultimes paliers de profondeur, ceux de la métapsychologie, resterait à savoir où le fait religieux, en surface, commence et s’arrête, vu la quantité d’ersatz en circulation. Que va-t-on retenir dans cette immense nappe de pierres sculptées, de prières marmonnées, d’autels bariolés et de petites flammes, bûchers ou cierges qui traverse les âges, quels que soient les dieux et demi-dieux de la Cité, et même si l’occidentale post-moderne se veut indifférente ou athée? Ouvrirons-nous le compas jusqu’aux religions civiles, celles de Rousseau, de Michelet et de Durkheim ? C’est un fait que la religiosité, à l’état plus ou moins sauvage, est bien plus large que les religions consacrées ou reconnues, et qu’elle déborde le cercle, devenu en Europe très étroit, des inscriptions confessionnelles. Il coule et s’étale de partout le buvard- religiosité! Indécises et variables, chacun le sait bien, sont les frontières du religieux proprement dit et du sacré social, de la foi qui fixe et de la croyance qui flotte. Aux Etats-Unis, il n’est pas jusqu’aux catastrophes naturelles (les God’s acts) qui ne s’imputent à la Providence, dans les contrats d’assurance… Et ce n’est pas parce qu’on se proclame incroyant qu’on s’abstient de croire. LeXXe siècle nous aura au moins appris que les dieux de l’automne n’ont pas moins soif que les premiers-nés. Que peut-on com- prendre au monde soviétique d’hier, par exemple, si l’historien ne prend pas en compte les piliers rituels et confessionnels de l’idéologie d’Etat sacralisée? Le yogi appartiendrait au religieux, et non le commissaire? Est-ce un hasard si les trois quarts des professeurs de marxisme-léninisme sont devenus en Russie pro- fesseurs de religion ?

Ne nous estimons pas trop vite à l’abri de ces déborde- ments, nous les sages libéraux, qui ne sommes ni communistes ni fascistes, comme si les déplacements et substitutions suscités par les transformations historiques du croire ne nous concernaient pas. Qu’est-ce que « les Droits de l’Homme », sinon la religion civile des démocraties de l’ex-Occident chrétien dûment officialisée, avec son archi-texte sacré (en France, la Déclaration des droits de l’homme s’inscrit sur les deux tables oblongues de Moïse), ses fêtes commémoratives, ses indulgences, ses grands-messes, ses Croisades, ses Ordres missionnaires (rebaptisés humanitaires), ses saints et martyrs (Nelson Mandela, Elie Wiesel, Vaclav Havel, Walesa) ? Les communautés humaines ne tricotent-elles pas spon- tanément du religieux (en fait, non en droit) au fur et à mesure qu’elles se trament ou se réparent, après une agression extérieure (les Etats-Unis rassemblés en prière, après le 11 septembre)? N’avons-nous pas connu nous-mêmes, Français laïques et ratio- nalistes, dans les temps du danger et de la revanche, la religion républicaine de la sainte-patrie (1871-1968), avec ses Ordres, ses dévotions et ses lieux de pèlerinage (l’Ossuaire de Verdun, le Mont Valérien, l’Arc de Triomphe, l’Ordre de la Libération, les morceaux de la vraie Croix de Lorraine, etc.)? Pour le dire d’un mot, que pourraient partager un psychanalyste comme un matérialiste ? Le « fait » existe, indépendamment de la conscience qu’en prennent ses protagonistes. Un exemple tiré de l’environnement actuel : que les dirigeants de l’Etat d’Israël soient occasionnellement athées ou agnostiques n’empêche pas cet Etat-nation d’être pleinement un fait religieux, qui tire in fine ses droits de propriété sur une région du monde d’énoncés bibliques pris à la lettre. Les partis dits reli- gieux représentent en Israël à peu près 10 % de l’électorat ; un poli- tologue qui en conclurait que le facteur religieux n’entre que pour un dixième dans la formation de cette société nationale, où le mariage civil n’existe pas, ne prendrait-il pas l’ombre pour la proie? Alors, un vertige nous saisit. La division des choses entre profane et sacré étant consubstantielle à toute vie collective, com- ment parler des premières sans évoquer les secondes ? Où mettre les bornes ? Jusqu’où aller trop loin ?

Nos garde-fous

Notre planche de salut, nous la trouverons peut-être dans le retour aux disciplines scolaires existantes, pour échapper à la dis- parate et à l’illimité. L’anthropologie, l’ethnologie, la sociologie, la psychanalyse ne sont pas, dans nos collèges et lycées, matières d’enseignement — tant mieux, en un sens. En se tenant à l’homo- logué, par morale provisoire, on ne lâchera pas la rampe de l’objectivité. Le fait religieux a sans doute pour ses adeptes le poids contraignant que Durkheim prêtait au fait social. Le paradoxe, pour nous, est qu’il ne peut être traité comme une chose, bien que nous ne puissions l’aborder qu’en prenant appui sur les choses propres à chaque discipline, quitte à s’élever ensuite du matériel au mental et du brut au signifiant. En langue « savante » : de l’idio- graphique au nomographique. On partirait ainsi de la vie concrète des hommes, in situ, et des traces incontestables qu’ils ont laissées sur leur route. On ne parlerait pas des religions en soi, encore moins comme des entités homogènes, fixes et réifiées, mais on s’efforcerait, par petites touches, d’en restituer l’éclairage, l’atmosphère et le style, toujours à partir d’un donné préalable et patent. Le donné de l’enseignement littéraire, ce sont les textes ; celui des enseignements artistiques, les œuvres; celui de l’histoire et de la géographie humaine, les événements et les territoires; celui de la philosophie, les concepts. C’est donc avec ce concret-là — avec du sensible, du visible, de l’audiovisuel et de l’intelligible — qu’on pourrait reconstituer, par le commentaire, l’analyse ou la remise en contexte, le fait religieux en ce qu’il a de plus synthétique. Sa nature même, fédératrice et multidisciplinaire, réfractaire à l’actuelle division du travail académique, n’offre-t-elle pas aux enseignants un bon moyen de dépasser l’émiettement des disci- plines, la prolifération des matières, voire de faire équipe entre eux? Serait-ce trop en attendre que de demander à ce fait social total un remède contre « l’idiotie dispersive » que déplorait déjà, en son temps, Auguste Comte le prémonitoire, ce religieux athée que Monsieur Homais aurait bien tort de compter au nombre de ses dieux-lares ?

