“Laïcité (nom féminin). Conception et organisation de la société fondée sur la séparation de l’Église et de l’État et qui exclut les Églises de l’exercice de tout pouvoir politique ou administratif, et, en particulier, de l’organisation de l’enseignement.” Voilà pour la définition de la laïcité telle qu’elle est donnée par le dictionnaire Larousse.
Une définition simple à comprendre, en apparence, mais pas toujours évidente à mettre en application. En témoignent les polémiques récurrentes ces dernières années, sur les crèches et leur petit Jésus dans les mairies, le port du foulard dans les lieux publics, les menus sans porc dans les cantines scolaires ou bien encore la façon dont la laïcité est enseignée dans les écoles. La dernière controverse en date est issue du sévère recadrage par Manuel Valls du président de l’Observatoire de la laïcité, Jean-Louis Bianco. Le Premier ministre lui reproche entre autres d’avoir dénaturé “la réalité de (la) laïcité” en signant une tribune contre le terrorisme regroupant des représentants de différentes religions.
D’où cette question: qu’est-ce que la laïcité en 2016? Éléments de réponses avec Raphaël Liogier, philosophe et sociologue du religieux, auteur de La Guerre des civilisations n’aura pas lieu, et Valentine Zuber, historienne et sociologue, spécialiste de la liberté religieuse et de la laïcité.
Guerres de religion et Révolution
“Pour comprendre la laïcité, il faut commencer par remonter à l’époque des guerres de religions, explique Raphaël Liogier. A la naissance du protestantisme, plus précisément, qui a permis d’affirmer que le peuple pouvait avoir une autre religion que celle du roi. Puis, au XVIIIe siècle, avec les Lumières et la Révolution, est apparue l’idée que, puisqu’on avait le droit de choisir ce en quoi on croyait, on pouvait aussi choisir de ne pas croire. Ce qui ouvrait la possibilité d’une société avec une multitude de religions différentes, qu’il fallait gérer.”
Ainsi, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, préambule à la constitution de 1791, décrète que “nul de doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi“. “Le principe alors institué était de séparer la citoyenneté de la religion, explique Valentine Zuber. Dés lors, on pouvait être citoyen français, sans être catholique, même si la religion catholique était majoritaire.” Deux ans plus tard est créé le mariage civil, qui prévaut sur le mariage religieux. L’adjectif “laïc” fait ensuite une apparition en 1886 dans la loi de Jules Ferry qui créée “l’école publique, gratuite, laïque et obligatoire“.
En décembre 1905, une loi, dite de séparation des Eglises et de l’Etat, est adoptée après de vifs débats. Son premier article garantit à tout citoyen la liberté de conscience, c’est-à-dire le droit de croire ou de ne pas croire; le deuxième article institue le non-financement des cultes par l’Etat, à quelques exceptions prés. Comme écrit dans la loi, “pourront toutefois être inscrites aux budgets (de l’Etat) les dépenses relatives à des services d’aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons”.
La liberté de croire, ou pas
“Cette loi de 1905 garantit la liberté des citoyens, commente Raphaël Liogier. Elle consacre l’espace public comme un lieu de libre expression, y compris de sa religion. Chacun peut s’y exprimer, à partir du moment où cette expression ne nuit ni l’ordre public, ni à l’intégrité morale de quiconque. On ne peut donc rien interdire au nom de la laïcité, puisqu’elle est une garantie de liberté”.
Pourtant, en 2004, l’interdiction du port de signes religieux ostentatoiresdans les collèges et lycées publics se réfère bien dans son titre “au principe de laïcité”. L’argument de ses auteurs était alors qu’il faut protéger les mineurs de toute influence religieuse, en ne les exposant pas à des signes “manifestant une appartenance religieuse”.
A l’inverse, la loi de 2010 qui entraîna l’interdiction du port du voile islamique intégral (le niqab, parfois appelé burqa) dans la rue s’appuie non pas sur la laïcité, mais sur la nécessité de ne pas dissimuler son visage dans l’espace public. Que ce soit par un voile, ou une cagoule.
La neutralité, pour qui?
Neutralité et laïcité sont souvent confondus. Pourtant, en 1905, nulle mention du principe de neutralité. Il s’est développé par la suite, au fil des jurisprudences, jusqu’à s’imposer aux agents de l’Etat -et uniquement à eux. Ainsi, en France, un enseignant, un agent d’accueil dans une préfecture, ou bien encore un policier ne peuvent pas porter de signes religieux dans l’exercice de leurs fonctions. “C’est d’ailleurs cette neutralité des agents de l’Etat qui fait la spécificité de la laïcité à la française, relève Raphaël Liogier. En Grande-Bretagne, par exemple, un policier ou un enseignant peut demander et obtenir le droit de porter un turban sikh.”
C’est donc une interprétation radicale de ce principe de neutralité qui conduit parfois certains citoyens (et/ou politiques) à affirmer que le foulard islamique devrait être interdit dans la rue. Erreur. “C’est justement l’application de la loi de 1905 qui garantit le droit, dans l’espace public, par exemple, aux femmes qui le souhaitent de porter un voile sur la tête, ou aux hommes de porter une kippa”, explique Raphaël Liogier
A l’inverse, la question de la présence de crèches réligieuses dans les mairies ou les administrations est plus subtile. “S’il s’agit de valoriser un patrimoine, une tradition locale, comme les santons en Provence, par exemple, alors ces crèches ne sont pas hors-la-loi. Mais si elles sont une expression de la foi, elles n’ont rien à y faire.” Une lecture subtile qui explique pourquoi ces crèches ont été autorisées à certains endroits, et interdites ailleurs.
“Des” laïcités?
Reste que si les règles instituées par la loi de 1905 semblent simples à comprendre, deux visions de la laïcité, au minimum, continuent de co-exister, y compris au sein d’une même famille politique. Pour Valentine Zuber, depuis la révolution française, il y a toujours eu deux sensibilités différentes dans le camps des républicains:
- “D’un côté, ceux pour qui la laïcité n’est pas une valeur, mais un principe. Ceux-là pensent que l’identité religieuse est privée mais peut s’exprimer dans le débat public;
- De l’autre, ceux qui pensent que la laïcité est une valeur, concurrente des valeurs religieuses, qui les conduit à avoir une position presque antireligieuse, en réclamant l’effacement complet des religions dans l’espace public.”
Deux positions opposées, rendant impossible un débat apaisé sur la laïcité? “Pour y arriver, positive Valentine Zuber, il faudrait que les citoyens comprennent que la laïcité n’est pas la cause du débat, mais au contraire sa condition. Les religions ne sont pas un secret de famille à garder caché. Il faut pouvoir en parler, les questionner, les remettre en question. Et c’est justement ce que permet la laïcité, tout en garantissant à chacun liberté de conscience, et liberté de culte.”