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Le concept
Le concept de laïcité trouve ses racines dans les écrits des philosophes grecs et romains, tels qu’Épicure ou Marc Aurèle ceux des penseurs des Lumières comme Locke, Bayle, Diderot, Voltaire, les pères fondateurs des États-Unis tels James Madison, Thomas Jefferson, et Thomas Paine, en France à travers les lois de Jules Ferry.
Contrairement aux idées reçues, le concept de laïcité a été développé par des penseurs d’obédiences variées. Ainsi, Averroès, philosophe et théologien musulman andalou de langue arabe du xiie siècle, est également considéré comme l’un des pères fondateurs de la pensée laïque
D’après les Évangiles, Jésus de Nazareth, reconnu par les chrétiens comme le messie, dit cette phrase : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » Cette phrase pouvant être interprétée comme l’établissement d’une distinction entre les domaines spirituel et civil.
Toutefois, au IVe siècle, l’Empereur Théodose Ier érige le christianisme en religion d’État. Le théologien protestant Jacques Ellul voit dans cet événement « la plus grande subversion du christianisme » et même sa trahison : « Le christianisme est la pire trahison du Christ ».
Dans l’Antiquité, avant l’arrivée du christianisme, il n’y avait aucune séparation entre les cultes et l’État. Dans les monarchies chrétiennes et musulmanes, le roi était également le plus haut chef religieux et parfois, il était considéré comme divin. Dans les régimes républicains, les religieux étaient nommés fonctionnaires, comme les politiques. Dans d’autres cas, une autorité religieuse était également l’autorité civile suprême, comme c’était le cas de la théocratie judéenne sous domination étrangère.
Dans la Rome antique, les empereurs étaient considérés comme des êtres divins et occupaient la plus haute fonction religieuse, celle de Pontifex maximus. Les chrétiens ont d’ailleurs contesté ce système, en reconnaissant l’autorité politique de l’empereur mais en refusant de s’impliquer dans une religion de l’État, et de reconnaître la divinité de l’empereur. De ce fait, les chrétiens ont été jugés ennemis de l’État et la conversion au christianisme était punissable de la mort (voir par exemple, martyre de Justin sous le règne de Marcus Aurelius). Cette situation a entraîné de violentes persécutionsjusqu’en 313, année qui vit la signature de l’édit de Milan par Constantin Ier et Licinius. L’Empire romain est véritablement devenu chrétien avec l’édit de Théodose Ier en 390. Les enseignements de Jésus lui-même sont parfois cités comme exemple du principe de la séparation de l’Église et de l’État (par exemple dans l’Évangile selon Marc : « Rendre à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. »). André Gounelle rappelle que lors des discussions sur la loi de séparation des Églises et de l’État, Aristide Briand se référa plusieurs fois à ce passage de l’évangile de Luc et il estime que certains chrétiens, avec les stoïciens, ont été parmi les premiers à nier « que l’État ait un rôle déterminant à jouer dans la relation de Dieu avec les êtres humains ».
Selon Henri Peña-Ruiz, dans la cité grecque (et dans la cité latine pré-chrétienne postérieurement) la religion organise le lien social. Puis, la cité se faisant intégrante, des croyances multiples cohabitèrent. Chaque citoyen a ses dieux personnels, dans une cité qui a les siens propres (les dieux poliades) et dont la vocation est de préserver le salut commun. Progressivement, le conformisme religieux laisse la place à des lois communes, afin de favoriser la coexistence de tous. La religion de la cité aura alors une fonction civique dépourvue de dogmatisme théologique ; on admettra progressivement que la conscience reste maîtresse d’elle-même. Le droit romain développera cette distinction entre lois communes et pouvoir religieux en distinguant la res publica (la « chose publique ») de la chose privée. Ainsi sont réunies les composantes de la laïcité contemporaine : le respect de la conscience individuelle, la recherche de l’intérêt général, la primauté de la loi sur les dogmes.
Au Moyen Âge, dans les pays d’Europe de l’Ouest, la séparation de l’Église et de l’État se heurtait aux monarques, représentants de Dieu sur terre, qui héritaient leurs pouvoirs du droit divin et des autorités ecclésiastiques.
Dans l’Empire romain oriental, également connu sous le nom d’Empire byzantin, l’empereur disposait d’un pouvoir suprême, au-dessus de l’Église, et il contrôlait son plus haut représentant, le patriarche de Constantinople. L’orthodoxie était la religion d’État. Lorsque l’Empire ottoman a conquis Constantinople (qui sera renommé Istanbul en 1930), l’empereur a été tué. Gennade II Scholarius a alors été nommé patriarche de l’Église orthodoxeorientale par le sultan Mehmed II.