RÉGIS DEBRAY

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Laïcité et enseignement des faits religieux.

Publié le 23 janvier 2021
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La laïcité n’interdit nullement de parler de religions à l’école, mais conduit à les aborder sous l’angle du savoir en se plaçant dans le registre de la connaissance 

« Les religions n’ont pas leur place dans l’école. Ce qui n’empêche pas qu’il y ait un enseignement laïque des religions. »

Dans le cadre scolaire, l’expression est presque redondante : « les enseignements sont laïques », comme nous le rappelle la charte de la laïcité (article 12), or la laïcité n’interdit nullement de parler de religions à l’école, mais conduit à les aborder sous l’angle du savoir en se plaçant dans le registre de la connaissance et non dans celui de la transmission de la foi ou du partage d’expérience.

Il faut rappeler les aspects fondamentaux de la loi de 1905 : elle assure la liberté de conscience et garantit la liberté de culte. Une bonne compréhension de ce que suppose la liberté de croire ou de ne pas croire, qui dépasse et englobe la liberté religieuse, permet d’éviter une confusion courante entre laïcité et athéisme. Il est nécessaire de faire connaître la laïcité comme principe et de la mettre en pratique à l’école. L’enseignement laïque des faits religieux en est une application et non une entorse à son principe ; l’approche scientifique n’a pas à s’interdire certains champs du savoir [1]. Cette orientation s’inscrit dans la durée.

Après des débats dans les années 1980, portés notamment par la Ligue de l’enseignement, et plusieurs rapports dont celui de l’historien Philippe Joutard en 1989, des premières mises en œuvre sont apparues dans les programmes d’histoire et de lettres en 1996. Le choix français, confirmé avec le rapport du philosophe Régis Debray en 2002, est en effet d’enseigner les faits religieux en passant par les disciplines scolaires. Le rapport Debray insistait sur la nécessité de les prendre en compte également dans les cours de langues, de sciences sociales, de philosophie (notion de religion) ou les disciplines scientifiques en croisant avec l’histoire des sciences, et désormais avec l’histoire des arts, puis par certains aspects avec l’enseignement moral et civique [2].
Il s’agit alors de passer d’une « laïcité d’incompétence » (au sens juridique, le religieux ne nous concerne pas) à une « laïcité d’intelligence » [3] (il est de notre devoir de le comprendre) en posant une claire distinction entre le religieux comme objet de culte et le religieux comme objet de culture. Les faits religieux apparaissent ainsi contextualisés et mis en perspective comme objets de connaissance.

 

Notions conceptuelles et historiques des faits religieux

Isabelle Saint Martin : Directrice de l’IESR, directrice d’études à l’EPHE.

 

[1] Cf. article 12 de la Charte de la laïcité à l’école : « Afin de garantir aux élèves l’ouverture la plus objective possible à la diversité des visions du monde ainsi qu’à l’étendue et à la précision des savoirs, aucun sujet n’est a priori exclu du questionnement scientifique et pédagogique. » 
[2] I. Saint-Martin, Ph. Gaudin (dir.), Double défi pour l’école laïque : enseigner la morale et les faits religieux, Riveneuve éditions, 2014.
[3] Au sens de vivre en bonne intelligence avec. Cf. R. Debray, L’Enseignement du fait religieux dans l’école laïque, Odile Jacob-Scérén, Paris, 2002, p. 22.

L’EXPRESSION « FAITS RELIGIEUX »

En reprenant l’expression « faits religieux », qui s’est imposée à la suite de son rapport, Régis Debray voulait insister à la fois sur la dimension objective et distanciée de l’approche et sur l’importance de la pluridisciplinarité. Certains ont redouté à travers ce terme une lecture essentialiste du religieux, d’autres au contraire ont craint une approche réductrice limitée au « factuel ».

L’Institut européen en sciences des religions (IESR), créé à la suite du rapport Debray pour faire un pont entre la recherche et la diffusion vers un plus large public et contribuer à la formation sur ces domaines, a fait le choix de privilégier le pluriel, non pour espérer résoudre toutes les difficultés d’acception du terme, mais pour insister sur la pluralité des phénomènes religieux et de leurs manifestations (c’est en ce sens qu’ils sont saisis à travers les programmes des différentes disciplines) ainsi que pour souligner la diversité des approches transdisciplinaires comme la multiplicité des dimensions impliquées : collectives, matérielles, symboliques, sensibles (voir J.-P. Willaime, « Qu’est-ce qu’un fait religieux ? », in D. Borne et J.-P. Willaime (dir.), Enseigner les faits religieux. Quels enjeux ?, Paris, Armand Colin, 2007, p. 37-57)

ENSEIGNEMENT DES FAITS RELIGIEUX : QUELS OBJECTIFS ?

