La « repentance », une exigence
Pour Le Midi libre, « cette position ne fera que renforcer l’exigence du peuple algérien qui, lui, s’en tient mordicus à la revendication de la présentation par la Francede ses excuses pour les crimes commis durant la colonisation. Certains, en Algérie, considèrent que la repentance de la France est la condition sine qua non pour booster les relations entre les deux pays ».
En juillet 2020, le président Abdelmadjid Tebboune avait estimé, sur France 24, que l’Algérie « a déjà reçu des demi-excuses. Il faut faire un autre pas […] On le souhaite […] Cela va permettre d’apaiser le climat et le rendre plus serein pour des relations économiques, pour des relations culturelles, pour des relations de voisinage ».
Le professeur d’université Kamel Khelil explique sur les colonnes d’El Khabar que « ces mesures [les préconisations du rapport Stora] demeurent symboliques et restent éloignées des revendications du peuple algérien qui donne une grande importance à la question des excuses, notamment sur les essais nucléaires et leurs conséquences, et le dossier des disparus ». El Khabar affirme que 3 000 Algériens ont été tués par les parachutistes français lors de la bataille d’Alger en 1957 et leurs dépouilles restent toujours introuvables.
« Faire le même pas que l’Allemagne a fait envers la France »
« Il s’agit d’un rapport sélectif, peu détaillé, comme si l’Élysée voulait vite se débarrasser de la question mémorielle de n’importe quelle façon », regrette l’historien Mebarek Djaafri de l’université d’Adrar, interrogé par El Khabar. El Khabar qui va dans les détails, regrettant que le rapport Strora, qui a appelé à reconnaître officiellement l’assassinat de l’avocat nationaliste Ali Boumendjel en 1957, ne mentionne pas le cas de Larbi Ben M’hidi, un des « Six » historiques déclencheur de la guerre d’indépendance, exécuté par les hommes du général Aussaresses durant la terrible « Bataille d’Alger ».
Même scepticisme chez l’historien Mohamed El-Korso, qui, dans le journal Liberté, explique que « pour parvenir à un véritable dialogue sain et serein, capable de faire avancer les choses, il faudrait que la France reconnaisse de manière claire et franche qu’il y a eu crime contre l’humanité ». « Il s’agit pour elle de faire le même pas que l’Allemagne a fait envers la France, en reconnaissant ses crimes durant la Seconde Guerre mondiale. Je crois qu’il est dommageable que la France qui s’est excusée envers les Juifs ne s’excuse pas auprès des Algériens », poursuit-il.
L’enjeu de 2022
Pour le journaliste et analyste politique Fayçal Métaoui, « l’historien français Benjamin Stora n’a pas répondu aux demandes exprimées par Alger, à savoir : reconnaissance des crimes coloniaux et excuses officielles, restitution totale des archives et de biens culturels, réparation et indemnisation aux victimes des essais nucléaires du sud algérien, reconnaissance de la disparition forcée d’Algériens ayant combattu le colonialisme et restitution intégrale de restes mortuaires de résistants algériens ».
« Au moment où se jouent des élections difficiles en France [la présidentielle de 2022], je ne vois pas comment le président Emmanuel Macron ou un autre pourrait mécontenter une partie de l’opinion sans, du même coup, le payer politiquement. La question du passé colonial s’avère ainsi infiniment plus problématique pour la France que pour l’Algérie », analyse dans Liberté un autre historien, Kitouni Hosni. L’historien rappelle « l’existence de plusieurs millions de Français descendants de parents attachés aux colonies, pour qui la décolonisation fut une tragédie », et conclut : « On comprend dès lors combien il est quasiment impossible pour tout pouvoir politique de prendre le risque d’aller à contre-courant de la tendance majoritaire de l’opinion publique. »
Que répondra Alger ?
Mais pour l’éditorialiste de Liberté, il ne suffit pas de critiquer la démarche française. Il faudrait aussi s’interroger sur ce que l’Algérie officielle a fait de cette histoire tumultueuse. « Par-delà ces contingences, les propositions pratiques pour régler cette question de mémoire qui devrait naturellement rendre orphelins les rentiers de l’histoire et les nostalgiques des épisodes anciens de leur vie, l’on ne peut perdre de vue la nécessité, pour utiliser une terminologie familière, de balayer devant sa porte. Et de mettre fin à l’usage vulgairement commercial de l’histoire qui ressemble souvent à un abus de faiblesse qui s’articule autour d’arguments faussement patriotiques. »
Les regards se dirigent dorénavant vers la partie algérienne. Comment réagira Alger officiellement, ou, du moins, Abdelmadjid Chikhi, directeur des Archives nationales, conseiller du président Tebboune, qui a été nommé pour suivre, côté algérien, le dossier en parallèle de la mission Stora ? « M. Chikhi s’exprimera une fois qu’il aura reçu officiellement le rapport de M. Stora », nous explique une source officielle. Où en est-il de sa mission, quel serait son apport sur le dossier mémoriel ? Pour le moment, aucune précision n’est donnée. Fin octobre 2020, Abdelmadjid Chikhi avait juste indiqué qu’il avait pris contact deux fois avec Benjamin Stora, mais que « le travail n’a toujours pas commencé solennellement » à cause de « l’expansion du Covid-19 qui empêche toujours la tenue d’une rencontre directe avec M. Stora et la mise en place un plan d’action commun ».