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Principe
En France , le concept de laïcité est avant tout une histoire conflictuelle opposant tout au long du xix e siècle deux visions de la France. Les catholiques, qui avaient joué un rôle décisif dans la révolution de 1789 avec le ralliement du clergé au tiers état , sont durablement traumatisés par la persécution qui les frappe sous le régime de la Terreur . La majorité d’entre eux soutient le camp conservateur au xix e siècle, contre une partie de la société civile plus progressiste et acquise aux idées des Lumières. La conception française de la laïcité est, dans son principe, la plus radicale des conceptions de la laïcité (comparativement), quoiqu’elle ne soit pas totale . La justification de ce principe est que, pour que l’État respecte toutes les croyances de manière égale, il ne doit en reconnaître aucune. De ce fait, l’État n’intervient pas dans la religion du citoyen, pas plus que la religion n’intervient dans le fonctionnement de l’État. L’organisation collective des cultes doit se faire dans le cadre associatif. La laïcité à la française pose comme fondement la neutralité religieuse de l’État. L’État n’intervient pas dans le fonctionnement de la religion, sauf si la religion est persécutée (article 1 de la loi du 9 décembre 1905 : « l’État garantit l’exercice des cultes »).
Ce principe a été énoncé essentiellement en deux temps :
d’une part, sous la Révolution française, notamment dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (qui fait cependant référence à un Être Suprême , voire supra) et qui est reprise par le préambule de la constitution de 1958 , dont l’article Ier rappelle que : La France est une République laïque […] Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion….;
et d’autre part, par la loi du 9 décembre 1905 relative à la séparation des Églises et de l’État ; l’intitulé d’une loi n’a cependant aucune valeur juridique. Seuls comptent les « principes » (Titre 1er Principes ) énoncés aux articles 1 et 2 : liberté de conscience, libre exercice des cultes et séparation des cultes et de la République. On peut considérer qu’il en résulte les principes de non-ingérence et de séparation avec les institutions religieuses ; les institutions religieuses ne peuvent avoir d’influence sur l’État et l’État ne peut avoir d’influence sur les Églises ou leurs croyants sauf en tant que citoyen : la séparation est donc réciproque.
La laïcité à la française s’appuie essentiellement sur trois piliers, rappelés dans le rapport Stasi : la neutralité de l’État, la liberté de conscience et le pluralisme.
Le principe de laïcité ne s’est appliqué qu’aux citoyens et en France métropolitaine. Dans les colonies et même en Algérie (départementalisée), la population d’origine indigène n’avait pas la pleine citoyenneté et le droit qui s’appliquait faisait une large place aux coutumes locales, y compris en matière de place des cultes, des structures religieuses et de leurs ministres. De cette situation proviennent, d’ailleurs, les problèmes d’intégration en France à partir des années 1960 , lorsque les immigrés de ces colonies, qui pouvaient jusqu’alors publiquement exercer leur religion, sont arrivés en France où il était d’usage tacite de se confondre dans la population .
Énoncé en 1905, le principe de laïcité ne s’applique pas non plus en Alsace-Moselle , (qui ne fut réintégrée à la France qu’en 1918) pour ce qui concerne l’éducation – et où le régime du concordat prévaut -, ni à Mayotte mais uniquement pour ceux qui en font le choix pour les principes du droit (où la loi islamique, la charia , s’applique selon le recueil de jurisprudence, le minhadj , même si l’on observe que le droit coutumier local opère un glissement vers le droit commun ou à Wallis-et-Futuna pour le système éducatif en primaire (où l’enseignement est concédé par l’État au diocèse catholique).
Jean Baubérot définit la laïcité contemporaine sous trois aspects : l’État est sécularisé, la liberté de croyance et de culte est garantie, et les croyances sont égales entre elles. Il remarque cependant que chacun insiste davantage sur l’un ou sur l’autre de ces trois aspects : le laïciste sur la sécularisation, le croyant, sur la liberté de conscience, et enfin celui qui adhère à des croyances minoritaires sur l’égalité entre toutes les croyances. Il critique par ailleurs la confusion de certains organismes, qui, selon lui, confondent État laïc et État athée : « Actuellement, on confond laïcité et sécularisation, et le Haut Conseil à l’Intégration le revendique d’ailleurs fièrement puisqu’il déclare que « dans une société sécularisée il n’est pas possible de faire ceci ou cela ». Cela est totalement anormal, ce n’est plus de la laïcité mais quelque chose qui comporte des éléments d’un athéisme d’État. »
La République française est laïque. Photographie d’une pancarte militant pour l’application de la laïcité brandie lors d’une manifestation relative au mariage (Paris, 2013).