Le séminaire de la Direction générale de l’enseignement scolaire (Dgesco) organisé en 2002 indiquait les objectifs de cet enseignement :

Reconnaître le langage spécifique des faits religieux qui permet de les nommer et d’en déchiffrer les signes. Comprendre en somme, une des manières de dire le monde. […] Accéder à d’innombrables chefs-d’œuvre du patrimoine de l’humanité. Enfin, rendre les élèves capables de comprendre le rôle que le religieux joue dans le monde contemporain.

Extrait d’Enseigner les faits religieux, Actes de la Direction générale de l’enseignement scolaire, Ministère de l’Éducation nationale, 2003, p. 11. 

Ainsi ces objectifs de connaissance des faits religieux, qui sont aussi actuels que patrimoniaux, ouvrent sur des compétences à maîtriser : savoir analyser un récit, une œuvre ou un événement qui comportent des références au religieux, en suivre les effets dans l’actualité, mais aussi savoir distinguer opinion, croyance, savoir et par là pouvoir participer à un débat argumenté dans une société pluraliste.

Le socle commun de 2015 précise, parmi les objectifs du domaine 5, que l’élève s’initie à la diversité des « représentations par lesquelles les femmes et les hommes tentent de comprendre la condition humaine et le monde dans lequel ils vivent », ce qui conduit à étudier, au titre de la diversité des modes de vie, des cultures et des expressions artistiques, « les éléments-clés de l’histoire des idées, des faits religieux et des convictions ». Cet enseignement peut ainsi ouvrir à la compréhension d’un patrimoine symbolique et culturel comme aux différentes formes de représentations du monde. Il donne également des clés de lecture de notre société contemporaine. En ce sens, il doit permettre de percevoir la pluralité des systèmes de pensée et incite à situer ses propres convictions dans le respect de celles des autres.

 

La légitimité de l’enseignant face à ces questions

Isabelle Saint Martin : Directrice de l’IESR, directrice d’études à l’EPHE.

 

L’enseignement des faits religieux à travers les disciplines de l’Ecole

Isabelle Saint Martin : Directrice de l’IESR, directrice d’études à l’EPHE.

ENJEUX DE FORMATION

Abordés à travers les programmes scolaires, les faits religieux voient leur place fluctuer parfois selon les orientations retenues. Cet enseignement peut apparaître éclaté à travers les disciplines et selon les niveaux. C’est pourquoi il serait nécessaire d’établir une cohérence et une continuité à travers les étapes d’acquisition des savoirs dans la perspective d’une approche curriculaire. Il importe en effet de ne pas traiter uniquement ces aspects par le biais de la naissance des grandes traditions religieuses, ce qui pourrait donner à penser qu’ils disparaissent du monde contemporain ou encore que les religions apparaissent dès l’origine dans un ensemble de textes, de dogmes, de rites et pratiques entièrement constitués et inamovibles dans le temps, pour les faire ensuite resurgir aujourd’hui, au risque de renforcer des lectures fondamentalistes.

En certains cas, des contestations peuvent surgir telles que le refus de visite d’un lieu de culte (dont il faut rappeler qu’il est abordé dans la logique d’un programme et que, pour les édifices anciens, il est bien souvent classé au titre des « monuments historiques ») ou des conflits entre les représentations croyantes et le savoir scientifique. Préciser la distinction des registres invite à montrer qu’il ne s’agit pas de disqualifier l’un ou l’autre mais de ne pas les placer en concurrence. La parole d’un enseignant est d’un autre ordre et sa légitimité, ici comme dans les autres domaines, est celle du savoir et d’une posture laïque. C’est pourquoi les enseignants doivent pouvoir se sentir suffisamment formés afin de maîtriser les ressources à leur disposition.

 

Les contestations possibles liées à l’enseignement des faits religieux

Isabelle Saint Martin : Directrice de l’IESR, directrice d’études à l’EPHE.

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Qu’est-ce que le fait religieux ?

Publié le 23 janvier 2021
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Un fait religieux est un fait social comme un autre, celui de la religion, du sacré.

Il s’agit du rapport sur l’enseignement du fait religieux dans l’École laïque, de Régis Debray en février 2002

Pour Jean-Paul Willaime, spécialiste des sciences religieuses à l’EPHE : 
« L‘expression « faits religieux » vise à saisir les phénomènes religieux comme « fait historique » d’une part, comme « fait social » d’autre part, ce qui est une façon de souligner que les phénomènes religieux sont construits comme « faits » à travers diverses approches disciplinaires: historique, sociologique, anthropologique. Il ne s’agit pas d’une définition, mais d’une façon de qualifier, en langue française, les approches scientifiques des phénomènes religieux.» (Willaime, Faits religieux. In R. Azria & D. Hervieu-Léger (Eds), Dictionnaire des faits religieux, 2010, p.363).
 