Au ve siècle, le pape Gélase Ier conçoit le premier dans une lettre à l’empereur Anastase, la distinction entre le pouvoir temporel (potestas) et de l’autorité spirituelle (auctoritas) Cette lettre, préfigurant la doctrine médiévale des deux glaives, devient à fin du xie siècle l’un des textes clefs invoqués pour soutenir la supériorité de l’autorité pontificale sur la potestas impériale. Mais l’usage qui en est fait alors, dans l’optique de la séparation du regnum et du sacerdotium, provient de l’importance excessive accordée à ce qui est en fait une citation altérée de la lettre de Gélase, qui mentionnait « deux augustes impératrices gouvernant le monde » La distinction entre potestas et auctoritas tente d’établir une hiérarchie : le pouvoir politique serait moralement soumis à l’autorité. Cette dichotomie entraîne des réactions qui se traduisent notamment par la lutte du sacerdoce et de l’Empire ou par les mouvements hérétiques des xive et xve siècle qui contestent au clergé cette mainmise spirituelle8[réf. non conforme].
Époques moderne et contemporaine
Le concept moderne de séparation des Églises et de l’État est souvent attribué au philosophe anglais John Locke. Suivant son principe de contrat social, Locke affirme que l’État n’a pas de légitimité suffisante en ce qui relève de la conscience individuelle. En effet, cette conscience ne peut être cédée rationnellement au contrôle d’un État. Pour Locke, c’est l’origine d’un droit naturel de liberté de conscience qui, dit-il, doit être protégé des intrusions des gouvernements. Cette perception concernant la tolérance religieuse et l’importance de la conscience individuelle devint, avec la notion de contrat social, particulièrement influente dans les colonies américaines, et dans la rédaction consécutive de la Constitution des États-Unis.
Au siècle des Lumières, d’Alembert a vivement critiqué, dans le Discours préliminaire de l’Encyclopédie, sans la nommer, l’Inquisition, et déploré l’ « abus de l’autorité spirituelle réunie à la temporelle ».
La notion moderne de laïcité, qui n’est plus hiérarchique, apparaît quand la théorie politique puis l’État deviennent capables d’une pensée autonome sur la question religieuse. Les termes « laïcité », « laïciser », « laïcisme », « laïcisation », ne sont attestés qu’à partir de la chute du Second Empire, en 1870 : le terme « laïcité » est contemporain de la Commune de Paris qui vote en 1871 un décret de séparation de l’Église et de l’État. Ils sont liés, sous la Troisième République, à la mise en place progressive d’un enseignement non religieux mais institué par l’État. Le substantif « la laïque », sans autre précision, désignait familièrement l’école républicaine. La laïcité sécularise alors la puissance publique et renvoie l’activité religieuse à la sphère privée
La laïcité a été condamnée par différents papes dans plusieurs encycliques, dont Mirari vos (1832), Quanta cura (1864), Vehementer nos (1906), Gravissimo officii munere, Iamdudum (it), Quas primas (1925) et Iniquis afflictisque (1926).
« Elle le fait en conjuguant la liberté de conscience, qui permet aux options spirituelles de s’affirmer sans s’imposer, l’égalité de droits de tous les hommes sans distinction d’option spirituelle, et la définition d’une loi commune à tous visant le seul intérêt général, universellement partageable »
Au sein de la tradition protestante réformée, une défense classique de la position protestante dira:
« Le Magistrat peut et doit exercer son pouvoir de coercition pour supprimer et punir les hérétiques et les sectaires, plus ou moins, selon la nature et le degré de l’erreur, schisme, obstination et danger de séduction qu’elle requiert. »
— George Gillespie, Wholesome severity reconciled with Christian liberty
Ou bien encore, François Turretin, professeur de théologie à Genève à la fin du XVIIe siècle décrit la position protestante ainsi:
« Les orthodoxes (tenant la position d’équilibre entre les deux extrêmes) maintiennent que le pieux magistrat croyant ne peut pas et ne doit pas être exclu du soin de la religion et des choses sacrées, qui lui a été confié par Dieu. Seulement, que ce droit soit encadré dans certaines limites de façon à ce que le pouvoir ecclésial et politique ne soient pas confondus, mais que chacun ait sa part distincte »
— François Turretin, Instituts de Théologie Elenctique, locus 18 Q34
Penser la laïcité écrit par Catherine Kintzler26 est un ouvrage de référence sur le concept de laïcité. Dans son introduction elle écrit que « le lieu naturel de la laïcité est la pensée des Lumières relayée par la pensée républicaine. » Agrégée de philosophie, professeur honoraire à l’université de Lille III et vice-présidente de la société de philosophie, elle affirme que « la laïcité a produit plus de libertés que ne l’a fait aucune religion investie du pouvoir politique ». Dans un entretien accordé à la Revue des Deux Mondes elle rappelle que la laïcité comme régime politique ne commence pas avec la loi de 1905, ni avec l’apparition du terme « laïcité » dans le vocabulaire politique. Il y a eu nombre de lois laïques bien avant : l’institution du mariage civil en 1792, les lois scolaires de la IIIe République, la loi de 1881 « sur la liberté des funérailles ».