La charte des principes du Conseil National des Imams présentée par le Conseil Français du Culte Musulman (CFCM) ne fait pas l’unanimité. Si le CFCM l’a d’abord présentée comme adoptée de façon «consensuelle », elle est en fait rejeté par quatre associations composantes du CFCM, et trois d’entre elles – le CCMTF, la CIMG France, et «Foi et Pratique» – ont publié un communiqué commun mardi 20 janvier pour justifier leur retrait du projet.
À LIRE AUSSI : Pourquoi l’islam de France se déchire
Parmi les trois associations à l’origine du communiqué , deux sont franco-turques et étroitement liées à Ankara : le comité de coordination des musulmans turcs de France (CCMTF) et la communauté Islamique du Millî Görüş (CIMG). La troisième est une association se revendiquant du Tabligh, un mouvement islamiste d’origine indo-pakistanaise.
Les deux associations pro-turques cumulent 19 sièges au sein du CFCM, soit davantage que l’Union des Mosquées de France (UMF) qui tient la Grande Mosquée de Paris, proche de l’Algérie, ou encore que Musulmans de France (ex-UOIF). L’islam turc est donc surreprésenté au sein de l’Islam de France, puisque la communauté turque pèse pour 700.000 personnes, contre près de 2 millions pour les Algériens par exemple.
Le CCMTF, la voix d’Erdogan
Le Comité de coordination des musulmans turcs de France (CCMTF), s’il est bien une association française, est organiquement lié à l’État turc. L’association dépend de la Diyanet, la direction des affaires religieuses du gouvernement turc.
«C’est la raison pour laquelle, il est illusoire de penser que le DITIB [autre nom du CCMTF], acceptera l’article 6 de la charte [l’article 6 condamne l’islam politique]. Le DITIB est par définition une organisation politique », explique au Figaro Samim Akgönül, le directeur du département d’études turques à l’université de Strasbourg.
Le CCMTF est directement financé par l’État turc par l’envoi d’imams détachés, salariés de l’État turc mais aussi parce que l’association a cédé la plupart de ses biens immobiliers à l’État turc qui en assure donc l’entretien. Aujourd’hui, environs 250 mosquées – sur 2500 – sont gérées par le CCMTF.
Le CCMTF peut logiquement être considéré comme un porte-voix de l’État turc en France. «10% de leurs discours est religieux , avance même Samim Akgönül, le reste, c’est du politique ». Seulement son discours politique n’est pas celui du salafisme ou des frères musulman, il relève d’un islam identitaire, nationaliste ouvertement loyaliste envers le président turc Recep Tayyip Erdogan.
Mili Görus, dynamique association pro-Erdogan
Tout comme son parent le CCMTF, la confédération Islamique Mili Görus (CIMG), est une organisation très proche de l’État turc. Seulement, à la différence du DITIB, ses liens ne sont pas institutionnels, mais plutôt culturels et idéologiques. À titre d’exemple: l’association de Sarcelle de la CIMG commémorait le 15 juillet dernier sur Facebook l’échec du coup d’Etat contre Erdogan .
Crée en 1969 par un homme politique turc devenu à la fin des années 1990 premier ministre, Necmettin Erbakan , le Mili Görus porte dès son origine un discours politique et conservateur. Il est aujourd’hui très proche de l’AKP, le parti du président truc Erdogan, qui était d’ailleurs le chef de sa section jeunesse dans les années 1990. À ce titre, le Mili Görus n’est pas étatiste – il a pu s’opposer au gouvernement turc par le passé -, mais loyal à Erdogan. «Tout comme le DITIB, leur crainte est de voir l’assimilation de la génération turque née en France », résume Samim Akgönül.
Compte Facebook de la CIMG Sarcelles Capture d’écran facebook
Présent en France depuis 1995, le Mili Görus dispose d’un réseau de 71 mosquées (sur 2500 en France) et 600 mosquées en Europe. L’association mène d’importants chantiers de mosquées, notamment à Sevran, Creil ou Grigny (le chantier est encore à l’état de projet). À Strasbourg, le Mili Görus construit la mosquée Eyyûb-Sultan (nom d’une mosquée stambouliote) qui a vocation à devenir la plus grande mosquée d’Europe après celle de Cordoue. Faute de fonds, le chantier a toutefois été suspendu en 2019.
Son dynamisme se traduit dans la place grandissante qu’elle occupe au sein du CFCM. En janvier 2020, son président, Fatih Sarikir a obtenu le siège stratégique de secrétaire général de l’organisation.
«Foi et Pratique»: le tabligh français
À la différence des deux autres associations, «Foi et pratique» n’est pas turque, et n’est associée à aucune communauté. Né en Seine-Saint-Denis en 1972, le mouvement se revendique du Tabligh, un mouvement de revivalisme islamique créé en 1927 par un théologien indien, qui cherche avant toute chose à faire revenir les musulmans trop superficiellement croyants à l’islam. À ce titre, le prosélytisme extrêmement soutenu du Tabligh est avant tout tourné vers les musulmans considérés comme trop tièdes.
Or, le mouvement Tabligh a été nommément condamné par la Charte du Conseil National des Imams , qui dans une note en bas de page de son article 6 condamne nommément le Tabligh comme mouvement d’islam politique. Il n’est, à ce titre, pas étonnant que «Foi et pratique» a refusé de parapher la charte.
De fait, le Tabligh porte une vision fondamentaliste de l’islam, qui s’appuie sur une interprétation littérale du Coran et une imitation des compagnons de Mohammed, notamment dans l’apparence physique (barbe, tenues traditionnelles, voile…). Pour le chercheur Moussa Khedimellah, cette volonté de se différencier dans l’apparence «est une nouvelle façon de se mettre en scène physiquement, spirituellement et verbalement qui se construit dans une société qui ne les a, selon eux, jamais acceptés et reconnus ».
En février 2012, Manuel Valls avait procédé à l’expulsion d’un imam tunisien de l’association Foi et Pratique , Mohamed Hammami, aux prêches antisémites. Son fils est aujourd’hui le directeur de l’association et l’imam d’une des mosquées de l’association dans le XIe arrondissement de Paris.
Aujourd’hui, cette association est en perte de vitesse au sein du mouvement Tabligh, concurrencée par une autre association, «Tabligh wa da’wa ila llah», et le Tabligh est en perte de vitesse au sein de l’islam radical. Selon le rapport de l’Institut Montaigne de 2018 intitulé «La Fabrique de l’islamisme» , «leur perte d’influence se fait au profit d’autres groupes religieux, d’abord les Frères musulmans dans les années 1990, puis les salafistes actuellement ».
À voir aussi – Charte des imams: vers un islam républicain ? Charte des imams: vers un islam républicain ?