Dans son rapport de 2002, Régis Debray préconise l’enseignement du fait religieux, à savoir l’enseignement distancié, neutre et non-ethnocentriste du religieux. Pour en savoir davantage, nous vous conseillons la lecture de ce rapport, disponible en téléchargement ci-dessous. 
Damien Gillot-Rouillard
RAPPORT DEBRAY – 2002
 
Il s’agit du rapport sur l’enseignement du fait religieux dans l’École laïque, de Régis Debray en février 2002.
 
         rapport debray.pdf
Télécharger Cliquer sur le rapport Debray 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
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Une passion bien française !

Publié le 23 janvier 2021
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La récente polémique “burkini” démontre, s’il le fallait, combien le fait religieux peut hystériser le débat politique. 

Separation de l'Eglise et de l'Etat. Caricature parue dans "Le Rire", le 20 mai 1905. L'homme au milieu est le ministre de l'Instruction publique de l'epoque Jean-Baptiste Bienvenu-Martin.
Séparation de l’Église et de l’État. Caricature parue dans “Le Rire”, le 20 mai 1905. L’homme au milieu est le ministre de l’Instruction publique de l’époque Jean-Baptiste Bienvenu-Martin.
Par Rita Hermon-Belot

L’affaire est donc entendue et la seule véritable urgence, à présent, est d’avoir la certitude que tout projet d’une loi sur le port du burkini est bel et bien enterré. Mais non cependant sans tirer quelques enseignements de la séquence, ne serait-ce que pour mieux aborder les prochaines affaires, car il y en aura d’autres, et sous des formes et dans des termes qui ne manqueront sans doute pas de nous surprendre.

Peut-on, tout d’abord, encore parler du voile au singulier et en général ? Il est bien clair, désormais, qu’entre le port d’un simple foulard et celui d’une véritable tenue islamique – ou se voulant comme telle –, la différence n’est pas seulement vestimentaire, elle se situe aussi dans l’ordre du symbolique et peut-être de plus en plus dans celui du politique – ce qu’il va falloir prendre en considération. La nature du vêtement n’est d’ailleurs pas la seule à présenter des variations.

Consulter aussi : Ce que dit vraiment le Coran du port du voile.

Sociologues et anthropologues mènent, depuis des années, de nombreuses études qui montrent que les femmes qui portent le voile le font en lui donnant un sens qui peut s’avérer très différent de l’une à l’autre. Différences d’interprétation qui tiennent toutes à l’affirmation d’un choix, c’est-à-dire d’une liberté. Certes, mais n’est-ce pas précisément dans les sociétés démocratiques ouvertes qu’une telle possibilité de choix peut être garantie ? Et si la voix de ces femmes – et de leurs pères, frères et époux – doit être entendue, n’est-on pas aussi en droit d’attendre de chacun qu’il ou elle prenne en compte les fondements spécifiques des sociétés au sein desquelles il vit ?

Singularité française

Il se trouve, justement, que sur ces questions, et s’agissant particulièrement de la sensibilité à l’expression religieuse dans la sphère publique, la France affiche une vraie singularité issue de son histoire et par conséquent présente dans l’héritage qu’il nous revient de partager aujourd’hui.

Dans l’histoire française, la liberté des cultes a été chose durement conquise. L’expression religieuse dans l’espace partagé des villes et des campagnes, espace qui ne s’appelait pas encore « public », a été le lieu d’âpres combats. En effet, à partir du temps dit des « guerres de religion », il est devenu un enjeu crucial. La religion catholique a voulu y imposer sa seule présence, et elle a réussi. Les autres pratiques religieuses, celle des protestants et, dans une moindre mesure, celle des juifs, ont été confinées dans une véritable invisibilité, qui s’étendait d’ailleurs aux manifestations sonores, le son des cloches des églises rythmant seul le temps de tous.

Loin d’avoir été balayés par la Révolution française, de tels enjeux s’y sont parfois trouvés portés plus encore à l’incandescence, et le XIXe siècle a vu une interminable suite de conflits sur le sujet. Sur tout le territoire mais particulièrement dans les régions de présence protestante ancienne du Sud-Est, on s’est littéralement battu pour briser la suprématie catholique sur la rue. Conflits qui se sont très souvent judiciarisés, passant des juridictions locales aux plus hautes du pays en suscitant l’intervention des plus grands orateurs du temps et en provoquant de fortes émotions dans l’opinion. Tel Odilon Barrot plaidant en 1818 et 1819 en Cour de cassation contre le jugement qui avait condamné un habitant de Lourmarin pour avoir refusé de décorer la façade de sa maison lors de la procession du Saint-Sacrement de la Fête-Dieu.

Une neutralisation progressive de l’espace public

C’est à travers de telles crises que se sont peu à peu affirmées la liberté de tous et surtout l’égalité entre les fidèles des différentes confessions et également ceux et celles qui ne se reconnaissent dans aucune. Et cela s’est fait dans un mouvement progressif de neutralisation d’un espace public peu à peu soustrait à toute mainmise. Toute expression religieuse n’en a pas été proscrite pour autant, mais elles ont toutes été soumises au contrôle de l’autorité publique et une forme de retrait, de discrétion, s’est installée, acceptée par tous, quoi qu’il ait pu en coûter à certains.

Cette neutralisation, c’est la dynamique même de la laïcité française, telle qu’elle s’est affirmée dès la Révolution avec la création d’un état des personnes dit « civil » tenu par des services publics hors de toute autorité religieuse et, lors de l’affirmation de la République, avec la création de l’école laïque (et gratuite et obligatoire), mais aussi dans le domaine hospitalier ou judiciaire comme dans tant de domaines de la vie des citoyens.