La première et plus importante traduction concrète de ce principe en France concerne l’état civil , auparavant tenu par le curé de la paroisse qui enregistrait la naissance, le baptême, le mariage et la sépulture des personnes. Depuis 1792, il est tenu par l’officier d’état civil dans la commune (le maire) et tous les actes doivent être enregistrés devant lui.
Les sacrements religieux (mariage et baptême notamment) n’ont plus de valeur légale et n’ont qu’un caractère optionnel.
Le mariage religieux ne pourra être effectué que postérieurement à un mariage civil. Le ministre du culte qui ne respecte pas cette règle est répréhensible pénalement (art 433-21 du Code pénal). Cette règle pratique constitue une exception au principe de neutralité par rapport aux sacrements puisqu’elle soumet le droit au mariage religieux à l’accomplissement préalable d’un acte d’état civil. Elle s’explique en France par une raison historique : à l’époque de l’instauration du mariage civil, le législateur craignait qu’une grande partie des couples contractent des mariages uniquement religieux et se retrouvent, sur le plan civil, en situation de concubinage, ce qui était considéré comme immoral.
Bien qu’il existe un baptême civil , celui-ci n’ayant pas de valeur légale, il ne s’impose pas avant le baptême religieux.
Il existe en outre des propositions pour que le fait religieux , un enseignement descriptif des caractéristiques des religions (dogmes, structures, histoire, etc. ) soit inscrit aux programmes. Les rapports Debray (2002), Stasi (2003) et de récents avis de l’Observatoire de la laïcité (2014 et 2015) conseillent d’aborder les faits religieux comme des faits sociologiques. Dans le sens de ces derniers avis, le ministère de l’Éducation nationale a annoncé le renforcement de l’enseignement laïc de façon transdisciplinaire des faits religieux.
Dans son discours aux Bernardins du 9 avril 2018 62, Emmanuel Macron propose une version décomplexée de la laïcité à l’égard des catholiques : « C’est parce que j’entends faire droit à ces interrogations que je suis ici ce soir. Et pour vous demander solennellement de ne pas vous sentir aux marches de la République, mais de retrouver le goût et le sel du rôle que vous y avez toujours joué. Je sais que l’on a débattu comme du sexe des anges des racines chrétiennes de l’Europe. Et que cette dénomination a été écartée par les parlementaires européens. Mais après tout, l’évidence historique se passe parfois de symboles. Et surtout, ce ne sont pas les racines qui nous importent, car elles peuvent aussi bien être mortes. Ce qui importe, c’est la sève. Et je suis convaincu que la sève catholique doit contribuer encore et toujours à faire vivre notre nation ».
Pour des raisons historiques, il existe certaines exceptions locales : l’acte de naissance pratique du principe de laïcité est la loi de 1905 qui ne s’appliquait alors pas outre-mer, ni dans les trois départements d’Alsace-Moselle, alors annexés par l’Empire allemand à la suite de la défaite française lors de la guerre contre la Prusse en 1870 .
Après la victoire des Alliés à l’issue de la Première Guerre mondiale , lors du rattachement de l’Alsace-Moselle au territoire national français, s’est posé la question de l’extension du corpus juridique français à ces régions, qui en avaient été séparées pendant plus de quarante ans. À la suite de la demande unanime des députés locaux, subsistent diverses dispositions relevant du droit local : un statut scolaire particulier où l’enseignement religieux est obligatoire (on peut cependant demander une dispense), un statut différent pour les associations et le maintien du Concordat.
Le 6 janvier 2015 , veille de l’attentat contre Charlie Hebdo , les représentants des cultes catholique, protestants, juif et musulman d’Alsace-Moselle avaient proposé lors d’une audition commune à Paris devant l’Observatoire de la laïcité d’abroger la législation locale relative au blasphème Dans son avis du 12 mai 2015 , l’ Observatoire de la laïcité a également proposé plusieurs évolutions concernant notamment l’enseignement religieux pour le rendre véritablement optionnel et le sortir du tronc commun de l’enseignement primaire. Le délit de blasphème prévu par l’article 166 du code pénal local applicable dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle sera finalement abrogé par l’article 172 de la loi n°2017 du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté.
Dans ces trois départements improprement appelés « concordataires » (le Concordat ne s’applique en principe qu’aux citoyens de confession catholique, les articles organiques régissant les autres cultes), les ministres des cultes sont rémunérés par l’État et réputés personnels de la fonction publique et l’école publique dispense des cours d’instruction religieuse (catholique, luthérienne, réformée ou israélite). Les cultes reconnus sont très encadrés (nomination des évêques par le ministre de l’Intérieur…) ; les actes d’état civil continuent d’être du domaine de l’État. L’islam n’y est pas un culte reconnu (il y avait peu de musulmans en France en 1801), mais certaines règles lui sont appliquées (subventions publiques pour la construction de la Grande mosquée de Strasbourg.