Une neutralisation religieuse pour fonder une autre solidarité, celle-là universelle et toute politique. C’est ce qu’évoquait Edgar Quinet :

Ce qui fait le fond de notre société, ce qui la rend possible, ce qui l’empêche de se décomposer est précisément un point qui ne peut être enseigné avec la même autorité par aucun des cultes officiels. Cette société vit sur le principe de l’amour des citoyens les uns pour les autres, indépendamment de leur croyance. (L’enseignement du Peuple en juin 1850, un enseignement qu’il décrivait comme « laïque »).

Quinet citant sur ce point Condorcet et lui-même repris à son tour par Ferry, en une ligne de force continue de la culture républicaine française. Quinet qui ne voyait d’ailleurs là aucunement une solution idéale dans l’absolu, mais une voie nécessaire et incontournable au regard de la situation propre à la France.

Voilà pourquoi nous sommes, sans plus vraiment en avoir conscience, si sensibles en ce pays – tellement plus à l’évidence que chez la plupart de nos voisins – à la manifestation voyante, que nous tenons pour « ostensible » des appartenances religieuses.

« Indivisible, laïque et sociale »

Et il y a là bien plus encore. Car ce n’est que lorsqu’elle a été acceptée de tous que la laïcité a pu n’apparaître que comme un ensemble de règles de droit régissant la situation des cultes dans l’espace français. Elle a d’abord été – et pendant bien longtemps – avant tout un projet politique, et elle l’est toujours. Elle reste aussi l’un des piliers de toute une série de choses bien concrètes et auxquelles nous sommes à raison attachés, quelle que soit par ailleurs notre appartenance religieuse ou notre non-appartenance. Parmi elles, le système français de solidarité, considéré à juste titre comme l’un des plus généreux et des plus protecteurs au monde.

Couverture, signée Jean Effel, de l’ouvrage sur la laïcité de Jean Cornec, publié en 1965 aux éditions Sudel. © DR

En effet, quand la Constitution dit que la République française est « indivisible, laïque et sociale », elle ne parle pas en vain. Ce n’est certainement pas un hasard si laïcité et système de solidarité se sont affirmés de concert dans la France de l’après–Seconde Guerre mondiale. L’État providence s’appuie sur la participation consentie des citoyens, à commencer par leur consentement à l’impôt. Qui est prêt à renoncer à cela ? Et ne doit-on pas prêter attention aux réticences, aux sensibilités qu’expriment, même si c’est de façon très peu réfléchie et argumentée, et parfois sous des formes franchement déplaisantes, nombre de citoyens et citoyennes ? Solidarité sociale et différenciation symbolique, les deux impératifs s’affirment en effet ici de façon très catégorique. Mais connaît-on beaucoup de sociétés dans le monde qui ont réussi à vraiment concilier les deux ?

*Rita Hermon-Belot, historienne, est directrice d’études au Centre d’études en sciences sociales du religieux, rattaché à l’École des hautes études en sciences sociales (Ehess) et à l’université Paris Sciences et Lettres (PSL).
Elle a publié Aux sources de l’idée laïque. Révolution et pluralité religieuse (Odile Jacob) en octobre 2015.

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Pourquoi la laïcité fait polémique en France ?

Publié le 23 janvier 2021
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Alors que la gauche se déchire sur sa définition, retour aux sources de la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat de 1905.

Crèche dans les mairies, menus sans porc dans les cantines, lutte contre le communautarisme… La laïcité en France a fêté ses 110 ans en décembre dernier, et elle a rarement été autant dans l’actualité. 

 
En vertu du principe de laïcité, Jésus, Marie, Joseph, et les rois mages n'ont pas leur place dans les services publics.

En vertu du principe de laïcité, Jésus, Marie, Joseph, et les rois mages n’ont pas leur place dans les services publics.

Par Sandrine Chesnel
 
 

“Laïcité (nom féminin). Conception et organisation de la société fondée sur la séparation de l’Église et de l’État et qui exclut les Églises de l’exercice de tout pouvoir politique ou administratif, et, en particulier, de l’organisation de l’enseignement.” Voilà pour la définition de la laïcité telle qu’elle est donnée par le dictionnaire Larousse.  

Une définition simple à comprendre, en apparence, mais pas toujours évidente à mettre en application. En témoignent les polémiques récurrentes ces dernières années, sur les crèches et leur petit Jésus dans les mairies, le port du foulard dans les lieux publics, les menus sans porc dans les cantines scolaires ou bien encore la façon dont la laïcité est enseignée dans les écoles. La dernière controverse en date est issue du sévère recadrage par Manuel Valls du président de l’Observatoire de la laïcité, Jean-Louis Bianco. Le Premier ministre lui reproche entre autres d’avoir dénaturé “la réalité de (la) laïcité” en signant une tribune contre le terrorisme regroupant des représentants de différentes religions.  

D’où cette question: qu’est-ce que la laïcité en 2016? Éléments de réponses avec Raphaël Liogier, philosophe et sociologue du religieux, auteur de La Guerre des civilisations n’aura pas lieu, et Valentine Zuber, historienne et sociologue, spécialiste de la liberté religieuse et de la laïcité. 

Guerres de religion et Révolution

“Pour comprendre la laïcité, il faut commencer par remonter à l’époque des guerres de religions, explique Raphaël Liogier. A la naissance du protestantisme, plus précisément, qui a permis d’affirmer que le peuple pouvait avoir une autre religion que celle du roi. Puis, au XVIIIe siècle, avec les Lumières et la Révolution, est apparue l’idée que, puisqu’on avait le droit de choisir ce en quoi on croyait, on pouvait aussi choisir de ne pas croire. Ce qui ouvrait la possibilité d’une société avec une multitude de religions différentes, qu’il fallait gérer.” 

Ainsi, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, préambule à la constitution de 1791, décrète que “nul de doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi“. “Le principe alors institué était de séparer la citoyenneté de la religion, explique Valentine Zuber. Dés lors, on pouvait être citoyen français, sans être catholique, même si la religion catholique était majoritaire.” Deux ans plus tard est créé le mariage civil, qui prévaut sur le mariage religieux. L’adjectif “laïc” fait ensuite une apparition en 1886 dans la loi de Jules Ferry qui créée “l’école publique, gratuite, laïque et obligatoire“. 

En décembre 1905, une loi, dite de séparation des Eglises et de l’Etat, est adoptée après de vifs débats. Son premier article garantit à tout citoyen la liberté de conscience, c’est-à-dire le droit de croire ou de ne pas croire; le deuxième article institue le non-financement des cultes par l’Etat, à quelques exceptions prés. Comme écrit dans la loi, “pourront toutefois être inscrites aux budgets (de l’Etat) les dépenses relatives à des services d’aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons”. 

La liberté de croire, ou pas

“Cette loi de 1905 garantit la liberté des citoyens, commente Raphaël Liogier. Elle consacre l’espace public comme un lieu de libre expression, y compris de sa religion. Chacun peut s’y exprimer, à partir du moment où cette expression ne nuit ni l’ordre public, ni à l’intégrité morale de quiconque. On ne peut donc rien interdire au nom de la laïcité, puisqu’elle est une garantie de liberté”.  

Pourtant, en 2004, l’interdiction du port de signes religieux ostentatoiresdans les collèges et lycées publics se réfère bien dans son titre “au principe de laïcité”. L’argument de ses auteurs était alors qu’il faut protéger les mineurs de toute influence religieuse, en ne les exposant pas à des signes “manifestant une appartenance religieuse”. 

A l’inverse, la loi de 2010 qui entraîna l’interdiction du port du voile islamique intégral (le niqab, parfois appelé burqa) dans la rue s’appuie non pas sur la laïcité, mais sur la nécessité de ne pas dissimuler son visage dans l’espace public. Que ce soit par un voile, ou une cagoule.  

La neutralité, pour qui?

Neutralité et laïcité sont souvent confondus. Pourtant, en 1905, nulle mention du principe de neutralité. Il s’est développé par la suite, au fil des jurisprudences, jusqu’à s’imposer aux agents de l’Etat -et uniquement à eux. Ainsi, en France, un enseignant, un agent d’accueil dans une préfecture, ou bien encore un policier ne peuvent pas porter de signes religieux dans l’exercice de leurs fonctions. “C’est d’ailleurs cette neutralité des agents de l’Etat qui fait la spécificité de la laïcité à la française, relève Raphaël Liogier. En Grande-Bretagne, par exemple, un policier ou un enseignant peut demander et obtenir le droit de porter un turban sikh.” 

C’est donc une interprétation radicale de ce principe de neutralité qui conduit parfois certains citoyens (et/ou politiques) à affirmer que le foulard islamique devrait être interdit dans la rue. Erreur. “C’est justement l’application de la loi de 1905 qui garantit le droit, dans l’espace public, par exemple, aux femmes qui le souhaitent de porter un voile sur la tête, ou aux hommes de porter une kippa”, explique Raphaël Liogier 

A l’inverse, la question de la présence de crèches réligieuses dans les mairies ou les administrations est plus subtile. “S’il s’agit de valoriser un patrimoine, une tradition locale, comme les santons en Provence, par exemple, alors ces crèches ne sont pas hors-la-loi. Mais si elles sont une expression de la foi, elles n’ont rien à y faire.” Une lecture subtile qui explique pourquoi ces crèches ont été autorisées à certains endroits, et interdites ailleurs.  

“Des” laïcités?

Reste que si les règles instituées par la loi de 1905 semblent simples à comprendre, deux visions de la laïcité, au minimum, continuent de co-exister, y compris au sein d’une même famille politique. Pour Valentine Zuber, depuis la révolution française, il y a toujours eu deux sensibilités différentes dans le camps des républicains:  

  • “D’un côté, ceux pour qui la laïcité n’est pas une valeur, mais un principe. Ceux-là pensent que l’identité religieuse est privée mais peut s’exprimer dans le débat public;
  • De l’autre, ceux qui pensent que la laïcité est une valeur, concurrente des valeurs religieuses, qui les conduit à avoir une position presque antireligieuse, en réclamant l’effacement complet des religions dans l’espace public.”

Deux positions opposées, rendant impossible un débat apaisé sur la laïcité? “Pour y arriver, positive Valentine Zuber, il faudrait que les citoyens comprennent que la laïcité n’est pas la cause du débat, mais au contraire sa condition. Les religions ne sont pas un secret de famille à garder caché. Il faut pouvoir en parler, les questionner, les remettre en question. Et c’est justement ce que permet la laïcité, tout en garantissant à chacun liberté de conscience, et liberté de culte.” 