À Mayotte , le droit des cultes est régi par le décret Mandel du 16 janvier 1939 , le statut de Département d’outre-mer (DOM) ne modifiant pas ce statut. Le vicaire apostolique est nommé par le Vatican, sans notification préalable au gouvernement français. Le supérieur ecclésiastique de Mayotte doit être de nationalité française, en application de l’échange de notes verbales entre la France et le Saint-Siège d’avril à juin 1951 . En application du décret Mandel, le préfet agrée la création des conseils d’administration des missions religieuses, comme la mission catholique (environ 4 000 catholiques sur 200 000 habitants) créée en 1995. Les ministres du culte, autres que musulman, sont rémunérés par les missions religieuses . Après le référendum sur la départementalisation de Mayotte du 29 mars 2009 , la « collectivité départementale de Mayotte » devient le 31 mars 2011 département d’outre-mer . La loi de 1905 ne s’y applique toujours pas après 2011 . La religion musulmane peut continuer à constituer la base du statut des personnes en disposant avant 2010 Désormais les Mahorais ont le choix entre les deux statuts (local ou de droit commun) et les cadis, qui n’ont plus officiellement de rôle judiciaire, gardent néanmoins un rôle social important . Les citoyens mahorais musulmans se voient ainsi reconnaître en 2001 un statut personnel de droit civil qui entraîne une dualité de juridiction et d’état civil. Le « statut personnel » est un droit coutumier qui se réfère au Minhadj Al Talibin (Livre des croyants zélés ), recueil d’aphorismes et de préceptes ayant pour base la charia , écrit au xiii e siècle par le juriste damascène Al-Nawawi (1233-1277), ainsi qu’à des éléments de coutume africaine et malgache. La délibération no 64-12 bis du 3 juin 1964 de la Chambre des députés des Comores relative à la réorganisation de la procédure en matière de justice musulmane a érigé les traditions orales de Mayotte en source à part entière du statut personnel de droit local, mais circonscrit aux matières suivantes : état civil, mariages, garde d’enfants, entretien de la famille, filiation, répudiations, successions. Au nom de l’ordre public, les dispositions pénales du Minhadj (lapidation de la femme adultère…) n’étaient pas appliquées. À cette dualité de statut correspond une dualité des règles en matière d’état des personnes et des biens, ainsi qu’une justice particulière aux citoyens de statut personnel, rendue par les cadis Maintenue par l’article 1 du traité du 26 avril 1841 , la justice cadiale est confirmée par le décret du 1er juin 1939 relatif à « l’organisation de la justice indigène dans l’archipel des Comores » et la délibération du 3 juin 1964 de l’assemblée territoriale ainsi par l’ordonnance no 81-295 du 1er avril 1981 . les cadis et le grand cadi sont fonctionnaires de la collectivité territoriale de Mayotte . L’ordonnance du 3 juin 2010 rapproche Mayotte du droit commun puisqu’elle précise que statut de droit local ne saurait « contrarier ou limiter les droits et libertés attachés à la qualité de citoyen français » . Elle décrit la procédure de renonciation au statut de droit local, qui est irrévocable, et prévoit que le droit commun s’applique dans les rapports entre personnes, sauf entre personnes relevant du droit local et dans une matière en relevant. De plus, l’ordonnance proscrit la répudiation et toute nouvelle union polygame (déjà interdite depuis le 1er janvier 2005, relève à 18 ans l’âge de mariage des femmes et un terme à l’inégalité entre les hommes et les femmes en matière de mariage et de divorce et renforce l’égalité en matière de droit du travail (droit de travailler et de disposer de son salaire et de ses biens). Les cadis, désormais agents du conseil général de Mayotte, ont vocation à être recentrés sur des fonctions de médiation sociale. Enfin, la loi du 7 décembre 2010 parachève l’évolution du rôle des cadis en supprimant leurs fonctions de tuteurs légaux ou le rôle qu’ils pouvaient assumer sur le plan notarial.
En Guyane , l’ordonnance de Charles X du 27 août 1827 est toujours en vigueur, et ne reconnaît que le culte catholique, celui-ci bénéficiant d’un financement public.
À Saint-Pierre-et-Miquelon , en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie subsiste un système dérivé des décrets Mandel de 1939, qui autorise les missions religieuses à constituer des conseils d’administration afin de donner une situation juridique à la gestion des biens utiles à l’exercice des cultes .
À Wallis-et-Futuna , l’article 3 de la loi du 29 juillet 1961 confère une autonomie sur la législation relative aux cultes disposant que les « populations du territoire des îles Wallis et Futuna le libre exercice de leur religion, ainsi que le respect de leurs croyances et de leurs coutumes en tant qu’elles ne sont pas contraires aux principes généraux du droit ».