 
 
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Colonisation et guerre d’Algérie :

Publié le 23 janvier 2021
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Face au défi de la réconciliation mémorielle, les réponses du rapport Stora

Favoriser émergence d’une mémoire commune sur la colonisation et la guerre d’Algérie et ainsi ouvrir la voie vers une possible réconciliation mémorielle entre la France et l’Algérie, c’est l’immense enjeu sur lequel Benjamin Stora s’est tout entier penché. Plusieurs mois après avoir été missionné par l’Elysée, l’historien a remis, mercredi 20 janvier, son rapport à Emmanuel Macron dans lequel il expose tant ses constats que ses préconisations afin de « trouver la “juste mémoire” entre les écueils de la répétition des guerres anciennes dans le présent, et celui de l’effacement de faits pouvant ouvrir à un négationnisme généralisé ».


Colonisation et guerre d'Algérie : face au défi de la réconciliation mémorielle, les réponses du rapport Stora
C’est un rapport lourd de 160 pages portant sur « les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie » que Benjamin Stora a remis dans les mains du président de la République. Y sont consignées près de 30 préconisations à mettre en œuvre « pour une possible réconciliation mémorielle entre la France et l’Algérie ».

« Soixante ans après, l’Histoire est encore un champ en désordre, en bataille quelquefois. La séparation des deux pays, au terme d’un conflit de sept ans et demi, a produit de la douleur, un désir de vengeance et beaucoup d’oublis. », écrit l’historien qui confie, dès les premières pages du rapport, combien « c’est un exercice difficile que d’écrire sur la colonisation et la guerre d’Algérie, car longtemps après avoir été figée dans les eaux glacés de l’oubli, cette guerre est venue s’échouer, s’engluer dans le piège fermé des mémoires individuelles. Au risque ensuite d’une communautarisation des mémoires ».
 

Refuser « la mémoire hémiplégique »

« Aujourd’hui, en France, plus de sept millions de résidents sont toujours concernés par l’Algérie, ou plutôt, pour être totalement exact, par la mémoire de l’Algérie. Hautement problématique, celle-ci fait l’objet d’une concurrence de plus en plus grande », explique l’auteur de l’ouvrage « La guerre des Mémoires », évoquant les traumatismes vécus par les harkis, les pieds noirs ou encore les immigrés algériens pour qui « l’enjeu quelquefois n’est pas de comprendre ce qui s’est passé, mais d’avoir eu raison dans le passé ».

Parce que « l’essentiel est de comprendre ce qui s’est passé dans cette histoire, de cerner les raisons de cette séparation », il faut aussi refuser aussi la concurrence victimaire, « terrible » qu’il est « nécessaire de freiner (…) au sein même des sociétés, parce qu’elle est stérile » et qu’il est « difficile de bâtir sur le ressassement, la rumination ».

« En tant que “passeur” entre passé et présent, voulant l’échange entre tous les groupes concernés par cette guerre, les historiens se heurtent à ceux qui refusent le regard critique, ou à ceux qui renvoient sans cesse aux origines communautaires », indique-t-il. Or, il faut « regarder et lire toute l’histoire, pour refuser la mémoire hémiplégique » et ses conséquences néfastes.

« La difficile tâche de réconciliation mémorielle entre la France et l’Algérie, ne consiste surement pas à rédiger une “loi mémorielle” pour construire une histoire immuable, qui entraverait tout exercice critique de l’histoire. Il ne s’agit pas davantage de donner l’illusion d’écrire une histoire commune, en occultant les divergences profondes dans la construction des imaginaires nationaux, et en “oubliant” les récits tragiques d’une histoire coloniale, pourtant commune », signifie Benjamin Stora. « Il s’agit, plus modestement, d’ouvrir des possibilités de passerelles sur des sujets toujours sensibles, mais permettant d’avancer, de faire des pas ensemble. »
 
Colonisation et guerre d'Algérie : face au défi de la réconciliation mémorielle, les réponses du rapport StoraConstruire un patrimoine commun grâce aux archives et aux images
Pour cheminer sur cette voie, Benjamin Stora défend « la nécessaire ouverture, des deux côtés de la Méditerranée, des archives de la guerre d’Algérie » et propose la constitution d’un patrimoine commun en « étendant le procédé de déclassification “au carton” à toute la période de la guerre ». « Un Comité d’historiens français et algériens pourrait également demander l’application stricte de la loi sur le patrimoine de 2008 en France. Concrètement, il s’agit de revenir dans les plus brefs délais à la pratique consistant en une déclassification des documents “secrets” déjà archivés antérieurs à 1970 », conseille-t-il.

L’historien souhaite aussi qu’une commission mixte sur les archives, créée en 2009 par un accord de coopération entre les directeurs des archives nationales, algérienne et française, puisse être réactivée. Ainsi, « le “Comité de pilotage” sur les relations mémorielles pourrait proposer la constitution d’un premier fond d’archives communes librement accessible » et suggérer des dispositions pour « faciliter la circulation de chercheurs entre les deux pays ».

En parallèle, « une réconciliation mémorielle entre la France et l’Algérie passe par une circulation des images, des représentations réciproques, des découvertes mutuelles. Des productions communes peuvent être mise en œuvre et pourquoi pas autour de la grande figure de l’Emir Abdelkader », estime le chercheur, encourageant l’idée de voir naître un « Arte franco-algérien ». Un projet qui avait fait ses premiers pas au printemps 2020 sur Facebook et Instagram, « avec des résultats particulièrement concluants ». « L’outil audiovisuel est un instrument décisif pour la préservation des mémoires et le passage à l’histoire, pour des tentatives de rapprochement entre la France et l’Algérie », plaide le chercheur.
 

L’éducation et la formation au cœur du défi

C’est aussi par l’éducation que passe cette réconciliation des mémoires. « De Louise Michel à Jean Jaurès ; d’André Breton à François Mauriac ; d’Edgar Morin à Emilie Busquant, la femme de Messali Hadj ; ou de Pierre Vidal-Naquet à Gisèle Halimi, les noms et les trajectoires de ceux qui ont refusé le système colonial doivent être porté à la connaissance des jeunes générations, pour que l’on sorte des mémoires séparées, communautarisées », lit-on. En ce sens, les pouvoirs publics sont appelés à accorder plus de place à l’histoire de la France en Algérie dans les programmes scolaires et à généraliser cet enseignement à l’ensemble des élèves, y compris dans les lycées professionnels.

Il faudrait « former en grand nombre des professeurs d’histoire, précisément sur l’histoire de la colonisation, et multiplier le nombre de postes d’enseignant à l’université française. Il n’est pas normal qu’une poignée seulement d’universitaires enseignent l’histoire du Maghreb contemporain, alors qu’une grande partie des enfants de l’immigration, sont originaires, précisément, du Maghreb. En attendant un récit commun, franco-algérien, acceptable par tous ».

La réédition et la traduction d’ouvrages font aussi partie de ce travail de réhabilitation mémorielle qui devrait être mené afin d’encourager la circulation des connaissances. L’historien se déclare favorable à la création d’une collection franco-algérienne dans une grande maison d’édition et à la publication d’un « Guide des disparus » de la guerre d’Algérie, disparus algériens et européens car « sortir de l’effacement, de la disparition permet de s’approcher de la réalité, de la réconciliation possible ».
 

Des gestes « symboliques et politiques » mais « nécessaires »

A l’occasion du 60e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie en 2022, « la nécessité d’un nouveau Traité de réconciliation, d’amitié entre les deux peuples reste plus que jamais d’actualité ». Une amitié qui passe par des « gestes à caractères symboliques et politiques » jugés « nécessaires ».

Au moins trois sont préconisés du côté français : la reconnaissance par l’Etat de l’assassinat en 1957 d’Ali Boumendjel, une grande figure de la lutte nationaliste en Algérie, qui « marquerait un pas supplémentaire dans le fait de regarder en face ce passé colonial » ; la panthéonisation de Gisèle Halimi, grande figure féminine d’opposition à la guerre d’Algérie ; le rapatriement vers l’Algérie des corps de la famille de l’Emir Abdelkader, enterrés à Amboise, où Benjamin Stora suggère la construction d’une stèle montrant le portrait de cette personnalité.

Ce sont autant de pistes d’actions qui peuvent être proposées par une commission « Mémoires et vérité » qu’il recommande de mettre en place dans le but d’« impulser des initiatives communes entre France et l’Algérie sur les questions de mémoires ».
 

Oui à la reconnaissance, non à la repentance « pour construire l’avenir »

Des « actes symboliques », « une démarche de reconnaissance » mais « ni repentance ni excuses », c’est ce pour quoi l’Elysée s’est déclaré favorable après la remise du rapport Stora.L’historien va dans ce sens même dans son rapport : « Plutôt que de “repentance”, la France devrait reconnaitre les discriminations et exactions dont ont été victimes les populations algériennes : mettre en avant des faits précis. Car les excès d’une culture de repentance, ou les visions lénifiantes d’une histoire prisonnière des lobbys mémoriels, ne contribuent pas à apaiser la relation à notre passé. »

« Par la multiplication des gestes politiques et symboliques, on pourra de la sorte s’éloigner d’une mémoire devenue enfermement dans un passé, où se rejouent en permanence les conflits d’autrefois », plaide Benjamin Stora. « Motif de discorde, la mémoire peut aussi se révéler puissance créatrice, face à ceux qui voudraient effacer les pages sombres du passé. Il faut donc trouver la “juste mémoire”, comme le dit le philosophe Paul Ricœur, entre les écueils de la répétition des guerres anciennes dans le présent, et celui de l’effacement de faits pouvant ouvrir à un négationnisme généralisé. »

« L’objectif n’est donc pas l’écriture d’une histoire commune, mais de chercher à expliquer ensemble l’événement colonial, et ne pas croire que tout pourra se trancher en un verdict définitif. Ce travail en commun doit maintenir ouverte la porte des controverses citoyennes, car il prête attention aux conditions de son époque pour sortir de la rumination du passé, et des blessures mémorielles » et encouragent les acteurs, témoins et héritiers de l’histoire « à parler de leurs souffrances », écrit-il également.

« Ce mouvement vers la réconciliation ouvre sur la possibilité du passage d’une mémoire communautarisée à une mémoire commune, en France. » Un défi de taille auquel des hommes et des femmes, tant Français qu’Algériens sont aujourd’hui, plus que jamais, prêts à relever mais que la volonté politique de part et d’autre de la Méditerranée doit impulser par des actes concrets.
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